Dans un précédent
développement, je questionnais l’idée du nationalisme en replaçant
l’histoire même du nationalisme, de façon un peu rapide certes, mais
telle est la loi du genre lorsqu’on publie sur internet.
Il est important de
poursuivre notre réflexion sur un nationalisme français du XXIe siècle,
partant du constat que les différents évènements géopolitiques, les
crises économiques et financières et les crispations identitaires
conduisent de nombreux mouvements à travers l’Europe à s’enraciner dans
le fait national. Nous pouvons penser immédiatement au Front National en
France, à Casapound en Italie, à l’Aube Dorée en Grèce, au Jobbik en
Hongrie. On peut tout à fait avoir une opinion négative de certains de
ces mouvements et ils n’ont pas forcément de rapports les uns avec les
autres, mais ils traduisent tous à leur façon le simple fait que face à
l’UE, face à l’offensive du Capital et face à l’immigration de
peuplement, la nation, produit d’une longue histoire apparaît presque
« spontanément » comme l’échelon de résistance, de défense mais aussi,
et surtout, de reconquête.
Cependant le
nationalisme français est aujourd’hui sujet à une profonde crise interne
qu’il convient d’analyser. Nous avons déjà donné notre opinion sur le
FN, nous n’y reviendrons pas. De même nous avons donné de façon
synthétique quelques éléments sur la pensée identitaire et la pensée
dissidente. Ce texte est donc un complément de toutes nos réflexions
récentes. Il vise à comprendre dans quels univers s’ébroue le camp
« national », est-il d’ailleurs vraiment « national » ?
L’influence « allemande » : l’ethno-régionalisme identitaire
Le nationalisme
français a été depuis de nombreuses décennies mis en concurrence avec la
pensée ethno-régionaliste identitaire, de fait que si les deux familles
aspirent souvent à préserver une identité héritée, le cadre de
réflexion, d’expression et d’action n’est pas vraiment le même. La
Seconde Guerre mondiale aura marquée une véritable rupture à ce niveau,
de même que les années 60 en auront marquées une seconde.
Jusqu’au second
conflit mondial, la résistance et la reconquête se faisait dans un cadre
national, sans véritable volonté hégémonique, à l’exception de
l’Allemagne qui souhaitait en finir avec le traité de Versailles. Les
combats sur le front de l’est contre l’URSS auront fait naître dans
l’esprit des nationalistes l’idée que l’unité européenne pouvait
permettre d’être plus fort contre un ennemi commun, qui était ici le
bolchevisme. Cela a pu conduire à l’idée qu’il fallait bâtir d’un nouvel
ordre européen sous l’influence d’une nouvelle chevalerie, les SS, qui
serait basée sur des régions historiques comme vous pouvez le voir ici :
Carte de l'Europe des Waffen SS
Cela nous fait
« étrangement » penser aux théories de l’anarchiste autrichien Leopold
Kohr, qui faisait l’éloge des micro-états (non ethniques), pour
favoriser la concorde continentale, théories inspirées par une vision
médiévale de l’Europe comme vous pouvez le voir ici :
Carte de l'Europe de Leopold Kohr
Après guerre des
personnalités comme Saint Loup ou Robert Dun, à l'origine issus de
l’ultra-gauche mais engagés dans la Waffen SS contre le bolchevisme, se
feront les relais de cette conception de l’Europe. D’autres
personnalités, comme le breton Yann Fouéré iront dans ce sens, comme
l’indique l’ouvrage L’Europe aux cents drapeaux qui reprend « curieusement » le drapeau de l’Union Européenne sur cette édition* :
Couverture de l'Europe aux Cents drapeaux de Yann Fouéré
Ces personnalités
auront une influence sur le second tournant des années 60. Avec eux, les
déçus du nationalisme historique, qui prennent conscience que le monde
change. En raison de la perte des colonies, la France perd un pan de sa
puissance et paraît être de moins en moins capable de faire face aux
défis qui s‘annoncent, comme la résistance au communisme. Ce sera la
fonction historique du GRECE, de renouveler le discours politique et de
mettre en place un corpus permettant aux européens de trouver leur place
face aux deux blocs. De nombreuses structures à tendance volkisch et
régionalistes vont graviter autour du GRECE ou en émaner.
