Europe Maxima
Madame, Mademoiselle, Monsieur, Chers Amis et Lecteurs du site,
Toute l’équipe d’Europe Maxima
adresse d’abord à ses lecteurs internautiques et numériques tous ses
meilleurs vœux de Santé, de Force et de Prospérité. Que cette nouvelle
année 2014 vous apporte les munitions intellectuelles nécessaires pour
les combats à venir qui seront décisifs.
Depuis
hier est mise en ligne l’émission 172, diffusée le 17 janvier dernier,
de « Méridien Zéro » sur le site éponyme consacrée à « Au-delà de
Bruxelles et du repli national, la perspective altereuropéenne » animée
par M. P.G.L. en compagnie de Thomas Ferrier, responsable du Parti socialiste pour l’union de la nation européenne, du célébrissime M. K. et du rédacteur en chef de votre site préféré, Georges Feltin-Tracol, pour un débat riche et animé.
Pour cette nouvelle livraison dominicale, à quelques semaines de l’ouverture des J.O. à Sotchi en Russie, Europe Maxima
vous propose par l’intermédiaire de la Toile numérique un débat franc
et courtois entre le spécialiste en géopolitique bien connu, Aymeric
Chauprade, et Jacques Marlaud, responsable du site L’Esprit européen.
La rédaction
*
**
Aymeric
Chauprade, docteur en sciences politiques, savant de renommée
internationale, l’un des spécialistes de pointe de la géopolitique en
France, assigne à la Russie un rôle de première importance dans la mise
en place du monde moderne. En quoi la croissance de l’influence russe
est-elle liée à la renaissance de l’Orthodoxie ? Comment notre pays
peut-il aider les chrétiens persécutés du Moyen-Orient ? Comment son
rôle particulier est-il lié aux protestations récentes de millions de
Français contre le mariage homosexuel ?
C’est là le sujet de notre discussion avec Aymeric Chauprade.
La foi et l’argent
Thomas : qu’est-ce qui attire particulièrement votre attention dans la Russie d’aujourd’hui ?
Aymeric Chauprade :
Je comprends pourquoi, pour les Français de ma génération ou même plus
jeunes, la Russie est si attirante aujourd’hui, et pourquoi les gens
apprennent le russe et déménagent ici pour y fonder leur propre affaire.
Ce n’est pas une sorte de phénomène marginal, le flot de ces gens est
de plus en plus significatif. Ils ne sont pas, bien sûr, des dizaines de
milliers, mais ils sont nombreux. Et ce phénomène est nouveau. Avant,
les jeunes gens partaient aux U.S.A., brûlaient du « rêve américain ».
Et maintenant, vient le remplacer le « rêve russe ». Et il est lié, à la
différence du rêve américain, non aux aspects matériels et financiers,
mais ce qui est plus important, à la recherche de soi, en tant qu’homme,
à un retour aux sources chrétiennes. Pour la plupart des Européens, qui
se réfèrent à leur culture chrétienne, la Russie incarne de plus en
plus une sorte de contre modèle de l’Europe, en ce qui concerne les
valeurs familiales et spirituelles.
Thomas : C’est étonnant, vous avez, pour un étranger, une idée si flatteuse des Russes…
A.C. :
Bien sûr, les Russes participent à la société de consommation comme
tous les autres dans le monde entier. Mais tout de même, ici, en Russie,
on rencontre chez les gens quelque chose de profond, (peut-être la «
mystérieuse âme russe » ?), la conviction que l’argent n’est pas dans la
vie la valeur suprême. Et cela est vraiment attirant pour les jeunes
Français, ceux du moins qui se trouvent en quête de plus profond que
l’élargissement de leurs possibilités matérielles. C’est paradoxal, mais
c’est un fait. Je vois d’un côté, en Russie, quelque chose de très
proche de la culture américaine : le besoin d’amasser, le désir de
déballer son niveau de réussite. Mais d’un autre côté, il y a là quelque
chose qu’on ne trouve pas dans la culture américaine : si l’on fait
connaissance avec un Russe d’une façon moins superficielle, on
s’aperçoit que mise à part la soif de réussite, il y a en lui le désir
de se trouver lui-même : « Qui suis-je et pourquoi est-ce que je vis » ?
