Olivier Pechter
Cette
enquête, qui aurait pu s’appeler "le poids des mots, le choc des
photos" raconte l’histoire des FEMEN à la lumière de leurs alliances
politiques et de leurs nombreux dérapages, souvent passés sous silence.
Une gageure.
Communistes et rouge-bruns, les premiers alliés.
Cette première partie est consacrée à FEMEN…avant FEMEN.Les politologues ukrainiens considèrent unanimement FEMEN comme un projet politico-commerciale et ne se sont jamais véritablement penchées sur le sujet. A force d’incohérences, le mouvement "caméléon" a lassé leur pays, avant d’être fatalement discrédité.
En France, il a su rebondir, bénéficiant de soutiens jusqu’au Parti de gauche.
De leur côté, les médias nous ont inondé du story-telling "Féméniste". Jusqu’à ce qu’éclate le scandale de la Biennale de Venise, qui révéla la personnalité machiste de Viktor Sviatski, qui a longtemps dirigé FEMEN au côté d’Anna Hutsol. L’image du mouvement s’est brouillé. Son étoile pâli. Un contre-récit s’imposait.
Les photos exclusives que je révèle rendent le propos difficilement contestable :
Né dans le creuset communiste et antifasciste ukrainien, FEMEN ne s’en est pas moins associé, de façon répétée, à des mouvements réactionnaires, voire ultranationalistes. Avant de se réfugier en France, grâce à la bienveillance d’une certaine mouvance néoconservatrice. Démonstration.
En Ukraine s’opposent depuis longtemps, sans besoin d’être caricatural, deux camps. L’Est du pays, russophile et "antifasciste", incarné par l’alliance d’une partie de la droite avec le Parti communiste. Et l’Ouest du pays : nationaliste et occidentaliste. Les figures de cette dernière tendance nous sont bien connues : Viktor Ioutchenko, Ioulia Timochenko… Or, il y a quelques années de cela, on a vu les fondateurs des FEMEN passer brusquement d’un camp à un autre. Un revirement qui signe l’imposture. Ce qui a valu aux FEMEN d’être qualifié de "political technology" par les spécialistes ukrainiens. Dans cette première partie, je m’attèlerai donc à une histoire des alliances politiques des FEMEN et par la même occasion à une généalogie de leur positionnement xénophobe.
FEMEN, une "Political technology" ?
Political technology, kezako ? Il s’agit de la manipulation politique poussée à son extrême. Les outils pour ce faire nous sont familiers : storytelling, désinformation, "triangulation"… Mais l’usage étendu et intensif qui en est fait dans les pays d’ex-URSS, où il s’agit d’une véritable petite industrie, nous est inconnu. Dans la plupart des cas, il s’agit de manoeuvres d’un pouvoir autoritaire pour se maintenir en place, via la tromperie. FEMEN est depuis longtemps considéré comme prestataire de ce type de service. Mais dans leur cas, elles auraient fait évoluer leurs positions au gré des médias et de leurs soutiens financiers/politiques du moment. Il serait donc faux d’affirmer que FEMEN aurait été créé par un marionnettiste dont elles auraient défendues les intérêts tout le long. Elles ont avant tout défendues les leurs. Néanmoins, nous révélerons quelques accointances politiques/financières jamais mentionnées jusque là, à même d’éclairer d’un jour nouveau certaines de leurs prises de positions.
[Un exemple de political technology présumé : la mise sur orbite, il y a quelques années, par des médias proches du président Ianoukovitch d’un de ses opposants politiques, Vitali Klitschko. Une ex-vedette sportive que rien ne prédestinait à la politique. Diviser pour régner…]
FEMEN avant FEMEN : dans le giron du parti communiste et du camp russophile
La figure FEMEN la plus connue du public français est Inna Shevchenko. Mais la véritable chef des FEMEN est Anna Hutsol, en duo avec son vieux camarade Viktor Sviatski. Présenté comme un "publicitaire", ce dernier est surtout un professionnel de la politique.
Originaires de la ville de Khmelnytsky (300 000 habitants), le livre autobiographique FEMEN (qui sera mentionnée dans la suite de cette article par "cf. FEMEN"), rapporte la rencontre d’Hutsol avec Sviatski au début des années 2000, au sein d’un "cercle de rue marxiste" dont il est le "mentor". Romantique. L’ouvrage passe sous silence leur engagement commun au sein du "komsomol", le mouvement de jeunesse du Parti Communiste.