Mais cette idée d’une
Europe divisée en petites régions à fort caractère identitaire et
regroupées dans un « empire européen » ne peut pas totalement être
dissociée de la tradition politique allemande. En effet, depuis le Moyen
Âge, la vocation allemande et d’être un empire central regroupant des
régions autonomes.
Carte du Saint-empire romain germanique vers l'an Mil
L’unité allemande n’a
pas véritablement rompu avec ce fait là, accentuant simplement le
caractère ethnique dans le contexte du XIXe siècle, tout comme la
Nouvelle Droite mènera de nombreuses études sur les indo-européens pour
renforcer l’idée d’unité ethnique du continent. L’unité allemande s’est
également faite par l’unité économique (ex : Zollverein) et c’est
précisément comme cela que procède l’UE aujourd’hui. Nous pouvons
sincèrement nous demander si les ethno-régionalistes identitaires n’ont
pas aspirés, à un moment, à ce que l’Europe naissante (par la CEE puis
par l’Euro) soit tôt ou tard conforme à leurs vœux, que de l’unité
économique naisse ensuite une unité politique sur des bases ethniques.
Les récents événements battent en brèche cette aspiration, sans pour
autant disqualifier totalement la nécessaire concorde entre européens,
ni un projet alter-européen. Mais il est aujourd’hui de plus en plus
difficile de faire passer un message favorable à l’unité européenne sans
passer clairement pour un suppôt du Capital.
L’influence états-unienne et anglo-saxonne : le suprématisme blanc et la « défense de la race blanche »
Il
est impossible de parler d’identité ethnique sans s’attarder sur tous
les mouvements de défense de la race blanche. Ici la question est
beaucoup moins épineuse car il paraît évident que :
- le
nationalisme historique n’a jamais eu comme base de « défendre la race
blanche » et a toujours perçu le fait racial, et ethnique, comme un
moyen, et non comme une fin.
- la
race n’est en aucun cas la seule dimension d‘une identité, qui est le
produit d'un héritage historique, culturel et se construit dans le temps
Mais alors qui peut
très concrètement en venir à faire reposer la nation et l’identité sur
la race ? Les états-uniens, bien sur !
Les Etats-Unis sont le
produit des migrations de nombreux européens, souvent protestants, mais
pas seulement, qui ont cherché dans le « nouveau monde » une seconde
chance. Ils sont aussi le produit de la rencontre de nombreux autres
déracinés : chinois ou africains par exemple. Les Etats-Unis sont
historiquement, et malgré la guerre d’indépendance des 13 premiers états
contre la couronne britannique, un pays profondément marqué par le fait
ethnique, voire racial, les migrants se regroupant bien souvent sur le
territoire en fonction de leur origine. Ainsi certaines villes sont
profondément liées à cette histoire comme Boston qui est dans tous les
esprits la ville des irlandais, au même titre que certains quartiers
comme Little Italy ou Chinatown traduisent clairement la fragmentation
ethnique du pays, y compris à l’échelle locale.
Les Etats-Unis ne
connaissent pas de « nationalisme » au sens européen. Nous avons
clairement expliqué que le nationalisme est un processus historique qui a
conduit en Europe à se sentir Français, Allemand, Italien, Grec,
Espagnol, etc…. rien de tout cela aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis on
parlera plutôt de patriotisme, c'est-à-dire d’un attachement à cet Etat
porte étendard de l’unité des populations et de la liberté. Mais au sein
de cette fédération, certains mouvements ont eu l’idée qu’il fallait
diviser le pays en fonction des races. Malgré une influence du nazisme
allemand, on ne peut pas résumer le nazisme à la seule question raciale,
étant donné que celui-ci est profondément rattaché au nationalisme
romantique allemand, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis, où toute
dimension nationale est évacuée au profit de la seule dimension raciale.
