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par Guillaume Faye
Le
drame de la configuration intellectuelle politique française, surtout à
gauche mais aussi à droite, c’est la prévalence de l’idéologie sur
l’expérience ; autrement dit, une mauvaise articulation entre la théorie
et la pratique. Karl Popper et Claude Bernard, le formulateur de la « méthode expérimentale »,
avaient montré que dans les sciences exactes, la théorie et la pratique
doivent sans cesse s’articuler en un permanent mouvement
d’aller-retour, de feed back :
on formule d’abord une théorie et puis on la corrige par
l’expérimentation et alors, une nouvelle théorie est formulée, jusqu’à
ce que les deux termes s’ajustent.
Mais
les choses ne se passent pas exactement ainsi dans les domaines de la
politique et de l’économie, qui ne sont pas des sciences exactes. C’est
le marxisme, avec son matérialisme dialectique qui prenait l’économie
politique pour une science exacte, qui a pollué les raisonnements
politiques principalement en France. En organisant la précession absolue de la théorie sur la pratique.
Et en interdisant, par conséquent, le retour d’expérience. Ce qui
provoque un déni du réel par rapport à l’idéologie, d’autant plus que
celle-ci se mélange avec la morale du Bien. Cette distorsion mentale est
très incrustée dans la pensée-réflexe des élites françaises, qui ont
toujours eu un gros problème avec le pragmatisme (1).
Or en sciences politiques – ce qui comprend l’économie mais aussi la stratégie militaire – la théorie doit procéder de la pratique et non point la pratique de la théorie. C’est ce qu’expliquait parfaitement Aristote qui, en politique, préférait l’expérience historique
aux Idées pures de son ancien maître Platon, qui ne sont que des
constructions abstraites, toujours brillantes mais le plus souvent
fausses.
L’échec
retentissant du système communiste (que même la Chine a abandonné)
provient de cet acharnement à suivre le dogme idéologique contre le
réel, contre la nature (2). En espérant, avec l’infantilisme de toute
construction intellectuelle, que par miracle la réalité va finir par
obéir à la théorie. Aujourd’hui en France, on assiste, en basse
intensité, à la persistance de cette illusion. Notamment dans deux
domaines.
Premier exemple : on théorise (pour des raisons idéologiques et morales) qu’une société ethniquement hétérogène est
possible, réalisable, souhaitable. Contre toute expérience actuelle ou
historique qui démontre exactement l’inverse. Ça ne marche pas, mais on
persiste dans l’utopie délirante de l’immigrationnisme, à grand renfort
de formules idéologico-romantiques (la ” diversité ”, le ”vivre
ensemble ”, le ”faire société ”, etc.) qui sont autant d’incantations
impuissantes.
Second
exemple : l’État Providence socialisé. Alors que ce dernier peut
fonctionner dans certaines circonstances mais pas dans toutes, on en
fait un absolu, un impératif catégorique. Et on refuse de voir l’échec
du dogme. On abolit tout retour d’expérience pour préserver l’idéologie
sacralisée qui n’est ni plus ni moins qu’une religion laïque.
Mais
cette dictature de la théorie sur la pratique s’observe dans bien
d’autres secteurs : la politique éducative, la politique pénale, la
politique énergétique (dogmes écolos), etc. Le bon sens s’effondre
devant l’intellectualisme et le dogme, c’est-à-dire, au fond devant la
croyance théorisée. Une croyance qui, d’ailleurs, finit par perdre son
honnêteté pour devenir un acharnement. Les croyants persistent d’autant
plus dans leur erreur qu’ils en prennent conscience sans se l’avouer.
La conséquence est, comme l’expliquait Jules Monnerot, l’hétérotélie,
c’est-à-dire l’obtention de résultats totalement inverses du but
recherché : l’antiracisme de la ”diversité” débouche sur le multiracisme
généralisé et la menace de guerre civile ethnique ; le ”social ” et
l’assistanat donnent lieu à la paupérisation et au chômage de masse ;
l’éducation égalitariste et anti-disciplinaire provoque le déclassement,
l’inégalité accrue, l’arrêt de l’ascenseur social ; les solutions
énergétiques des écolos augmentent les niveaux de pollution, etc.
Cette
fascination pour la théorie au détriment de la pratique relève de
l’abstractivisme, qui est le travers de couches sociales déconnectées du
réel du fait de leur mode de vie urbanisé et coupé de la nature, vivant
économiquement dans une situation fonctionnarisée, confortable,
irresponsable. Ce qui prédispose à la superficialité prétentieuse, à
l’absence d’effort d’observation, à la paresse intellectuelle au cœur
même de l’intellectualisme. Mais, à terme, le retour au réel finit
toujours par s’imposer – en général dans la douleur. Tout cela ne
signifie pas qu’il faille mépriser ou abandonner les théories mais les
formuler après et non avant le processus expérimental.
Une
théorie n’est pas faite pour être ”élégante” ou ”rebelle”, comme on le
croit trop souvent en France, mais pour être opérationnelle.
Notes:
(1)
On retrouvait un processus semblable dans la médecine du XVIIe siècle,
bien critiquée dans le théâtre de Molière : le respect du dogme passait
avant l’observation physiologique, d’où des méthodes thérapeutiques
catastrophiques.
(2) La plus grande imposture du marxisme – ou plus exactement son erreur philosophique majeure – a été de se penser comme matérialisme (réaliste) par opposition à l’idéalisme, alors qu’il est au contraire une forme exacerbée d’idéalisme.