par Maurice Lemoine
Lorsque, voilà deux décennies, un Digicode a remplacé la concierge
qui, cerbère embusqué derrière le rideau de sa loge, surveillait
l’escalier, vous avez soupiré, soulagé : vos allées et venues et
fréquentations allaient enfin passer inaperçues. Erreur funeste. Au
quotidien, l’historique de l’utilisation de vos cartes de crédit,
comptes en banque, dossiers médicaux, fiches de paye, casiers
judiciaires, relevés d’appels téléphoniques figurent désormais dans des
dizaines de bases de données sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle —
sachant qu’il est presque impossible d’y corriger des informations
erronées.
Partout où vous passez fleurissent les caméras : dans les halls d’immeuble (nous y revoilà), les rues, les parkings, les transports en commun, les boutiques, voire sur des drones destinés — bien sûr ! — à « déjouer les actes terroristes »… mais aussi et surtout à surveiller les manifestations et les banlieues.
Un conseil : pour peu que vous ne soyez pas encore au chômage, demeurez soumis. D’après la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le nombre des plaintes liées à la « vidéoprotection » et à d’autres techniques de « flicage » sur les lieux de travail ne cesse d’augmenter : pour ne citer que quelques marques connues, un centre commercial Edouard Leclerc, Ikea, Quick et Euro Disney ont été épinglés pour avoir espionné leurs salariés (1).
Résolument moderne, vous vivez rivé à l’écran de votre « ordi ». Là, n’étant concerné ni par les messages à connotation terroriste ou raciste, ni par ceux qui prônent la consommation de drogue ou d’images à caractère pédophile, vous pensez ne rien risquer. Adepte de la proximité et des contacts humains, vous vous contentez de fréquenter les réseaux dits sociaux et, en consommateur avisé, de pratiquer le e-commerce, qui n’a plus de secrets pour vous. Malheureusement, vous n’en avez pas non plus pour lui.
Vos nouveaux « amis intimes » — Google, Facebook, Twitter, Amazon, eBay, etc. — stockent et traitent l’ensemble des informations liées à vos requêtes et visites de leurs sites ; ils connaissent mieux que vous vos orientations politique et sexuelle, votre confession religieuse, vos amitiés, vos lectures, vos achats, le lieu rêvé de vos vacances, votre addiction au tabac ou au whisky. Ces sympathiques partenaires se métamorphosent en lobbyistes féroces auprès du Parlement européen si d’aventure, comme le 21 octobre 2013, vous prétendez reprendre le contrôle de vos données personnelles ou exigez d’avoir à donner votre « consentement explicite » à qui souhaite les piller (2).
En citoyen informé, vous avez bien sûr suivi le feuilleton du moment : les révélations de M. Edward Snowden sur les écoutes planétaires de la National Security Agency (NSA) et des services de renseignement américains. Au nom de la lutte contre le terrorisme — et tout autant de l’espionnage des stratégies industrielles et politiques des pays ennemis et amis ! —, nul n’y a échappé : trente-cinq chefs d’Etat, les ministères, les ambassades, les institutions internationales — Union européenne, Nations unies, Banque mondiale — et même… vous ! A Paris, à Bruxelles, après quelques accès de « colère » et d’« indignation », nos représentants se sont tus et, à de rares exceptions près — des eurodéputés, la commissaire européenne à la justice Viviane Reding —, n’ont même pas envisagé de réagir en stoppant les négociations du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP).
Il est vrai qu’entre-temps les Etats-Unis ont contre-attaqué avec un discours d’une grande simplicité : « Tout le monde le fait ! » Exact. Si, de notoriété publique, les services de renseignement anglo-saxons (et israéliens) collaborent avec la NSA, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française, plus discrètement, le fait également. Promulguée le 19 décembre 2013, la loi de programmation militaire comporte un article 20 qui, traitant de l’« accès administratif aux données de connexion », prétend étendre la possibilité de se procurer les métadonnées des internautes sans passer par l’autorité judiciaire.