Et à mon avis, cela est directement lié en premier lieu au retour des
Russes vers la religion, en partie à l’Orthodoxie. C’est une renaissance
religieuse, le besoin de restaurer le lien du présent avec toute
l’histoire russe. Je n’idéalise pas, cela plane dans l’air et se sent
clairement. C’est seulement une réalité qu’on peut constater.
Thomas : Et
que s’est-il donc passé pour que la Russie soit brusquement devenue
attirante aux yeux des étrangers sur le plan des affaires ? Qu’est-ce
qui a changé ?
A.C. : La
façon de considérer la Russie a changé. Quand on disait « la Russie »
dans les années 90, on comprenait la mafia. Et cela faisait peur de
venir travailler ici et y investir de l’argent, on pouvait tout perdre
d’un coup. Mais de telles associations n’existent plus. Les gens ont
senti que sur le plan économique, ici, c’était maintenant sans danger.
Il existe une différence colossale entre le tableau que tracent de la
Russie les médias pro-américains et ce que connaissent de la Russie les
analystes économiques. Les premiers considèrent tout ce qui est lié à la
Russie d’une façon strictement critique.
Les
seconds regardent les choses d’une façon lucide et réaliste et savent
qu’en Russie, toutes les conditions sont rassemblées pour y conduire des
affaires. J’ai personnellement entendu dire lors d’une conférence au
directeur d’une compagnie française très importante : « Avant, nos
entrepreneurs allaient en Chine, mais en réalité, personne n’a rien pu y
gagner, à part les marques de luxe. Aujourd’hui, les compagnies
françaises importantes gagnent beaucoup d’argent en Russie. Celui qui
investit ici fait de bonnes affaires ».
La comparaison avec la Chine est vraiment intéressante. Il y eut en effet la période du boum
chinois, les Européens ont pris pied dans le marché chinois, et au
début, semblait-il, les bénéfices croissaient à des rythmes
extraordinaires. Mais la différence entre les cultures est telle que les
gens tombaient dans une véritable frustration et sortaient de ce marché
: ils ne parvenaient pas à être « chez eux » dans cette civilisation,
ils restaient de toute façon « étrangers » en Chine. Alors que les
Russes et les Français, malgré toutes les différences sont en fin de
compte très proches.
Thomas : En quoi la renaissance économique du pays est-elle liée au retour des Russes vers la religion ?
A.C. : J’ai
rencontré des Russes qui sont matérialistes à 100 %. Mais j’ai aussi
rencontré personnellement ceux qui gagnent beaucoup d’argent mais se
souviennent qu’il y a quelque chose de plus grand que l’argent, par
exemple le salut de l’âme. Ces entrepreneurs qui sont loin d’être
pauvres décident à un certain moment de dépenser une partie (parfois
importante) de l’argent gagné pour financer des projets liés à l’Église,
à l’éducation, à l’illumination, afin que les gens viennent à la foi en
Dieu. C’est à mes yeux très important. À ce propos, cela existe aux
U.S.A., dans les milieux protestants. En France, justement, cela nous
manque beaucoup, peu de gens qui, ayant gagné beaucoup d’argent
voudraient l’affecter à la cause de la renaissance de la religion et des
valeurs spirituelles. De mon point de vue, c’est la maladie gravissime
de l’Europe Occidentale contemporaine.
Rattraper et dépasser l’Occident ?
Thomas : Quelles sont vos impressions personnelles de votre participation au club de discussion « Valdaï » en septembre 2013 ?
A.C. : Honnêtement,
j’en garde des sentiments mitigés. D’un côté, j’ai été impressionné par
le niveau du déroulement de l’évènement lui-même, la diversité des
experts très intéressants et l’organisation intelligente des
discussions. Mais ce qui me troublait d’un autre côté, c’est que la
philosophie générale de « Valdaï » est pénétrée de part en part par la
vision du monde occidentale et libérale. J’avais l’impression que toute
une classe de politiques russes, rassemblés à Valdaï, pas tous mais la
majorité, essaie de dépasser l’Occident sur le plan des valeurs
libérales. Et ils essaient de le faire de telle manière que la Russie
reçoit ces valeurs comme la norme. D’après moi, c’est étrange. La Russie
sur le plan spirituel et culturel a toujours suivi son propre chemin
historique, et elle a aujourd’hui la possibilité de créer son propre
modèle de civilisation sans copier l’Occident. Cela sonnera peut-être
comme une provocation, mais quand à Valdaï j’ai entendu certains
politiques, j’ai eu l’impression qu’ils se sentaient comme des
représentants d’un pays du tiers-monde, et tentaient de toutes leurs
forces de se montrer à leur avantage devant l’Occident « civilisé »,
comme pour dire : « Nous aussi, nous avons le progrès, regardez comme
nous sommes libéraux. » Comme s’ils étaient des élèves, et que de
l’Occident étaient venus des professeurs qui leur disaient avec
condescendance : « Eh bien que voulez-vous, il vous faut encore, bien
sûr, travailler à la lutte contre la corruption, à la défense des droits
des minorités. Vous avez bien sûr fait des progrès particuliers, mais
ce n’est quand même pas suffisant. » Et les savants russes, s’excusant,
répondent : « Oui, oui, oui, nous allons essayer, nous allons grandir. »
Je considère que la Russie mérite mieux.