Certes certains objecteront que les mouvements suprématistes piochent
abondamment dans le folklore germanique (runes, etc…) mais cela est plus
le fruit d’une démarche racialiste que nationaliste. Aux Etats-Unis la
démarche racialiste et suprématiste est souvent rattaché à quelques
ouvrages comme le fameux « White Power » de Georges Lincoln Rockwell ou
les non moins célèbres « Carnets de Turner » de Andrew Mac Donald. Il
n’est pas question ici d’affirmer que tout ce qui est raconté par ses
mouvements est à 100% du délire, mais de montrer que leur combat est
propre à l’histoire des Etats-Unis et à une conception états-unienne (ou
plutôt WASP), du monde… Un des grands leitmotiv de ce suprématisme est
la RAHOWA (Pour Racial Holy War – Guerre Sainte Raciale) et qui place au
centre de sa pensée l’idée qu’il y aurait une lutte des races (et non
une lutte des classes, d’où l’anti-marxisme qui conduit à dire que le
marxisme oppose les gens d’une même race comme en Europe à l’accusait
d’opposer les gens d’une même nation**). Cette Guerre Sainte peut être
adjointe à une forme de messianisme protestant comme c’est le cas par
exemple de l’Aryan Nation de G. Butler. Les Anglo-saxons seraient la
race élue de Dieu, Jésus Christ était un « aryen » et l’Amérique était
la terre promise. Notez qu’on retrouve exactement la même chose en
Afrique du sud pour certains Afrikaners (voir ce que j’avais écris ici).
Le logo de "Aryan nations"
(Notre race est notre nation)
(Notre race est notre nation)
Ce discours s’est
massivement diffusé en Europe par certains mouvements anglais et pose
une vraie question. S’il est clair que l’immigration de peuplement
menace biologiquement les européens et que la propagande subventionnée
prône le métissage et la dévirilisation de l’homme blanc, doit-on pour
autant ne combattre que sur cet aspect, en oubliant que nous avons une
histoire propre et que nous devons intégrer cette donnée dans notre
tradition politique et non calquer des logiciels de pensée anglo-saxons
sur une vieille nation comme la France ? Il n’est pas question de Guerre
Sainte raciale en France ou de Pouvoir blanc sur la Terre. Il est
simplement question de reprendre les leviers de la souveraineté pour
refonder une France et une Europe nouvelles, définir clairement un
Français comme un européen de langue française et replacer le droit du
sang au centre du débat.
L’influence russe : l’eurasisme
Après les Etats-Unis,
la Russie. Si nous pouvons contester l’influence de la pensée
anglo-saxonne américaine sur le nationalisme français, nous pouvons
également nous questionner sur l’influence russe, cela n’est pas un
exercice simple étant donné que nous avons plutôt de la sympathie pour
l’histoire et la culture russe. Mais il est nécessaire d’avoir un regard
critique.
L’eurasisme est une
conception géopolitique propre à la Russie qui est un pays à cheval sur
deux continents (Europe et Asie). Un Russe ne peut abandonner ni sa
dimension européenne, ni sa dimension asiatique. De là va naître
l’eurasisme. La pensée eurasiste a beaucoup percée ces dernières années
par l’intermédiaire d’Alexandre Douguine, qui a fait paraître il y a
quelques mois la Quatrième Théorie Politique,
celle qui doit succéder au libéralisme, au communisme et au fascisme et
affronter la seule qui a survécu au XXe siècle : le libéralisme. Les
théories de Douguine ne sont pas dénuées d’intérêts et reprennent un
large aspect traditionnel, fortement séduisant pour tous ceux qui se
sont intéressés à la Tradition (Evola, Guenon, etc…). C’est une façon
pour les russes de répondre aux Etats-Unis, qui impulsent la
mondialisation libérale, l’unipolarité et la sous-culture de la
consommation de masse (par la musique ou le cinéma). Cependant cela ne
doit pas nous faire oublier qu’il s‘agit d’une vision russe du monde.
