"Cette notion de ruissellement ne signifie évidemment pas que l’enrichissement des uns fera directement couler des monceaux de billets sur les terres des pauvres comme certains ont ironisé. Mais elle traduit l’idée qu’en permettant aux plus entreprenants de créer de la richesse, les autres en profiteront aussi à terme par le ruissellement de cette richesse jusqu’à eux. Il ne s’agit donc pas non plus de croire que la richesse peut se diffuser automatiquement et couler à flots comme le champagne de ces fontaines de coupes construites pour certains mariage sur le verre supérieur desquelles il est déversé le champagne de nombreuses bouteilles qui descend ensuite de verre en verre et de niveau en niveau jusqu’aux verres placés au rang le plus large au niveau inférieur. Cette image du ruissellement exprime d’une certaine manière les effets d’une politique de l’offre qui, notamment en réduisant les charges fiscales et sociales et les réglementations excessives, tend à encourager l’innovation et la création d’entreprises. Les entrepreneurs qui réussissent s’enrichissent, mais ils n’y parviennent qu’en faisant travailler salariés, fournisseurs et sous-traitants qui profitent ainsi de leur initiative et des risques qu’ils ont pris. Les consommateurs en bénéficient aussi du fait de l’accroissement du nombre de produits et services mis sur le marché, par des entreprises plus nombreuses que la concurrence, incite à améliorer sans cesse leur production tout en en réduisant les prix. L’enrichissement des entrepreneurs qui réussissent contribue ainsi, dans une économie de marché ouverte et cadrée par un état de droit garantissant à tous les mêmes droits, à réduire la pauvreté. Mais en même temps elle est susceptible d’accroître l’inégalité.
Cette idée du ruissellement est donc combattue par tous les apôtres de l’égalité absolue qui ne sauraient admettre que l’inégalité se développe pour combattre la pauvreté. Ses adversaires soutiennent sans vergogne que cette théorie est non seulement mauvaise, mais même qu’elle n’a pas de consistance. « Il n’existe aucune théorie du ruissellement » écrit Jean-Marc Vittori le 2 octobre 2017 dans les Echos tout en tempérant son propos ensuite. Le pape François fulmine contre cette théorie. M Macron se défend que sa politique du premier de cordée s’y apparente et son Premier ministre préfère parler de sa politique comme d’un « effet de souffle fiscal en faveur de l’investissement, de l’emploi et de la croissance ». La réalité nous paraît tout à la fois moins hypocrite et plus complexe.
Le ruissellement n’est peut-être pas à proprement parler une théorie économique à part entière, mais il est une illustration des effets de la théorie libérale depuis que les physiocrates l’ont conceptualisée au XVIIIème siècle sur les bases de la philosophie du droit naturel, développée par les thomistes de l’Ecole de Salamanque. [...]
Dans le monde, selon le rapport de la Banque mondiale de 2016, le nombre d’individus vivant avec moins de 1,90$ par jour a chuté de plus des deux tiers depuis 1990 malgré l’augmentation significative de la population des pays les plus pauvres. Le taux de pauvreté (selon le standard antérieur de moins de 1$ par jour) dans les zones urbaines de l’Inde est passé de 39% en 1987-1988 à 12% en 1999-2000. Dans le même temps la croissance est passée de 0,8% jusqu’au milieu des années 1980 à 3,2% dans les années 1990 ; et si la croissance annuelle dans ce pays est passée de 0,8% jusqu’au milieu des années 1980 à 3,2% dans les années 90, « ce décollage n’est pas tant le résultat d’interventions locales que la conséquence de réformes systémiques, en particulier la libéralisation du commerce et celle du marché des biens et services » note encore Philippe Aghion.