Thomas : Mais il y vraiment en Russie de grands problèmes de corruption, tout le monde le sait…
A.C. : Je
ne veux pas dire qu’en Russie tout soit rose. Je dis que dans les
questions de civilisation et de culture, la Russie a ses réalités
historiques, et il n’y a pas de nécessité à l’évaluer toujours sur le
fond des pays occidentaux. Il va sans dire qu’en Russie, comme dans tout
autre pays, il y a des problèmes. Il faut lutter impitoyablement contre
la corruption, Mais soit-dit en passant, elle existe aussi de la
corruption en Occident.
Thomas : Est-ce possible ?
A.C. : Le
fait est que les critères pour déterminer le niveau de corruption de
tel ou tel pays sont établis et installés par des agences occidentales
et que d’après leurs estimations, en France, en Allemagne ou aux U.S.A.
la corruption, cela va sans dire, ne peut exister. C’est pourquoi je ne
prendrais pour preuves leurs estimations qu’en Russie tout va mal
qu’avec prudence. J’affirme qu’en Europe, la corruption existe aussi.
Peut-être n’est-elle pas aussi voyante, aussi criante, mais elle existe.
Elle est seulement cachée, masquée, exprimée d’une autre manière que «
Je te donne l’argent, tu me fais le contrat ». Dans le cas de
l’Occident, il est plutôt question d’une corruption de l’esprit, du
caractère des gens eux-mêmes. C’est une sorte de profonde corruption
morale, exprimée en cela qu’on a complètement exclu Dieu de notre vie.
Mais personne n’a parlé à Valdaï de cette corruption fondamentale du
monde occidental.
Il faut défendre les chrétiens
Thomas : Pourquoi les persécutions de chrétiens au Moyen-Orient sont-elles devenues si cruelles ces derniers temps ?
A.C. : En
fait, les chrétiens du Moyen-Orient se trouvent depuis longtemps dans
une situation de continuelle pression. La Turquie en est l’éclatant
exemple. Au début du XXe
siècle, huit pour cent de la population turque était chrétienne, et il
est aujourd’hui question de quelques centièmes d’un pour cent. Il n’y a
pourtant pas, en Turquie, de persécution physique des chrétiens. En
revanche, on interdit l’enregistrement de nouvelles paroisses, et les
gens sont obligés de quitter le pays d’eux-mêmes. En un mot, on essaie
doucement et en silence d’étouffer le christianisme. Et c’est la
situation générale des pays du Moyen-Orient.
Mais
il y a une autre tendance, une relation ouvertement grossière et
cruelle aux chrétiens. Cette tendance s’est activée particulièrement
après la guerre d’Irak. Il faut malheureusement reconnaître que les
guerres des U.S.A. dans cette région ont facilité à leur manière
l’émergence du fondamentalisme islamique, en particulier sunnite. Que ce
soit il y a quelques années en Irak ou aujourd’hui en Syrie, ce sont
les mêmes extrémistes sunnites. Ils détruisent les églises, scient les
croix, profanent les icônes et, bien sûr, éliminent physiquement les
chrétiens, parmi lesquels apparaissent à nouveau de véritables martyrs.
C’est pourquoi si le régime du président de la Syrie Bachar el Assad
s’effondre, il est tout à fait évident que les persécutions ne feront
que s’intensifier. En un mot, ces jeux politiques, cette union entre les
U.S.A., la Grande-Bretagne et, à mon grand regret, la France, font les
affaires des islamistes fondamentalistes dans leur lutte contre les
chrétiens. Je souligne que je ne parle pas de l’islam dans son ensemble
en tant que religion mais bien des fondamentalistes, c’est-à-dire d’un
groupe particulier de gens aux dispositions guerrières à l’intérieur du
monde musulman.