- Oksana Chatchko (co-fondatrice FEMEN) avec les jeunesses communistes (Khmelnytsky)
- Au centre et côte à côté, la communiste Olga Ivanovna et Viktor Sviatski . A gauche Anna Hutsol. Soirée de nouvel an du Centre de perspectives de la jeunesse
Au service d’un parti "rouge-brun"
Après l’issue désastreuse de la campagne du Parti Communiste (3% des voix), il faut se trouver un nouvel allié pour Hutsol et ses amis. Ce sera le tout nouveau mais bien pourvu "Grande Ukraine". Les dirigeants du Centre de perspectives (http://translate.googleusercontent.com/translate_c?depth=1&rurl=tr...Sviatski, Golenshin, Alexandrovich) deviennent des cadres du parti et Nouvelle éthique un satellite. Grande Ukraine est dirigé par l’énigmatique Igor Berkut. Ex-espion autoproclamé, ce millionnaire est un ancien propriétaire de banques au Kazakhstan et en Russie. Il passe lui aussi pour un "mercenaire" de la politique et son parti se voit accuser de relever de la "political technology". Il a signé un livre relayant les thèses de son "frère" Poutine.
- De gauche à droite : Drapeaux Grande Ukraine, Viktor Sviatski (Centre de perspectives/Grande Ukraine), Sasha Shevchenko (qui dirige alors Nouvelle éthique, future co-fondatrice des FEMEN), Igor Berkut (Grande Ukraine) 10/2007
- Viktor Sviatski à des manifestation de Grande Ukraine, dont il est alors un cadre (2008)
C’est vraisemblablement à son contact qu’Hutsol et Sviatski découvrent le business des "political technology". On verra ainsi Sviatski et Grande Ukraine organiser, de façon étrange pour des syndicalistes étudiants, une action en défense des intérêts…viticulteurs.
Durant ces années, de 2006 à 2008, le mouvement de femmes Nouvelle éthique expérimente de son côté les coups d’éclats médiatiques à base de flashmobs.
Exemple en avril 2008, avec un lâcher de ballons. Sasha Shevchenko témoigne alors :
"Nous étions sur Internet, à la recherche de quelque chose d’intéressant et sommes accidentellement tombés sur la Journée de la femme"
Les prémisses des FEMEN sont posées.
Avant de passer à la naissance en tant que tel de FEMEN (ici), il est intéressant de révéler une dernière photo, tant elle illustre d’où le mouvement est issu et combien la présentation qui est généralement faite des FEMEN comme de l’enfant naturel de la Révolution Orange (présentée comme pro-occidentale et donc faisant partie du "camp du bien") est erronée. Elle montre Anna Hutsol en juin 2008, posant fièrement à une rassemblement anti-OTAN organisé par le Parti socialiste progressiste , organisation orthodoxe "panslave" (pour une intégration Russie/Biélorussie/Ukraine).
- Banderole anti-OTAN et anti-Bandera (figure historique "controversée" du nationalisme ukrainien)
Immigration, peine de mort, alliés néofascistes…
Cette deuxième partie est consacrée à la naissance et au développement de FEMEN. Leurs alliances, leurs soutiens, leur positionnement…
Dans un contexte politique ukrainien aussi tendu que confus, les FEMEN se livreront à toutes les alliances et amitiés. Jusqu’à faire héberger leur site internet par un ancien leader skinhead (ci-dessus) ou manifester avec le parti d’extrême-droite Svoboda.
Débuts FEMEN : xénophobie et néo-atlantisme
Quand FEMEN est lancé sur Kiev, au printemps 2008, André Kolomiets ("Andrew Kolomyjec"), un des cadres de Grande Ukraine (mouvement rouge-brun sont issues les FEMEN, cf. première partie) rentre rapidement à son Conseil d’Administration. Il sera l’un des "soutiens financiers les plus constants" des activistes. "Pour s’assurer de leur indépendance", dit-il très sérieusement… ajoutant que le mouvement "n’était jamais tombé dans le racisme". A voire…Mickael Orlyuk, autre cadre du parti, est lui de toutes les manifestations FEMEN.
