Le grand quotidien allemand Süddeutsche Zeitung (SZ)
donne des détails importants, à partir de sources de première main, sur
les négociations entre les USA et l’Allemagne concernant les activités
d’espionnage, de surveillance et d’écoute de la NSA en Allemagne. (On
connaît la position en flèche de l'Allemagne à cet égard [voir le 12 décembre 2013et le 20 décembre 2013].) Ces informations sont prises avec d’autant plus d’attention que le quotidien SZ
a une réputation considérable de sérieux et une influence à mesure,
largement répercutée par son tirage important. Pour ce cas précis de la
crise Snowden/NSA, le SZ n’a pas l’habitude de diffuser des
informations polémiques, ni de faire dans un anti-américanisme militant,
par conséquent les indications qu’ils donnent doivent d’autant plus
être considérées avec préoccupation par ceux qui espèrent un arrangement
Allemagne-USA.
Le 14 janvier 2014, Russia Today a consacré un article aux informations du SZ, dont le titre annonce clairement l'humeur (“Les Amérticains nous mentent”). «Tuesday’s
edition of Süddeutsche Zeitung daily came out with the headline ‘The
Americans lied to us’. The German daily was quoting an unnamed
high-ranking local official who claimed that even in the wake of the
recent scandal, when it emerged that the NSA had been tapping the mobile
telephone of German Chancellor Angela Merkel, the White House would not
promise to stop listening to German politicians’ phone calls. [...]
»According
to Süddeutsche and a report on public broadcaster NDR, during the
negotiations the US officials were expected to give German counterparts
access to the alleged listening station, believed to be on the top floor
of the US embassy in Berlin, and to shed light on how long Merkel’s
phone had been monitored and whether she was Germany's only key
politician to be targeted. Süddeutsche has quoted a “German expert
familiar with the state of the negotiations” as saying “we're getting
nothing.” As a result, according to the newspaper, the head of Germany’s
foreign intelligence agency (BND) Gerhard Schindler stated that if
things don't improve, he would prefer not to sign the deal at all.»
Reuters publie un article, ce même 14 janvier 2014,
où le caractère abrupt des mauvaises nouvelles des négociations est
démenti ou du moins édulcoré par le ministre de l'intérieur, sans pour
autant donner de précisions rassurantes. Le SZ n’est pas nommé,
ce qui permet d’éviter une éventuelle polémique avec le quotidien et
semblerait confirmer implicitement ou indirectement au moins les
difficultés de la négociation. L’agence Reuters obtient elle-même des
précisions officieuses allemandes qui ne sont pas plus optimistes,
tandis que les déclarations du côté US restent également très
imprécises.
«A
government source in Berlin told Reuters the United States remained
interested in a deal but was loath to give a blanket pledge not to try
to monitor government members. Caitlin Hayden, a spokeswoman for the
U.S. National Security Staff at the White House said discussions with
Germany so far had yielded “a better understanding of the requirements
and concerns that exist on both sides”. “Such consultations will
continue among our intelligence services as a part of our shared
commitment to strengthen our practical cooperation in a manner that
reflects the shared threats we face, the technological environment in
which we operate, our close relationship with one another, and our
abiding respect for the civil and political rights and privacy interests
of our respective citizens,” Hayden told Reuters.
»German
Foreign Minister Frank-Walter Steinmeier said on Tuesday he was
anything but relaxed about the matter but there was still time to make
progress. “A next step will be that we look at the reforms to be
announced by President Obama with regard to limiting the activities of
intelligence agencies.”
A côté de ces prises de position incertaines mais qui tentent d’écarter l'impression selon laquelle SZ
a donné des indications réellement significatives, des réactions
officielles d’hommes politiques à propos de l’article incriminé
finissent par donner à celui-ci, au contraire, toute l’apparence de
sérieux et de fondement qui importe. On trouve là des indications plus
justes de l’intérêt qu’il faut accorder aux nouvelles donn,ées : les
négociations entre les USA et l’Allemagne, concernant les garanties
demandées par les Allemands, ne progressent pas, au point que l’on peut
parler d’une impasse.
«Lawmakers
in Berlin reacted sharply to the Sueddeutsche report with several who
are in Merkel's grand coalition warning of consequences if the talks
collapse. “The Americans understand one language very well – and that's
the language of business,” said Stephan Mayer, a senior lawmaker in the
ranks of Merkel's conservatives. He told Reuters that if the deal fails,
Germany should consider barring U.S. companies from getting public
sector contracts because it could not be ruled out that U.S. contractors
would engage in espionage activities. “I would want to pull out this
sword that there could be economic sanctions at stake here,” Mayer said.
»Michael
Hartmann, a senior Social Democrat lawmaker, also called for sanctions
if the talks unravelled. “If these reports are true I can only warn the
Americans that they haven't heard the explosion over here,” Hartmann
told German radio. “We're not going to allow millions of Germans, right
up to the chancellor, to be eavesdropped on. We have to tell the United
States that U.S. companies operating in Germany and can't guarantee the
security of our data will not get any contracts from us anymore.”»