La
Russie, dans la situation de la persécution des chrétiens au
Moyen-Orient peut jouer un rôle vraiment historique, tout à fait dans le
courant de toute l’histoire russe. Car au cours de nombreux siècles,
jusqu’à la révolution de 1917, la Russie a été le défenseur assidu des
chrétiens d’Orient. Et il est indispensable aujourd’hui, à mon avis,
qu’elle redevienne ce défenseur. Il faut que la Russie qui se retrouve
grâce au renouveau de l’Orthodoxie, envoie au monde le signal : « Nous
sommes un État chrétien et les défenseurs des chrétiens. En dehors des
chrétiens d’Orient, nous soutiendrons tous les chrétiens qui s’opposent à
l’imposition des principes d’individualisme, au Diktat des
minorités, à la légalisation du mariage homosexuel et ainsi de suite.
Nous les soutiendrons pour défendre les valeurs traditionnelles ». De la
sorte, ce sont précisément les valeurs traditionnelles qui deviendront
la principale ressource russe, son principal outil, et feront de la
Russie un acteur important de la politique mondiale. J’y crois et
m’efforce de promouvoir cette idée de toutes les manières. Et je sais
qu’en Russie, beaucoup considèrent que c’est justement dans cette
direction qu’il faut avancer : s’engager dans l’éducation, expliquer le
christianisme aux gens, pour devenir un État qu’on puisse appeler
chrétien de plein droit.
Thomas : Le thème de la persécution des chrétiens est-il évoqué par les médias occidentaux ?
A.C. : Ça
dépend. Dans l’ensemble, on peut dire que la tendance est de le
minimiser. Mais la situation s’arrange petit à petit, car Internet
apparaît comme une puissante source d’information alternative. Les
ressources d’Internet rappellent aux principaux média traditionnels, par
exemple, à des journaux français tels que Le Figaro ou Libération,
l’état réel des affaires. Et quand de pareils médias ne disent rien
d’un événement comme l’exécution de chrétiens à Maaloula, ces choses
surgissent sur Internet, et les médias ne peuvent faire autrement que de
les mettre en lumière. C’est pourquoi la situation évolue. Et de plus
en plus de chrétiens en France se rendent compte que les chrétiens au
Moyen Orient, par exemple les coptes en Égypte, sont réellement en
danger.
La France se réveille
Thomas
: En avril 2013, la loi sur le mariage homosexuel est entrée en vigueur
en France, ce qui a suscité de massives actions de protestations de la
part des défenseurs des valeurs traditionnelles. Qu’en pensez-vous ?
A.C. : Il
s’est produit en France un événement d’une importance colossale. Bien
sûr, auparavant, s’est produit un regrettable événement : la loi sur la
légalisation du mariage homosexuel a été adoptée. La plupart des
ministres, les socialistes et les « Verts », ont soutenu et soutiennent
le mouvement en ce sens. Chaque
jour que Dieu fait, pas à pas, ils s’efforcent avec persévérance de
détruire l’aspect chrétien de la France contemporaine. Un exemple tout
récent : ils ont promu la proposition de supprimer du calendrier
français les fêtes chrétiennes pour les remplacer par des fêtes juives
et musulmanes. Mais la société réagit quand même. Trois millions de
personnes étaient dans la rue pour protester contre la légalisation du
mariage homosexuel. Des gens d’âges divers, de bonnes familles, étaient
prêts à manifester avec le risque d’être arrêtés, pour dire non à cette
loi et défendre la seule conception normale de la famille. Sur ce point,
il s’est produit quelque chose de très important. Bien qu’aujourd’hui
la vague de protestation ait reflué, elle a enclenché tout un processus,
ouvert la voie à tout un mouvement de résistance, comme si un ressort
sur la porte s’était tendu sous la pression, la serrure avait été
arrachée, et la porte s’était ouverte toute grande. Les gens savent
maintenant qu’ils ont une plateforme où ils peuvent se rassembler pour
défendre les valeurs familiales traditionnelles. En outre, il y a aussi
d’autres directions de « combat » : la question de l’immigration, la
question de l’islamisation etc. Je suis persuadé que nous assistons à un
processus très important : le réveil des Français. Bien que pour parler
d’une façon imagée, les forces du mal soient de toute façon très
puissantes.