Mis en cause pour la complicité des géants de l’Internet dans cette surveillance globale, M. Vinton Cerf, vice-président de Google, s’est contenté de rétorquer : « La vie privée peut être considérée comme une anomalie (3). »
Partout où vous passez fleurissent les caméras : dans les halls d’immeuble (nous y revoilà), les rues, les parkings, les transports en commun, les boutiques, voire sur des drones destinés — bien sûr ! — à « déjouer les actes terroristes »… mais aussi et surtout à surveiller les manifestations et les banlieues.
Un conseil : pour peu que vous ne soyez pas encore au chômage, demeurez soumis. D’après la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le nombre des plaintes liées à la « vidéoprotection » et à d’autres techniques de « flicage » sur les lieux de travail ne cesse d’augmenter : pour ne citer que quelques marques connues, un centre commercial Edouard Leclerc, Ikea, Quick et Euro Disney ont été épinglés pour avoir espionné leurs salariés (1).
Résolument moderne, vous vivez rivé à l’écran de votre « ordi ». Là, n’étant concerné ni par les messages à connotation terroriste ou raciste, ni par ceux qui prônent la consommation de drogue ou d’images à caractère pédophile, vous pensez ne rien risquer. Adepte de la proximité et des contacts humains, vous vous contentez de fréquenter les réseaux dits sociaux et, en consommateur avisé, de pratiquer le e-commerce, qui n’a plus de secrets pour vous. Malheureusement, vous n’en avez pas non plus pour lui.
Vos nouveaux « amis intimes » — Google, Facebook, Twitter, Amazon, eBay, etc. — stockent et traitent l’ensemble des informations liées à vos requêtes et visites de leurs sites ; ils connaissent mieux que vous vos orientations politique et sexuelle, votre confession religieuse, vos amitiés, vos lectures, vos achats, le lieu rêvé de vos vacances, votre addiction au tabac ou au whisky. Ces sympathiques partenaires se métamorphosent en lobbyistes féroces auprès du Parlement européen si d’aventure, comme le 21 octobre 2013, vous prétendez reprendre le contrôle de vos données personnelles ou exigez d’avoir à donner votre « consentement explicite » à qui souhaite les piller (2).
En citoyen informé, vous avez bien sûr suivi le feuilleton du moment : les révélations de M. Edward Snowden sur les écoutes planétaires de la National Security Agency (NSA) et des services de renseignement américains. Au nom de la lutte contre le terrorisme — et tout autant de l’espionnage des stratégies industrielles et politiques des pays ennemis et amis ! —, nul n’y a échappé : trente-cinq chefs d’Etat, les ministères, les ambassades, les institutions internationales — Union européenne, Nations unies, Banque mondiale — et même… vous ! A Paris, à Bruxelles, après quelques accès de « colère » et d’« indignation », nos représentants se sont tus et, à de rares exceptions près — des eurodéputés, la commissaire européenne à la justice Viviane Reding —, n’ont même pas envisagé de réagir en stoppant les négociations du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP).
Il est vrai qu’entre-temps les Etats-Unis ont contre-attaqué avec un discours d’une grande simplicité : « Tout le monde le fait ! » Exact. Si, de notoriété publique, les services de renseignement anglo-saxons (et israéliens) collaborent avec la NSA, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) française, plus discrètement, le fait également. Promulguée le 19 décembre 2013, la loi de programmation militaire comporte un article 20 qui, traitant de l’« accès administratif aux données de connexion », prétend étendre la possibilité de se procurer les métadonnées des internautes sans passer par l’autorité judiciaire.
Mis en cause pour la complicité des géants de l’Internet dans cette surveillance globale, M. Vinton Cerf, vice-président de Google, s’est contenté de rétorquer : « La vie privée peut être considérée comme une anomalie (3). »
Maurice Lemoine
(1) En 2011, la CNIL a reçu plus de trois cent soixante plaintes relatives à la vidéosurveillance ; 60% de celles-ci (soit deux cent quinze) concernaient les lieux de travail (+ 13% par rapport à 2010), www.cnil.fr, 21 juin 2012.
(2) « Privacy Alert #1 : le consentement explicite », La Quadrature du Net, 27 mai 2013.
(3) Le Monde, 12 décembre 2003.