Un certain nombre de thèses défendus par Grande Ukraine sont repris à leur compte par les FEMEN. Sur l’immigration : la dispense de visas pour les Européens visitant l’Ukraine étant une catastrophe, il faut fermer les frontières. Grande Ukraine dénonce les "centaines de milliers d’immigrants clandestins [qui] nous menacent", FEMEN s’opposant de son côté, grippe aviaire aidant , "à l’entrée des étrangers dans notre pays.". De la xénophobie ? "Peut-être" répond Anna Hutsol. A l’instar de Grande Ukraine, FEMEN est favorable à la peine de mort, pour les "sadiques".
Enfin, il y a les Turcs, avec lesquels Igor Berkut (dirigeant de Grande Ukraine) considère qu’une guerre est inévitable . Les FEMEN de leur côté en ont longtemps fait un ennemi prioritaire, au nom de la lutte contre le tourisme sexuel.
Une des toutes premières actions FEMEN s’est d’ailleurs déroulé devant l’ambassade de Turquie.
- Drapeau ukrainien au vent…
- …et feintant le lynchage d’un touriste turc. (En arrière-plan Anna Hutsol)
- Photo blog FEMEN
"L’Ukraine est célèbre pour son hospitalité…Mais toute tentative de saper notre culture devrait être combattue…. [Il faut] éviter que les Ukrainiens deviennent otages dans leur propre pays"
Issues de la mouvance communiste, les FEMEN multiplieront bientôt les clins d’œil au camp occidentaliste.
Le manifeste dont elles se dotent évoque ainsi parmi ses objectifs : "construire une image nationale de la féminité, de la maternité et de la beauté basée sur l’expérience du mouvement des femmes euro-atlantique". L’expression "euro-atlantique" est loin d’être neutre dans le contexte ukrainien et appartient aux partisans de l’OTAN et de l’UE. Brouillage de pistes. Et façon de ménager certains sponsors. En 2007, Anna Hutsol fut en effet invitée aux Etats-Unis par un organisme dépendant du Congrès américain, l’Open World Leadership Institute , dont elle est qualifiée d’alumna ("élève").
Par ailleurs, les FEMEN n’ont jamais caché le soutien reçu (jusqu’en 2011) de Jed Sunden , magnat des médias ukrainiens d’origine américaine.
Néofascistes, intégristes, activistes violents…des alliés encombrants
En 2010, FEMEN élargit son champ d’action. Et après le Parti Communiste et Grande Ukraine fait place à de nouveaux alliés. Nationalistes et franchement ancrés à droite, ils sont solidaires des FEMEN. Au nom de la lutte contre la "dictature" des Ianoukovitch, Poutine et autres Loukachenko (Biélorusse)…Le groupe se coupe définitivement de ses racines idéologiques, renvoyant dos à dos fascisme et communisme et diffusant une propagande antirusse caricaturale.
- De gauche à droite : Poutine (Président russe), Ianoukovitch et Azarov (Président et 1er ministre), Cyrille (Patriarche orthodoxe de Russie)
- La "Coalitions des partis des la révolution orange". Organisation nationaliste, mais surtout "projet commercial imitant la société civile, menant des actions de rue rémunérées", selon le chercheur Pavel Klymenko, contacté.
- La Confraternité de Saint Luc. Un groupuscule actionniste d’extrême-droite, qui s’est fait connaître pour avoir profané un monument en mémoire des combattants soviétiques ayant lutté contre le nazisme.
- Yaroslava Pougacheva, une des responsables de la Confraternité, tête de fil d’une manifestation FEMEN (03/2012)
- Inna et Sasha Shevchenko tenant par la main Darya Stepanenko, autre figure médiatisée de la Confraternité (05/2012)
- Les FEMEN se sont également affichées au côté du "Comité Noir", petit mouvement d’extrême-droite présent dans toute l’Ukraine. Certains de ses militants les plus exaltés ont été condamnés pour avoir mis le feu à une résidence d’étudiants africains et attaqué un centre social juif.