Un
expert allemand consulté par Reuters, Sancho Gaycken, donne
l’appréciation cynique habituelle, à savoir qu’un accord de limitation
et de contrôle des écoutes de surveillance et d’espionnage est
impossible à atteindre en pratique technique, que tout le monde le sait,
et que si même il y a accord personne n’aura aucune confiance en lui.
(«It's a naive to think a ‘no-spy’ deal would be possible but
there's no harm raising the issue. It's not terribly surprising. Not
many people really expected it would happen and even if there was a
deal, would anyone really trust it?»)
L’appréciation
de Gaycken n’a guère d’intérêt, comme en général celles de spécialistes
dans ce genre d’affaires, lorsqu’ils prétendent donner des avis
techniques d’où l’on pourrait sortir des appréciations politiques. La
question n’est donc pas de savoir si un accord qui serait atteint serait
éventuellement et effectivement efficace, ou si un accord
éventuellement et effectivement efficace pourrait être atteint, ou si
encore un accord effectif aurait la confiance de quiconque quant à sa
validité. En un sens, ce que dit Gaycken est une évidence dont tous les
Allemands sont évidemment informés depuis l’origine de cette affaire. Ce
qu’il importe de savoir, c’est bien le but de la démarche allemande,
c’est-à-dire de savoir si les dirigeants allemands considèrent comme un
objectif de sécurité nationale de décréter que tout doit être fait pour
assurer des mesures de défense effectives contre la NSA, – en d’autres
mots, si oui ou non les activités de la NSA doivent être appréciées
comme des activités “hostiles” et traitées comme telles.
Une
indication à ce propos est la remarque faite par le ministre allemand
des affaires étrangères, qui reflète le malaise, ou la détermination
c’est selon, des dirigeants politiques allemands. La remarque renvoie
l’ensemble de la problématique, et notamment les négociations entre
l’Allemagne et les USA, vers le débat politique intérieur US à ce sujet,
notamment le débat entre le président et le Congrès où une partie
importante des parlementaires réclame des mesures décisives de “réforme“
de la NSA. Si les mesures que va annoncer Obama vis-à-vis de la NSA
sont sérieuses, les Allemands devraient estimer qu’il existe une
possibilité que la NSA soit effectivement contrainte, sur instruction
politique, de limiter elle-même ses activités. Dans le cas contraire, si
les mesures annoncées par Obama s’avéraient être de type “cosmétiques”,
les négociations entre les USA et l’Allemagne devraient alors
effectivement conduire à un échec. De ce point de vue, les indications
données par SZ sont certainement justes, parce qu’effectivement
ces seules négociations ne pourront aboutir à quelque résultat que ce
soit, et il est donc logique que les négociateurs allemands n’obtiennent
rien de sérieux de leurs interlocuteurs. Par conséquent, si Obama ne
donne pas satisfaction (et aux critiques US de la NSA, et aux attentes
des Allemands), les négociations déboucheront sur une absence d’accord
et l’Allemagne reprendra complètement sa liberté.
...
“Reprendre sa liberté”, pour l’Allemagne, cela signifie se juger fondée
de prendre toutes les mesures défensives possibles, avec notamment des
ruptures de collaboration avec les firmes US, l’établissement de
nouveaux réseaux, etc. Mais ces mesures techniques, à l’efficacité
discutable, ne constitueraient dans ce cas qu’une partie mineure des
réactions auxquelles seraient conduits sinon contraints les dirigeants
allemands, tant par leur opinion publique, que par leurs industriels,
que par leurs bases politiques au niveau parlementaire, voire par leurs
services de sécurité nationale si ceux-ci ont été mis dans une position
où ils doivent tenter d’obtenir des résultats effectifs de protection
face à la NSA. Cela signifie qu’effectivement, la NSA et ses activités
seraient décisivement considérées comme “hostiles”, et cette évolution
au départ technique et de communication prendrait nécessairement une
dimension politique. Elle interférerait sur les relations USA-Allemagne,
et sur les relations transatlantiques qui vont avec, en introduisant
dans toutes les nombreuses relations de sécurité qui existent un doute
et un soupçon fondamentaux, et jusqu'à des mesures de prise de distance
qui auraient des allures parfois proches d'une rupture.
SZ
n’a fait que nous avertir que tout le monde attend Obama, parce qu’on
ne peut faire autrement qu’attendre Obama et ses décisions.
Accessoirement, l'article de SZ, si les services de
communication US s'en sont avisés jusqu'à le faire traduire, permet
indirectement d’avertir Obama que les Allemands attendent très
sérieusement des mesures concrètes contre la NSA... Cela n’est pas
nécessairement, ni rassurant, ni prometteur du point de vue de la
cohésion interne du bloc BAO, de l’Allemagne et des USA dans ce cas ;
après tout, l’on pourrait reprendre la déclaration de Gaycken à propos
de la décision d’Obama, en remplaçant le mot “deal” par le mot “decision” (“It's a naive to think a ‘no-spy’ [decision] would be possible ... It's not terribly surprising. Not many people really expected it would happen and even if there was a [decision], would anyone really trust it?»).