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BREIZATAO – KELTOURIEZH VIA LE CHEMIN SOUS LES BUIS (10/01/2014) Jean-Paul
Savignac est un savant gaulois auprès duquel Astérix et ses comparses
apparaissent comme des caricatures qui prolongent l’occultation par la
gallo-romanité des richesses de ce pays plus grand et, sans doute, plus
civilisé que la France actuelle.
Hier
est paru en librairie le livre que Jean-Paul Savignac a écrit, pour les
Éditions de la Différence, sur la mythologie gauloise. Des gouaches de
Jean Mineraud accompagnent chacun des textes de cet ouvrage.
Ce
premier livre, qui raconte la naissance et l’adolescence, en définitive
la genèse, du dieu tutélaire de la Gaule, Lougous Longue-Main, inaugure
une série d’ouvrages qui ne se limiteront certainement pas aux huit
livres d’ores et déjà programmés.
****
«
Nous sommes secrètement fiers des Gaulois », m’a dit, un jour, une amie
journaliste. Il y a de quoi, bien que nous les voyions à travers le
prisme déformant de notre présent. Un mot résume ce qu’ils furent et ce
en quoi nous nous reconnaissons en eux, ce grain de folie qui dépasse
toutes les philosophies, tous les pragmatismes, tous les dogmes : le
panache. Cette qualité chevaleresque exprime leur attitude à l’égard des
femmes, d’où procède notre courtoisie, leur désir des beaux tissus et
des belles parures d’or, d’où vient notre goût de l’élégance et du
raffinement, leur amour du faste partagé, des beaux chevaux, de la belle
parole écoutée pour elle-même et vénérée, qui fondent notre culte du
Beau. De leur héritage provient également, issu de leur Chaudron de
jouvence et d’immortalité, le Graal, ce symbole de l’élan religieux et
du dynamisme pétulant de la France.
Leur
antiquité quasi fabuleuse satisfait notre rêve de descendre d’ancêtres
sortis de la nuit des temps et brusquement entrés dans la lumière de
l’histoire, c’est-à-dire de remonter au plus loin, dans le passé du
passé, pour nous relier aux dieux, ce dont se prévaut, par exemple, Don
Ruy Gomez de Silva fier de montrer à Hernani la galerie des tableaux de
ses aïeux, comme tous les nobles du monde, et ce dont
s’enorgueillissaient les Gaulois eux-mêmes, tel ce Ouiridomaros qui se
targuait d’être issu du Rhin lui-même. Car les Gaulois possédaient eux
aussi une antiquité.
Autre
joie fière qu’ils nous donnent : nous sentir intimement familiers avec
la terre de la Gaule-France qu’ils ont aimée au point d’en nommer les
plaines, les rivières, les montagnes et les installations humaines. Si
la langue gauloise avait subsisté, elle serait devenue du français. Les
toponymes en France le prouvent. Prenons au hasard le nom de Bayeux,
admiré pour ses sonorités et sa couleur vieil or par Marcel Proust.