- De gauche à droite : L’ultra-droitière Anna Sinkova (chef de la Confraternité de Saint-Luc), Sasha Shevchenko, Anna Hutsol, une militante FEMEN et Bogdan Titsky (chef du Comité Noir) – A la sortie d’un interrogatoire de police (08/2013)
- Enfin, sachant que le mouvement FEMEN a officiellement dit son soutien à une alliance
politique comprenant le parti d’extrême-droite Svoboda, on sera peu
étonné de retrouver, à l’occasion, les "féministes" au coté du dit
parti. A un rassemblement contre le régime biélorusse en janvier 2011,
par exemple, où une militante ira jusqu’à tenir une affiche de Svoboda :
- "Vive la Biélorussie indépendante . Vive l’Ukraine libre", "Non à la terreur rouge"
- Egalement présent ce jour là Viktor Sviatski, et l’organisation ultra-nationaliste et antisémite UNA-UNSO
- Le drapeau rouge et noir de l’ UNA-UNSO flottant au dessus d’Inna et Sasha Shevchenko. Viktor Sviatski veillant au grain, en arrière-plan.
Pas un inconnu. Un mois plus tôt (mai 2011), il fut impliqué dans l’attaque d’une cérémonie en mémoire de la victoire sur le nazisme …Une agression dont il sera question jusqu’en France.
En outre, Iholnikov est un des chefs de fil jeunesse de Svoboda à Kiev
Un an plutôt (juin 2010), Iholnikov et Sasha Shevchenko s’étaient déjà retrouver à l’occasion d’une manifestation. Au nom de la lutte contre la "censure".
- Iholnikov effectuant le signe de ralliement de Svoboda. Shevchenko celui de FEMEN.
Les FEMEN diffusent à l’occasion la prose de Didkovsky/Voland14. Comme le texte raciste "FEMEN et les envieux", qui évoque la "dégradation du patrimoine génétique ukrainien". Un texte dont nous avons fait une sauvegarde.
Didkovsky est donc un "ami blogger", hébergeur et certainement, selon nos informations, un partenaire "commercial" des FEMEN…mais son rôle exacte reste à préciser. Il est en tout cas un soutien de la première heure, et fait parti du "premier cercle" de l’organisation. Sur le réseau social le plus populaire en Ukraine et très prisé par les FEMEN, vk.com, Didkovsky ne cache pas ses accointances avec l’ultra-droite (cf une capture parmi d’autres). De même que son blog, vers lequel les FEMEN renvoient.
- De gauche à droite : "Voland14", "Sergey Didkovsky" et "Voland Ratybor" parmi les hooligans
Didkovsky a bien hébergé l’accueil du site FEMEN…et sur son propre espaceLe site WaybackMachine permet de consulter l’archive d’un site.Enfin, au sein même de l’équipe FEMEN, on note la présence de proches de la mouvance nationaliste radicale :
Lorsque l’on veut consulter l’archive de la page d’accueil du site des FEMEN, on est renvoyé vers le site de Didkovsky (pour la période du 1/02/ au 16/06/2012) - Yaroslav Yatsenko, leur avocat historique, s’affiche sur son blog comme un supporter de Roman Choukhevytch et affiche sur Facebook un intérêt exclusif pour le parti d’extrême-droite Svoboda
- Courant 2012, Maria Popova, directementa href=sl=uk issuea href= d’une organisation ultra, devenait l’attachée de presse du mouvement
Une amitié surprenante pour celles qui ont drapé leur islamophobie derrière le féminisme et l’athéisme militant.
Les alliances sulfureuses des FEMEN témoignent de la confusion à l’oeuvre dans la société et la politique ukrainienne. La lutte contre l’influence russe, qui étouffe depuis des décennies l’émergence d’une nation ukrainienne souveraine, légitime de toute part l’alliance avec un parti d’extrême-droite directement issu du néonazisme (Svoboda fut longtemps appelé "Parti social national d’Ukraine") et la réhabilitation de mouvements nationalistes ayant collaboré avec le nazisme.
Néanmoins, cette stratégie d’alliance ne fait pas l’unanimité. Que ce soit au sein de la communauté juive, de la mouvance antifasciste et libertaire ou encore parmi les intellectuels (politologues, historiens…). Interrogé par nos soins, le chercheur Anton Shekhovtsov déclare ainsi :
I don’t think that anything legitimises cooperation with the radical right, and I signed a letter urging the mainstream politicians to stop cooperating with the radical right-wing Svoboda party -=> FEMEN déclarait dès 2009 vouloir devenir un phénomène européen. La France sera la base arrière de ce développement. Pour se faire, quelles furent leurs alliances ? leurs relais politiques ? leur inspiration "idéologique" ? C’est ce que nous tenterons d’établir dans une dernière partie.
http://www.day.kiev.ua/uk/article/den-ukrayini/tyagnibok-za-i-proti
Unfortunately, many mainstream politicians and activists in Ukraine do not understand the danger of alliances with the radical right. Sometimes, it does seem like a necessary evil, but – in the long-term perspective – all these alliances are really harmful to Ukraine’s democratic development.