Le prix Nobel 2015 Angus Deaton a constaté que les pays du tiers monde ont été enfoncés dans leur misère par l’assistance que leur a procurée trop longtemps le monde développé pour des raisons éminemment politiques. Cette assistance était largement accaparée par les plus puissants de ces pays, et ce qui en restait ne servait qu’à laisser croire aux populations assistées qu’elles pouvaient subsister sans créer de richesses par elles-mêmes. Ce qui a permis la réduction de la pauvreté dans le monde, rappelle Angus Deaton, c’est la croissance plus que les mesures de redistribution. Et cette croissance a été favorisée par la liberté d’enrichissement économique et non frauduleux laissée aux plus hardis et aux plus avisés. Ce qui bien entendu conduit à une certaine inégalité propre à la diversité des comportements humains.
Donnez un pain et deux pommes chaque matin à trois jeunes sans le sou. Le premier s’en contentera pour sa journée ; le deuxième les mangera dès le matin et ira crier famine à l’heure de déjeuner ; le troisième prendra sur lui de ne manger qu’une pomme par jour et vendra l’autre, à celui qui a mangé les deux le matin peut-être, pour accumuler jour après jour une petite fortune et devenir bientôt un vilain riche... capable d’embaucher les deux premiers pour développer son commerce de pommes. En acceptant des privations pour tenter de s’enrichir, le troisième entraine la « cordée » vers l’emploi. C’est la théorie du ruissellement selon laquelle la création de richesse profite à tous, différemment. L’égalité exigerait de les laisser tous les trois végéter dans une médiocre assistance et il y faudrait sans doute des mesures coercitives à l’encontre de celui qui a pris le parti de se priver et de travailler pour s’enrichir à terme.
Malgré les dénégations horrifiées d’une doxa bien pensante, la liberté de création et d’échange permet, mieux que toute autre démarche, de réduire la pauvreté. A condition bien sûr que l’Etat ne décourage pas ces initiatives en captant par exemple la plus grande partie du profit du vendeur de pommes ou en lui imposant tant de sujétions étranges et stupides qu’il renonce à son commerce. Certes notre vendeur de pommes gagnera plus que les deux autres qui auront trouvé un petit boulot chez lui. Mais n’est-il pas préférable que les 10% les plus pauvres gagnent 1 500€ par mois et les 10% les plus riches 8 000€ par mois, plutôt que respectivement 1 000€ et 1 500€ par exemple ?
Dans les pays démocratiques et libéraux, les grandes fortunes se bâtissent en créant des entreprises qui embauchent. Dans le monde, sur les 200 personnes les plus riches, 140 sont des entrepreneurs qui ont gagné leur argent grâce à l’entreprise qu’ils ont créée. Sur les 50 personnes qui possèdent les premières fortunes mondiales, 40 sont des entrepreneurs et sur les 10 personnes les plus riches du monde, 9 sont des entrepreneurs ! En France, les dix plus grandes fortunes appartiennent à des familles créatrices d’entreprises prospères et qui emploient 700 000 salariés, sans compter les innombrables sous-traitants et autres fournisseurs. [...] Il ne s’agit pas non plus, bien sûr, de vanter l’inégalité qui dans ses excès révèle souvent l’arrogance et le mépris des parvenus. Mais il ne faut pas l’éradiquer en tuant en même temps les talents. Au contraire, il convient de faire éclore ceux-ci, aussi nombreux que possible, en donnant leur chance et les mêmes droits à tous de façon qu’aucun ne soit empêché de s’instruire et d’entreprendre par l’obscurité de sa situation. Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté est de garantir à tous les mêmes droits. [...]
Aussi et à tout prendre, il vaut mieux choisir la liberté que l’égalité comme chemin de lutte contre la pauvreté et pour avancer vers la prospérité. Il est plus important de sortir les hommes de la pauvreté que de les rendre égaux artificiellement et généralement en les abaissant tous. L’inégalité en droit est injuste mais l’égalité n’est pas une vertu. Les hommes sont inégaux et imparfaits par nature, mais il est souhaitable et possible de lutter contre la pauvreté et le ruissellement, ou irrigation, y contribue. [...]"
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