En effet l’eurasisme
est une vision impériale russe ce qui pose immédiatement la question du
voisinage de la Russie. Ainsi les eurasistes considèrent que la
Biélorussie, l’Ukraine et les pays baltes sont des territoires qui
doivent leur être liés, alors que les nationalistes de ces pays veulent
quant à eux être indépendants de ce voisin gargantuesque. D’où les
tentatives d’intégration zélée, et malheureuses, au sein de l’espace
euro-atlantique matérialisé par l’UE.
Les Français auraient
tort d’embrasser de façon trop naïve cette vision du monde, car cela
pourrait les conduire à se couper des pays de l’est, l’Allemagne a sur
ce point bien plus de finesse, en appliquant, encore une fois, sa
stratégie impériale à l’est via l’UE (en intégrant la Pologne, les pays
Baltes et en faisant des appels au pied à l’Ukraine) tout en se
ménageant de bons rapports avec la Russie (Nord Stream, grâce de
Khordokovski). Ce n’est pas en embrassant béatement l’eurasisme que le
nationalisme français sortira de sa crise doctrinale actuelle. Au
contraire, la France est historiquement un pays d’équilibre entre les
empires et porte également son propre projet impérial, et l’eurasisme ne
consiste pas simplement à défendre la souveraineté de l’Etat-nation
russe, il consiste à encourager la Russie à avoir une hégémonie sur
d’autres Etats-nations, Alexandre Douguine ne fait aucun mystère
là-dessus. Il faut donc retrouver notre voie d’équilibre des puissances,
développer notre propre projet impérial et favoriser l’idée selon
laquelle les peuples doivent se gouverner eux-mêmes. Un nationaliste
français doit pouvoir mener des tractations diplomatiques qui permettent
à des voisins de vivre en paix. En un mot la Russie devra être un
partenaire, mais cela ne nous empêche pas de faire valoir notre vision
du monde et nos intérêts propres. Nous n’avons pas à devenir une colonie
russe après avoir été une colonie des Etats-Unis.
Conclusion:
Ainsi par ces quelques
modestes considérations nous avons pu passer au crible trois tentations
de sortir du nationalisme traditionnel pour apporter une réponse aux
temps présents : la volonté d’une autre Europe qui serait fédérale et
ethnique, la volonté de préserver la race blanche ou la volonté de
s’opposer aux Etats-Unis par le biais de la Russie.
Bien que le courant
ethno-régionaliste soit surement le plus capable de faire l’équilibre
entre les deux autres (suprématisme et eurasisme) ce qui explique que
des personnalités issues du GRECE flirtent depuis longtemps avec l’un ou
l’autre courant, ces trois grands courants, ne doivent pas nous faire
oublier notre tradition politique propre, il faut plutôt les voir comme
des sources d’inspiration pour constituer un corpus idéologique sérieux
permettant aux Français d’affronter le monde dans lequel ils sont.
Il paraît important de
ne pas rejeter l’idée fédérale, ni l’idée d’Europe puissance, il faut
aussi enrayer la disparition de l’Homme européen et il convient de
(re)trouver notre place dans le jeu géopolitique actuel qui tend vers la
multipolarité depuis plusieurs années. La question de la sortie du
capitalisme est ici fondamentale.
Nous pourrions œuvrer à
bâtir une France fédérale et communale (ce qui reprend l’idée
maurrassienne et proudhonienne, et non simplement « allemande ») au sein
d‘une Europe puissance à l’ouest constituée des nations libérées du
Léviathan euro-atlantiste, de la finance et du Capital. Il faudrait
redéfinir la nationalité française sous un angle plus ethnique et
revitaliser les Européens. Enfin, cet ensemble mènerait une politique de
désaméricanisation, de coopération avec les puissances émergentes et
les pays non-alignés, tout en préservant ses intérêts et ceux, in fine de l’Europe romano-carolingienne vers laquelle nous devrons nous projeter.
Jean/CNC
* On trouvera quelques points communs entre la
carte de l'Europe des Waffen SS et celle du projet actuel de redécoupage
régional de la France:
**: La Rahowa, tout
comme la lutte des classes, reposent paradoxalement sur des théories
plutôt darwinistes de lutte entre des groupes humains concurrents.