Thomas
: Beaucoup sont persuadés que le mouvement pour la défense des valeurs
traditionnelles doit prendre une dimension internationale. Que
pensez-vous, sur ce point, d’une collaboration entre le France et la
Russie ?
A.C. : C’est
justement là-dessus que je m’efforce de travailler. C’est le thème qui
m’occupe en permanence. Je suis persuadé que personne ne gagnera dans la
solitude. C’est comme la lutte avec le nazisme; la menace était si
forte qu’on ne pouvait la contrer qu’en s’unissant, et ce n’est pas par
hasard que la Russie a trouvé un allié dans la Résistance française.
Nous avons aujourd’hui devant nous une nouvelle forme de totalitarisme.
Il n’est extérieurement pas aussi évident, il est masqué, il ne porte
pas de casque militaire, mais c’est bien un totalitarisme, quoique
rampant, on impose aux gens les valeurs libérales, on met en doute les
concepts traditionnels de dignité de la personne, on pousse l’homme à se
révolter contre Dieu, et en ce sens, le nouveau totalitarisme revêt des
traits vraiment sataniques. Il faut opposer à ce totalitarisme une
puissante résistance. Et si la Russie se déclare un État chrétien, et le
défenseur des valeurs chrétiennes, cela deviendra justement une
réponse, et la création d’un contre-modèle à ce que l’on impose aux gens
en Occident. On le leur impose précisément. Je ne considère pas, par
exemple, que la légalisation du mariage homosexuel réponde à une
position sincèrement motivée des gens ordinaires dans les pays d’Europe.
Non, c’est celle de la minorité au pouvoir qui cherche à imposer ses
critères au peuple : ils ont fabriqué la théorie du genre qui « fonde »
la légalisation des mariages homosexuels. Je suis sûr que les Européens
de base eux-mêmes, comme d’ailleurs les Américains, n’en veulent pas. Et
si on leur propose un contre modèle, ils l’adopteront. La Russie, en
collaboration avec d’autres pays et organisations sociales qui
soutiennent la famille traditionnelle peut le réaliser.
Thomas
: Mais pourtant, comme les informations nous l’ont appris, bien que
trois millions de Français soient sortis dans la rue, pas moins de 60 %
de la population française, c’est-à-dire la majorité, soutenaient cette
légalisation du mariage homosexuel. Et vous nous dites que ce n’est pas
l’avis du peuple…
A.C. : Il
faut parler ici de la logique de l’histoire de l’humanité en tant que
telle. La majorité des gens, dans n’importe quel pays à n’importe quelle
époque est malheureusement passive. C’est seulement un fait historique.
Cela concerne n’importe quel peuple. Cela signifie que si un gouvernant
inculque le mal, le peuple le reçoit et suit le mal. Si le gouvernant
fait le bien, le peuple l’accepte et suit le bien. Cela ne signifie pas
que la société est stupide, pas du tout. Simplement la plupart des gens
vit au quotidien, s’occupe de ses affaires au jour le jour. Ce n’est pas
mal, ce sont de bonnes gens qui éveillent en moi personnellement une
vive sympathie. Mais on ne peut pas les appeler des citoyens conscients,
on ne peut pas dire qu’ils réfléchissent à ce qui se passe dans leur
État. C’est toujours une minorité qui est consciente, dans la société,
et qui se bat et s’oppose. Elle va se battre, par exemple, pour la
liberté de l’homme, ce qui, en fin de compte, veut dire la lutte pour le
triomphe d’une vérité chrétienne. Ce schéma est valable pour toutes les
sociétés. Rappelez-vous la Résistance française, dont les participants
étaient bien sûr en minorité. Et même en U.R.S.S., il y eut de la même
manière le mouvement des dissidents qui résistaient au régime
soviétique, et pourtant les Soviétiques en majorité n’étaient pas des
partisans du régime déterminés, la majorité simplement se taisait,
nageait dans le sens du courant. Je le répète, telle est la philosophie
de l’histoire. C’est la minorité active qui fait l’histoire, et la
question est seulement de savoir quel choix elle va faire, dans le sens
du bien ou dans celui du mal.