C’est le nom gaulois Bodiocasses qui évolue phonétiquement au fil des
siècles en Baiocasses pour prendre jusqu’à notre XXe siècle la forme
gallo-française de Bayeux. Ainsi en est-il de Vannes (Ouenetia), Rouen
(Ratomagos), Dijon (Diouio), Meung (Magidounon), Tonnerre
(Tournodouron), Évry (Ebouriacon), Sablé (Sapoialon), Genouilly
(Genouliacon), Chambord (Camboritou), Alençon (Alantionon), Toul
(Toullon), Niort (Noouioritou), Riom (Rigomagos), Châlons (Caladounon),
Nanterre (Nemetodouron), Arles (Arelate), Lyon (Lougoudounon), Paris
(Parisii)…
Notre
fierté inavouée se fonde encore sur l’admiration que les Gaulois nous
inspirent : ils ont versé leur sang pour défendre leur liberté. Pleurons
les Gaulois de ce sacrifice sublime — « Morts pour la Gaule » ! — et
déplorons amèrement l’infamie de ceux d’entre nous qui ricanent à leur
propos, ingrats et ignorants de l’évidence du fait que tout homme a
nécessairement des ancêtres ! On n’insulte pas des héros. Les nazis
savaient ajouter à l’ignominie de martyriser et de tuer leurs victimes
innocentes la perversion de les humilier avant. Ne suivons pas leur
exemple. J’ai jadis été frappé par un film qui offrait, aux sons de
chants graves que l’on reconnaissait comme étant tibétains, les images
d’armes gauloises et d’ossements humains disposés sur un sol herbu. La
force incantatoire des voix, transcendant la douceur du paysage entrevu,
la sobriété de l’armement épars à même le désastre des os et des
crânes, tout ce spectacle lent et terrible inspirait une farouche
sympathie pour ceux qui s’étaient battus là. C’était tout ce que pouvait
faire une caméra, mais il y avait dans ce travelling quelque chose
d’exemplairement évocatoire.
Et
puis il y a ce phénomène agréable que nous voyons le Gaulois comme un
être joyeux. Le rire gaulois, la bonne humeur : voilà ce que nous ne
saurions dénier à nos illustres pères. Sans doute faut-il y voir
l’influence de Rabelais, le maître rieur, en la parole duquel nous
reconnaissons l’expression la plus libre de notre génie national. C’est
que Rabelais est gaulois ! Jehan de Gravot (un de ses pseudonymes)
s’honore bien d’avoir écrit des Évangiles gallicques ! Ces Gaulois, nous
les devinons plus gaillards que paillards à en croire certaines
inscriptions antiques sur pesons de fuseaux qu’ils nous ont laissées. Le
rire que leur évocation suscite spontanément en nous, s’il ne trahit
pas un plaisir régressif ou une intention railleuse, pourrait être, à
mon sens, un écho de leur propre gaieté. Des ancêtres qui font rire !
Nous avons de la chance. Il plaît de penser que leur joie reflétait la
félicité des dieux. Les dieux : nous en revenons là. « La nation est
toute des Gaulois dans une pleine mesure adonnée aux rites », remâche
César.
Avons-nous
vraiment hérité d’eux ? Hypocrite question ! Ce sont les mêmes héros,
les mêmes martyrs, les mêmes bourreaux, les mêmes victimes qui, pour
ainsi dire, se réincarnent. L’héritage de leur langue, fût-elle
fragmentaire, est une preuve suffisante de la continuité qui nous relie à
eux.
Il
faut décaricaturer les Gaulois, les désanathémiser, les débarbariser,
les dépolitiser, les débarrasser de tout ce qui a été projeté sur eux.
L’ostracisme dont ils sont victimes ne date pas d’hier. Considérés comme
vaincus ils ont été abaissés par Rome, dépossédés de leur langue, de
leurs usages et de leurs prêtres par l’administration impériale romaine,
combattus par le christianisme constantinien. Vilipendés plus tard par
les rois de France qui se prétendaient francs, c’est-à-dire d’origine
germanique, ils ont été traités en réprouvés.
Des
historiens les ont brandis, à la fin du XIXe siècle, comme les drapeaux
d’un nationalisme revanchard et, à cause de cela, aujourd’hui, une
propagande historique post-nationale, qui plaide pour la « diversité »,
cherche à les éradiquer de notre mémoire. On a fait d’eux des bouffons
sympathiques à travers une bande dessinée pour le moins simplificatrice,
qui a toutefois le mérite de les avoir sortis des ténèbres et de nous
faire rire. Mais qu’est devenue leur dignité humaine ? Avons-nous envie
de rire, quand nous voyons, au musée Bargoin de Clermont-Ferrand, les
crânes des Gauloises auxquels adhèrent encore leurs cheveux tressés en
une natte unique derrière la tête, comme celle des squaws ? Nous sommes
sans doute le seul peuple au monde qui salisse le souvenir de ses
ancêtres, alors que nous avons été le seul à les revendiquer pour tels !
