Pierre Hillard : « Le régionalisme entraînera la mort de la France »
Pierre
Hillard est un essayiste français, docteur en science politique. Il est
connu pour ses analyses du mondialisme ainsi que du processus de
destruction des nations dans le but d’instaurer un gouvernement mondial.
M. Hillard a répondu à nos questions suite aux déclarations de François
Hollande, lors de sa conférence de presse du 14 janvier dernier, sur la
diminution du nombre de régions. Un régionalisme à marche forcée dicté
par l’Union Européenne et l’Allemagne…
Dans sa
récente conférence de presse, le chef de l’État a fait part de sa
volonté de diminuer le nombre de régions, tout en augmentant leur taille
et leur puissance. Comment recevez-vous ce projet ?
PH :
L’idée n’est pas nouvelle. Déjà, en 2009, le rapport Balladur avait
lancé un projet similaire. Le président Hollande veut, apparemment,
procéder à une refonte des frontières régionales françaises. En dehors
de la modification territoriale, il est difficile de savoir quelles
compétences nouvelles seront attribuées à ces régions. Pour le moment,
aucune information n’a filtré de l’Elysée. On peut, cependant, être sûr
que ces blocs régionaux vont acquérir tôt ou tard des prérogatives
supplémentaires car c’est la finalité du projet. Suis-je étonné d’une
telle annonce … bien sûr que non. Elle n’est que la conséquence d’un
long travail fait en amont dans le cadre de l’Union européenne. Celle-ci
s’inspire du travail fait en coulisses par l’Allemagne.
Peut-on y voir une tendance à tendre vers le modèle allemand des Länder ?
L’Union européenne
est le diffuseur des principes régissant la spiritualité politique
allemande : régionalisme ethnique et technocratique dans un cadre
fédéral. Le principe régionaliste a toujours été prégnant depuis
l’existence de la CEE puis de l’UE. Il a vraiment décollé avec
l’adoption du Traité de Maastricht (1992) instituant le principe du
fédéralisme. J’explique tout cela d’une manière détaillée dans mon livre
« Minorités et régionalismes ». Grâce aux travaux du professeur en science politique, Rudolf Hrbek[1], nous savons que les préparatifs ont vraiment commencé en 1987 : « Le
point de départ de cette nouvelle série d’initiatives fut la résolution
de la Conférence des Ministres-Présidents d’octobre 1987 à Munich, où
il fut fixé comme objectif « une Europe à structure fédérale ». Deux
plus tard, les Ministres-Présidents des Länder créèrent un groupe de
travail de leurs chancelleries d’Etat en lui commandant un rapport sur
la position des Länder et des régions face aux développements futurs de
l’Union européenne. Remis aux Ministres-Présidents en mai 1990, ce
rapport détaillé, contenant des propositions concrètes pour une révision
des traités régissant la Communauté, comprenait quatre points
principaux : introduction du principe de subsidiarité, modèles pour la
participation des Länder et des régions aux travaux du Conseil des
ministres, création au plan communautaire d’un Organe spécial,
possibilité pour les Länder et les régions d’intenter en tant que tels
des actions auprès de la Cour de Justice européenne. Ces revendications
furent soutenues par deux résolutions : l’une des Ministres-Présidents
du 7 juillet 1990 et l’autre du Bundesrat du 24 août 1990. La résolution
du Bundesrat demandait en outre au gouvernement fédéral de faire
participer les Länder aux travaux (y compris les travaux préparatoires)
de la Conférence gouvernementale et à l’élaboration des positions qui
seraient adoptées par les négociateurs allemands. Le gouvernement
fédéral répondit favorablement à cette demande des Länder : ce n’est que
durant les négociations finales à Maastricht que les chefs d’Etat et de
gouvernement restèrent seuls avec les ministres des Affaires
étrangères. Dans la phase préparatoire, au contraire, les Länder et le
gouvernement fédéral collaborèrent de façon très étroite. »
Tous ces travaux se
sont associés à une multitude de rapports et textes en tout genre
élaborés au sein d’instituts comme l’Assemblée des Régions Frontalières
Européennes (ARFE, institut européen, en fait allemand), l’Assemblée des
régions d’Europe (ARE) ou le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux
d’Europe (CPLRE). Les Commissions de l’ARE et du CPLRE dans les années
1980 et 1990 étaient occupés par des Allemands travaillant en liaison
permanente avec des Catalans, des Basques, des Friouls-Vénitiens, des
Galiciens ou des Flamands. Ce travail a permis d’élaborer des mesures
favorisant le régionalisme, l’ethnicisme et la promotion de la
coopération transfrontalière afin de faire disparaître les frontières
étatiques au profit d’eurorégions. Ces dernières ont pour vocation de
réunir des régions de part et d’autre des frontières devenues obsolètes.
C’est un remodelage complet des structures internes des pays européens
qui est en cours. Ajoutons que le décollage véritable de la
régionalisation s’appuie sur la recommandation 34 (1997) du rapporteur
allemand Peter Rabe, député du Land de Basse-Saxe, à l’époque dirigé par
Gerhard Schröder. C’est ce document qui propulse le principe
régionaliste dont la finalité est de donner aux collectivités régionales
un poids économique, fiscal, administratif, etc. complet en contournant
l’autorité nationale au profit d’un dialogue direct avec Bruxelles et
ses lobbies. Si le processus va à son terme, c’est la mort de la France
comme de tous les États européens. Dans cette affaire, François Hollande
et ses ministres ne font que suivre une feuille de route élaborée
depuis longtemps.
C’est le retour de baronnies dans le cadre d’un Saint-Empire romain germanique élargi à l’échelle de l’Europe.
Enfin, peut-on parler, comme l’évoquait l’un de nos contributeurs récemment, d’un retour à la féodalité dicté par Bruxelles ?
C’est exactement
cela. C’est le retour de baronnies dans le cadre d’un Saint-Empire
romain germanique élargi à l’échelle de l’Europe. Nous avons et nous
aurons de plus en plus des potentats locaux qui seront cajolés par les
lobbies et toutes les représentations étrangères planétaires présents à
Bruxelles. On imagine sans peine les magouilles en tout genre. D’autant
plus que la Commission européenne saura jouer des rivalités entre
régions pour abaisser les protections sociales. C’est la région dite
« la plus compétitive » qui sera la mieux vue. Déjà, on évoque des smics
régionaux. Il va de soi aussi que les remboursements médicaux ou soins
dentaires seront tirés vers le bas dans le cadre d’un mondialisme
oeuvrant en faveur d’une gouvernance mondiale. N’oublions pas que le
processus de régionalisation va de pair avec l’instauration d’un marché
transatlantique. C’est lié. Il faut détruire les Etats pour laisser la
place à une multitude de régions qui n’offriront aucune résistance aux
produits et aux normes venant d’outre-Atlantique. Si le président Bill
Clinton, recevant en 2000 la plus haute distinction euro-fédéraliste, le
Prix Charlemagne, a prôné la régionalisation de l’Europe, ce n’est
sûrement pas l’effet du hasard. Nous sommes engagés dans une spirale.
Malheureusement, les Français dans leur grande majorité n’ont pas
compris la finalité de cette politique. Sauf miracle (et j’y crois), il
ne faut pas oublier l’enseignement de l’histoire qui rappelle que la
nature élimine les êtres et les États qui ne perçoivent pas les dangers
mortels.
Propos recueillis par Christopher Lings
[1] Documents, revue des questions allemandes, Janvier-Février-Mars 1998, Paris.