Thomas
: N’êtes-vous pas seul de cet avis parmi vos collègues en France ? Le
fait est que beaucoup généralisent, affirmant : « On considère en
Occident… » Comme si l’Occident était quelque chose d’homogène, où
l’avis des gens est unifié, et où les experts isolés, par exemple
vous-même, vous êtes plutôt l’exception à la règle, le vecteur d’un avis
marginal sur les choses. En quoi cela correspond-il à la réalité ?
A.C. : Je trouve important de le dire en Russie, dans une interview
pour une publication russe. La réalité objective est la suivante : la
majorité des gens en Occident ne réfléchit pas aux questions dont nous
parlons maintenant. Et la minorité qui vit et travaille tous les jours
avec ces questions se partage en deux groupes : le premier, ce sont ceux
qui considèrent l’individualisme général comme la norme, et le
deuxième, ce sont ceux qui trouvent indispensable de revenir aux
racines chrétiennes. C’est là, je
le répète, le tableau objectif. Ce sont ces deux minorités qui créent
les partis et les organisations politiques. Ensuite, c’est la question
du libre choix des citoyens aux élections. Pour parler de la France, il
existe aujourd’hui un parti qui, d’après les analystes, dans un proche
avenir deviendra le premier de France par sa popularité, c’est le Front national.
Un parti qui se dresse contre le système existant. Ses partisans ne
sont pas une minorité, c’est une partie notable des Français qui
affirment l’importance des valeurs chrétiennes, la dignité de la
personne, le danger de l’islamisation de la France, le refus de
participer aux guerres des U.S.A., etc. Il ne convient donc pas de me
considérer comme un bien grand original. Non, une grande quantité de
gens, en France, raisonnent selon la même logique. Parmi les
économistes, parmi les militaires. Si vous pratiquez un sondage chez les
officiers, vous verrez que 30 ou 40 % d’entre eux sont disposés envers
la Russie de façon très, très positive; beaucoup plus positive qu’envers
les U.S.A. J’ai enseigné dix ans à des officiers, j’avais presque trois
mille étudiants, je sais de quoi ils parlent et ce qu’ils pensent. Sans
conteste, il est parmi eux des « atlantistes » des gens qui sont à cent
pour cent pour l’O.T.A.N., qui raisonnent jusqu’à maintenant en termes
de guerre froide; soi-disant, « les Russes sont d’affreux communistes ».
Mais il y a une part significative d’officiers, particulièrement chez
les jeunes, qui raisonnent d’une façon radicalement différente.
Thomas : Vous avez évoqué le parti « le Front national
». En Russie, la tendance est de craindre comme le feu les mots «
national », « nationalité » etc. On confond le mot « nationalisme » avec
le mot « nazisme ». Et tout ce qui est « national » entraîne une
association directe avec fascisme, agression, génocide, camps de
concentration, extermination physique des immigrés… Existe-t-il, d’après
vous, un nationalisme pacifique et à quoi ressemble-t-il en pratique ?
A.C. : Il existe. L’exemple en est justement le Front national
qui s’est déclaré dès le début comme un parti patriotique. Ce n’est pas
un parti de nationalistes, si l’on comprend le nationalisme comme un
synonyme d’agression. Le parti patriotique s’efforce de conserver le
visage historique de la France, défend sa civilisation et sa culture
contre les changements du système qui se produisent sous l’influence des
étrangers. Il n’a jamais été question de chasser immédiatement du pays
tous les immigrés. La question, c’est que le multiculturalisme nuit à la
France dans un sens purement démographique, les gens qui sont arrivés
des pays arabes et leurs enfants occupent de plus en plus la France et
de ce fait, provoquent la guerre civile. Ce que nous voulons, c’est que
les étrangers s’assimilent, c’est-à-dire deviennent proprement des
Français. Cela peut naturellement être lié à l’adoption du
christianisme. Mais pas forcément : celui qui trouve important pour lui
de rester dans l’islam doit simplement connaître et accepter la culture
française, ne pas obliger sa femme à porter le voile intégral, etc.