[Merci aux chercheurs qui m’ont éclairé sur la question. Ils ne peuvent bien sûr être tenus pour responsable du contenu de cet article. Thank you : Pavel Klymenko, Anton Shekhovtsov, Ann-Sofie Dekeyser, Alexander Wolodarsky...]
Islamophobie et réseaux néoconservateurs.
Cette dernière partie est consacrée à l’internationalisation des FEMEN
Dès 2009, les FEMEN entendent devenir le premier mouvement féministe européen. Elles en sont loin. Néanmoins, elles ont réussi à faire parler d’elles au niveau mondial (à la Biennale de Venise par exemple). En France elles ont été reçues avec les honneurs (2012) et inspireront même le nouveau timbre Marianne (2013).
Leur libertarisme de façade associé à des positions géopolitiques (objectivement) atlantistes et islamophobes leur ont néanmoins permis de s’attirer de solides soutiens au sein d’une partie de nos élites, à défaut de faire l’unanimité dans le reste de la population. Signe de l’opportunisme de l’organisme, en s’implantant en France, il abandonnera ses positions les plus réactionnaires (restriction de l’immigration, rétablissement de la peine de mort), au profit d’un combat facile contre l’Islam et l’Église, ou encore en faveur du mariage gay. Une thématique qu’elle n’avaient jamais traitées dans leur pays d’origine, allant jusqu’à pactiser avec des ultraconservateurs, comme démontré dans une première partie.
Caroline (Fourest) ange-gardien
Au sein de la gauche française, FEMEN a su s’attirer des soutiens auprès des Verts, du Parti de Gauche mais aussi du PS. Il faut dire qu’en s’installant à Paris, elles ont fait de l’extrême-droite catholique un adversaire médiatique.
Pourtant, c’est sur fond d’islamophobie qu’elles ont en commun avec ces intégristes qu’elles susciteront leurs plus solides soutiens. En particulier dans la mouvance pro-américaine. Figure de ce courant, Caroline Fourest, véritable ange-gardien. Au carrefour des milieux associatifs, journalistiques et politiques, c’est un allié de poids. L’avocat des FEMEN ? c’est le même que celui de la journaliste (Patrick Klugman, figure du Parti Socialiste parisien tendance pro-Israël). Quand Inna Shevchenko obtenait en 2012 le statut de réfugié politique c’est notamment grâce à la journaliste et un de ses soutiens dans la mouvance diplomatique : Pascal Brice. Pour cet atlantiste en diable qui dirige l’organisme en charge du droit d’asile (OFPRA), celui (d’asile) offert en un temps record à l’Ukrainienne constitue "un grand de motif de fierté". C’est ce qu’il déclarait dans une émission de radio de…Caroline Fourest qui lui était consacré (France Inter, "Ils changent le monde").
Un an plus tôt, c’est un autre membre du "réseau Fourest", le très néoconservateur François Zimeray, ex-Ambassadeur des droits de l’homme, qui se montrait particulièrement bienveillant envers Shevchenko. Ce n’est pas tout, la parution d’un ouvrage d’entretien entre la militante et la journaliste est imminente. Il ne s’agit pas d’un coup d’essai. Dès 2012 France 2 diffusait un documentaire de Fourest à la gloire du mouvement. L’experte reconnue de l’extrême-droite française s’y montrait complaisante vis-à-vis de son alter ego ukrainienne…
Dans le documentaire, il est en effet question, avec empathie, d’une "réunion de l’opposition" contre les résultats d’une "élection législative jouée d’avance". On aperçoit alors distinctivement dans la foule les drapeaux bleu et jaune du parti d’extrême-droite Svoboda. Il s’avère qu’à la tribune ce jour là se trouvait aussi le leader de l’extrême-droite ukrainienne Oleh Tyahnybok, celui-là même qui dénonçait dans les années 2000 la "racaille juive"….
