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par Ludovic Greiling
Président du groupe de recherche Polémia, auteur d'un livre remarqué sur les médias français (La Tyrannie médiatique, éd. Via Romana, 2013), Jean-Yves Le Gallou estime qu'un bouleversement est en cours dans le monde de l'information.
Vous affirmez que les médias ne sont plus le quatrième
pouvoir, comme l'affirme l'adage, mais le premier. Pourquoi ?
Les médias exercent aujourd'hui le principal pouvoir, celui
sur les esprits. Le message qui est diffusé s'imprime dans les têtes. Qu'on le
veuille ou non, c'est un véritable organe de contrôle du cerveau. En outre, les
médias ont un pouvoir de vie ou de mort sociale. Ils peuvent diaboliser un
personnage, le starifier ou l'ignorer totalement. Les exemples ne manquent pas
(voir La Tyrannie médiatique). Les médias calibrent ce qu'ils disent ; ils
s'autolimitent selon l'idéologie dominante.
Quelle est cette pensée unique dont vous parlez ?
De toute évidence, elle prône la destruction des frontières,
la marginalisation des traditions et de la culture, l'avènement d'un
gigantesque espace de marché pour la consommation individuelle. Ceux qui ne
partagent pas cette vision s'exposent à la mort sociale dont je parlais. Le
mimétisme entre les journalistes renforce ce phénomène. En Europe,
particulièrement en France, les médias n'informent plus, ils communiquent.
Comment en est-on arrivé là ?
Nous observons en France une conjonction entre les
trotskistes de salle de rédaction - ceux qui avaient massivement investi
les médias suite au mouvement libéral-libertaire de mai 68 - et le
capitalisme financier - qui a constamment aidé la presse avant d'en
devenir propriétaire. Vous savez, cette corruption des médias et leur
transformation en instruments de propagande ne sont pas un phénomène nouveau.
L'influence qu'y exercent des banquiers, des hommes politiques ou des
puissances étrangères pour les détourner de leur fonction de contre-pouvoir ne
l'est pas non plus. Mais on ne peut en dire autant de la disparition totale de
la pluralité des opinions dans nos médias aujourd'hui.
Est-il possible de rétablir de la diversité médiatique ?
Dans le cadre actuel, je ne pense pas. Il n'y a plus aucun
contrepouvoir dans la grande presse et les médias audiovisuels sont surveillés
par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, organisme qui peut rappeler à
l'ordre des intervenants ou empêcher la diffusion d'une chaîne sur le
territoire. Il y a eu des tentatives de diversification et elles ont toutes
échoué : Frédéric Taddéï a été neutralisé sur France 3, Robert Ménard a
été éliminé d'I-télé, Eric Zemmour a vu son temps d'antenne réduit de 60 % sur
RTL...
L'Internet peut-il changer la donne ?
Il modifie déjà en profondeur le paysage médiatique. Le
rapport de force entre les médias dominants et les médias alternatifs est
bouleversé : s'il était de 1 pour 1 000 avant l'apparition de
l'Internet, il est aujourd'hui tombé à 1 pour 10. La répercussion est considérable.
Il n'est pas impossible que nous assistions à la fin de la tyrannie médiatique.
En effet, nous observons d'une part un début de « krach » : la
différence entre ce qui est montré et espéré par la caste journalistique et ce
qui est vécu et voulu par la population est telle que cette dernière ne croit
plus au message qu'on lui soumet. D'autre part, des médias alternatifs ont fait
leur apparition sur Internet, et le volume est en extension.
Des voix politiques ou éditorialistes commencent à s'élever
pour réclamer la censure du Net. Qu'en pensez-vous ?
Cela fait vingt ans que j'en entends parler. Et ce n'est pas
étonnant : la suprématie de la caste dominante est liée à une situation de
monopole qu'elle entend préserver. Un événement comme l'affaire Dieudonné
semble être avant tout destiné à justifier la censure d'Internet. Dans les
années 90, quand j'étais député au Parlement européen, j'ai siégé à la
Commission des libertés civiles. L'une de ses obsessions était... le contrôle
d'Internet. Officiellement, il s'agissait de lutter contre la pédophilie, le
racisme et le négationnisme. Le plus en pointe dans ce combat était le député
allemand Martin Schultz. Depuis, l'homme est devenu président du groupe
socialiste au Parlement européen, puis président de cette assemblée, et il est
pressenti pour diriger la Commission européenne. C'est tout sauf un
hasard.