C’est là le programme du Front national. On n’y trouve pas un
mot sur le recours à la force contre les immigrés. En outre, parmi les
députés élus à l’assemblée nationale il y a des Arabes, ce que peu de
gens savent. Nous pensons simplement qu’une immigration trop abondante
nuit à la France. Comme elle nuit à ces mêmes étrangers qui viennent en
France
Je
suis moi-même partisan du dialogue entre les civilisations. J’ai
beaucoup travaillé et enseigné, par exemple au Maroc. J’ai pris parole à
l’O.N.U. comme expert du Maroc. J’ai des dizaines d’amis et de
collègues parmi les musulmans, je crois en une politique arabe de la
France. Les pays arabes sont nos voisins par la Méditerranée. Nous avons
d’excellentes relations avec eux. La seule chose que nous devions
faire, c’est contrôler les flux migratoires. Car aujourd’hui, cela ne
peut pas continuer ainsi. Autrement la société française va tout
simplement exploser, parce que la prospérité du gouvernement va
s’écrouler, beaucoup de jeunes étrangers viennent en France dans
l’espoir de vivre des allocations.
Être ou avoir
Thomas
: Vous parlez beaucoup de religion. Dans quelle mesure la religion, en
tant que domaine fondamentalement non matériel, peut-être un facteur
géopolitique ?
A.C. : La
géopolitique comprend au minimum trois choses fondamentales : La
première c’est la géographie physique, c’est-à-dire où et comment le
pays se situe, qui sont ses voisins, son ouverture sur la mer, etc. La
deuxième, c’est la géographie des ressources, le pétrole, le gaz
naturel, etc. Et la troisième, c’est la géographie identitaire, comment
les gens se voient, quelle est leur identité. C’est relié directement
aux conflits ethniques et religieux, car l’identité religieuse est l’une
des plus importantes pour l’homme. En ce sens, on peut réduire de façon
imagée la problématique de la géopolitique à deux verbes principaux,
qui, dans la langue française sont également des auxiliaires qui servent
à constituer les temps, le verbe avoir et le verbe être. À travers le
verbe être, l’homme définit justement son identité, c’est-à-dire qu’il
répond à la question : « que suis-je en cette vie ? » Cela concerne les
questions de religion : « je suis chrétien », « je suis musulman », « je
suis juif ».
L’identité
religieuse a une énorme signification, car elle définit le système de
valeurs de cette personne concrète, la façon dont il va percevoir le
monde alentour. Et au moment où il se définit et commence à voir le
monde précisément comme cela et pas autrement, cela devient un facteur
de géopolitique. Car l’homme ne vit pas seul au monde mais en relation
avec les autres. En un mot, la religion du point de vue géopolitique
n’est pas pour les gens une question de connaissance théologique, ni de
vie spirituelle intérieure, mais de recherche de sa propre identité, la
tentative de décider « qui je suis » et d’agir en conséquence.
Beaucoup
considèrent qu’en géopolitique domine tout ce qui est lié au verbe «
avoir » : qui a quelles armes, les ressources naturelles, les
technologies etc. C’est bien sûr important, mais ce n’est pas le plus
important. Car on ne va pas aller mourir pour du pétrole. En ce sens,
c’est le verbe « être » qui occupe la première place : les gens sont
prêts à faire la guerre s’ils défendent leur identité, leur vision du
monde, ce qui leur est cher.
L’identité
religieuse, je le répète, est pour l’homme en un sens la principale,
parce que la façon dont voit ses relations avec Dieu, avec l’Absolu,
avec les valeurs supérieures, détermine celle dont il va construire ses
relations avec tout le reste du monde terrestre.
Thomas : Et quel rôle jouent la religion et la foi dans votre vie ?
A.C. : Je
m’intéresse beaucoup à tout ce qui est lié au catholicisme dans le
monde contemporain. Mais l’Orthodoxie me fascine, je sens en elle
quelque chose d’originel, un christianisme pur qui n’a pas été obscurci,
le reflet de la foi des premiers chrétiens. En Occident, nous le
savons, ces notions se sont en partie perdues.
Je
suis marié, j’ai quatre enfants. Et la religion est pour moi une chose
centrale et vitale. Ce qui ne change rien au fait que je suis pécheur,
que la force et la profondeur de ma foi sont moindres que je le juge
nécessaire. La religion, c’est ce qui permet de rendre plus digne notre
façon de vivre et de s’opposer aux séductions du monde, comme par
exemple, l’argent et les belles filles, qui sont d’ailleurs très
nombreuses en Russie. On ne tient que grâce à la foi, la foi en Celui
qui est plus grand que tout cela.
• Propos recueillis par Thomas et mis en ligne sur L’Esprit européen, le 15 décembre 2013.