- Contre-champ : Oleh Tyahnybok à la tribune de la réunion de "l’opposition"
L’occasion de rappeler que Charlie Hebdo est depuis plus de dix ans un allié plus ou moins constant des intérêts néoconservateurs. De Philippe Val à Charb.
- A gauche : Mohamed Sifaoui, Philippe Val, Caroline Fourest et un Danois, le très néoconservateur Flemming Rose (2006)
A droite : Elisabeth Lévy, fondatrice du mensuel pro-israélien (et propriété d’un "magnat" d’extrême-droite) Causeur avec Charb (Photo Causeur, 2012)
Enfin, l’association "FEMEN France" a elle-même a été fondée par une proche de Caroline Fourest, Safia Lebdi. Elle est issue de Ni Putes Ni Soumises, à qui l’on doit l’introduction dans le débat français de l’expression "fascisme vert". Elle finira par claquer la porte . Trop indépendante pour subir le diktat de la direction ukrainienne. D’autres militantes rejoignent le mouvement. Moins formées politiquement, aux idées parfois troubles.
"Nous ne sommes pas dans un Etat islamique"
Qu’on en juge ce texte, au sujet de violences sur fond de religion et de racisme à Trappes. Il est signé par "Andromak", la tatoueuse attitrée du groupe :
"C’est bien qu’ils brûlent leur ville, ça nous évite d’avoir à le faire. Nous ne sommes pas dans un état islamique […] Ces personnes n’aiment pas leur pays, ces personnes ne sont pas patriotes, ces personnes ne respectent pas la république. Ils usent de certaines de nos lois libertaires pour nous entrainer vers des conceptions liberticides qui demain leur permettrons de créer des lois répressive a l’égard de la république […]N’oublions pas que les extrêmes ne sont JAMAIS bénéfiques, et que même si un ras le bol générale laisse à penser pour certains que la solution serait de voter l’extrême aux prochaines élections, sachez que se ne serait prendre le même chemin que ceux que nous critiquons […]si chaque citoyen arrête de tourner la tête, de baiser les yeux au nom du syndrome colonial, nous avons une chance d’arriver à vivre ensemble…".
Capture écran Twitter FEMEN / Photo Profile Facebook Andromak
Un dérapage logique. Le discours officiel lui-même se "décomplexe". Anna Hutsol utilisant l’expression "mentalité arabe" comme synonyme de "mentalité patriarcale". Sasha Shevchenko comparant le voile…à un camp de concentration. Et Inna Shevchenko donnant dans un néoconservatisme digne du bushisme triomphant. Face aux accusations d’islamophobie, elle écrit dans le Huffington Post :
"Nous sommes en guerre. Une guerre entre deux époques . Une guerre entre une mentalité rétrograde qui appartient au Moyen-Âge et une mentalité progressiste bien ancrée dans le 21ème siècle . Une guerre entre la liberté et l’oppression . Une guerre entre la démocratie et la dictature. Une guerre entre ceux qui traitent les femmes comme des chiens et celles qui crient ‘nous sommes des femmes, nous sommes des êtres humains !’. Une guerre entre ceux qui croient aux superstitions et ceux qui ont l’esprit clair .’
Une rhétorique calquée sur celle de Wafa Sultan, enfant chérie de l’extrême-droite pro-israélienne, depuis un fameux "dérapage" relayé par MEMRI :
"Le conflit auquel nous assistons n’est pas un conflit de religions ou de civilisations. C’est un conflit entre deux opposés, entre deux époques . C’est un conflit entre une mentalité qui appartient au Moyen-Âge et une autre qui appartient au 21ème siècle . C’est un conflit qui oppose la civilisation au retard, ce qui est civilisé à ce qui est primitif, la barbarie à la raison . C’est un conflit entre la liberté et l’oppression, entre la démocratie et la dictature . C’est un conflit entre les droits de l’Homme d’une part, la violation de ces droits de l’autre. C’est un conflit qui oppose ceux qui traitent les femmes comme des animaux à ceux qui les traitent comme des êtres humains..[…] Ce sont les musulmans qui ont déclenché le conflit des civilisations."