Ils ont la vie dure.
Aujourd’hui,
nos prédécesseurs de la Gaule sont réduits par une archéologie muette
et fossoyeuse à des cailloux, des ossements et de la ferraille qu’elle
restaure et place dans des vitrines de palais, plutôt que de se voir
ressuscités en tant qu’hommes ; car les hommes ne se définissent pas
comme des utilisateurs d’objets, mais d’abord comme des êtres doués de
la parole. Qui se soucie de réentendre la parole gauloise ?
Qu’avons-nous fait de leur parole ? Qu’avons-nous fait de la Parole ?
Les quelque deux mille inscriptions gauloises parvenues jusqu’à nous
pourraient donner des éléments de réponses, hélas, elles sont l’affaire
de linguistes de bibliothèque avares de leur science.
Le
peuple français s’est souvent divisé pour mieux se comprendre. Nous
avons su que tout était affaire de dialogue et que notre dualisme
apparent aboutissait à la résolution harmonieuse des contraires.
Idéalisme chevaleresque et réalisme populaire. Légalité et révolte.
Rationalité et imagination : pour Pascal l’imagination est « la folle du
logis », pour Baudelaire c’est « la reine des facultés ». Poésie et
prosaïsme. Anciens et Modernes. Tradition et modernité. Patriotisme et
trahison. Ponts et Chaussées et Eaux et forêts… Pourquoi pas culture
gréco-latine et héritage gaulois, voire francité et gallicité ? Le
délire des formes de l’art gaulois s’ordonnant selon un impeccable lacis
géométrique ne donne-t-il pas l’image d’une réconciliation possible
entre deux visions des choses opposées ? Qu’avons-nous à perdre à
engager le dialogue avec une origine qui parle ? L’enjeu en est
l’émergence de notre obscure identité française. Reprenons le débat,
sans arrière-pensées. Ce n’est pas en reniant ce que nous avons
foncièrement été que nous contribuerons à renforcer la nécessaire
diversité des nations. Le bonheur des hommes a besoin de différence, non
d’uniformité. Explorons notre différence ! Pour cela, ne rejetons pas
notre secrète nuit intérieure. C’est un trésor.
Refoulés
par la civilisation voulue par l’Église, les Rois et la République, les
mythes des Gaulois ont perduré souterrainement. Ils gisent dans les
contes et légendes, les vieilles chansons, chères à Nerval, les Vies
édifiantes, les romans médiévaux et resurgissent dans nos rêves
conformément à leur nature immortelle. Si bien qu’il est possible, en
ces temps de perte des repères, d’offrir aux lecteurs ces chants
premiers inspirés de l’iconographie antique continentale dont le reflet
littéraire brille dans les vieux textes insulaires, irlandais et
gallois. Ces récits mythiques, les voici restitués dans leur palpitation
authentique. Il suffisait d’endosser le manteau du conteur.
Voici
des dieux qui ont laissé leurs noms aux terres gauloises, voici leurs
exploits épiques, voici leurs figures mystérieusement familières, voici
une mythologie toujours pressentie et enfin recouvrée et révélée. Le
dieu qui incarne les Gaulois, Lougous Longue-Main, le protecteur de
Vercingétorix, traceur de routes, accourt escorté des autres divinités.
Le récit de ses aventures, divinement illustré par Jean Mineraud,
inaugure la collection LES HOMMES-DIEUX aux Éditions de La Différence.
Suivront Argantorota Grande-Reine, Cernounnos Torque-d’Or, Nodons
Main-d’Argent, Gobannos Feu-Hardi, Ambactos Corps-Dévoué, Nectanos
Gardien-des-Eaux, Ollouidios Roue-du-Monde.
Jean-Paul Savignac