A l’époque, le premier média français à avoir relayer la "VF" des propos de Sultan n’est autre que le site de la revue de…Caroline Fourest. Le plagiat d’Inna Shevchenko a quant à lui été publié par le Huffington Post, plateforme qu’elle partage avec une certaine …Fourest Caroline.
- Wafa Sultan et la bloggueuse pro-israélienne d’extrême-droite Pamela Geller / Sultan et deux collaborateurs de C.Fourest : Irshad Manji et Mohamed Sifaoui / Sultan et Geert Wilders
Relents colonialistes
Il y a les dérapages verbaux mais aussi les actes. FEMEN a multiplié les mises en scène ridiculisant les croyants musulmans. Il y eut la très médiatisée "Topless jihad day", organisée en solidarité avec la FEMEN tunisienne Amina Sboui. Et une protestation aux JO de Londres, contre l’autorisation faite à des athlètes voilées de concourir. La vidéo de cette dernière opération – orchestrée depuis Kiev, cf FEMEN – que nous avons retrouvée dans le "deep web", fut peu relayée, on comprendra pourquoi.
D’aucuns répondront que FEMEN s’attaque également à des symboles chrétiens. Certes. Mais quand par exemple elles attaquent le Vatican, c’est pour le dénoncer comme un "caillot" au sein de la "civilisation du progrès". A savoir l’Occident. Autre preuve de la hiérarchisation des cultures et des religions à laquelle elles se livrent, leur volonté affichée de "pousser le monde civilisé à boycotter les pays qui pratiquent des traditions islamiques barbares" (cf. FEMEN). Une rhétorique empreinte de colonialisme.
Enfin, il faut noter qu’à la rentrée 2013, le double langage (qui consistait par exemple à proclamer "mort à la sharia" en russe… rien qu’en russe) craquait définitivement, l’islam en tant que tel étant désigné comme adversaire : "L’islam n’est pas source de vertu. L’islam est source de violence et d’oppression" (statut Facebook).
FEMEN de demain ?
A l’été 2013, Anna Hutsol et Viktor Sviatski demandaient l’asile politique…à la Suisse. La rentrée du groupe fut marquée par trois axes de lutte : la dénonciation de l’islam en tant que telle, de la prostitution et enfin, comme sortie de nulle part…une défense de l’immigration (sur fond d’anti-frontisme). Il n’est pas sûr que celle-ci en demandait autant. FEMEN a d’ailleurs été catalyseur de nouveaux groupuscules d’extrême-droite tels Hommen et Antigone.
Le manque de transparence du mouvement couplé à l’autoritarisme de ses dirigeants est un véritable frein à son expansion. Les branches Brésil et Belgique ont ainsi été dissoutes. Les membres historiques de FEMEN France ont quitté le mouvement.
Leurs positions islamophobes et occidentalistes leur ont assuré des soutiens. Mais celles-ci semblent aller à l’encontre des nouveaux rapports de force internationaux et d’un certain changement d’ambiance, avec par exemple une certaine banalisation des Frères Musulmans. En outre, l’année passée aura été marquée par un début de reconnaissance du phénomène islamophobe en tant que tel, jusque dans la mouvance antifasciste. En décembre 2012, les FEMEN étaient tout bonnement "évacuées" d’une manif pour le mariage pour tous !
Un article paru en Belgique l’été dernier soulève la question d’une dérive sectaire. A titre d’exemple : la journaliste Ann-Sofie Dekeyser, infiltrée dans le mouvement, souligne la pression qu’elle a ressentie pour se faire tatouer le corps, et la peur. Il s’agissait de se faire inscrire le mot liberté en ukrainien…soit "Svoboda" (ce qui provoqua quelques remous, il s’agit du nom du parti d’extrême-droite ukrainien).
Enfin, un repliement sur l’Ukraine semble exclu. Le tronçonnage d’une croix en aout 2012 y a achevé leur isolement.
En France, leurs provocations contre l’Eglise, à la veille d’élections municipales dont on sait combien elles sont empreintes d’électoralisme, a fragilisé leur position au sein du PS ; mais dans le même temps redonné du grain à moudre à leurs meilleurs ennemis : l’extrême-droite catholique. La susceptibilité de cette mouvance constitue peut-être un de leurs derniers espoirs pour ne pas retomber dans un certain oubli. La victimisation est en effet un des ressorts essentiels de leur développement.
Olivier Pechter
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