Ex: http://www.dedefensa.org
La nouvelle équipe mise en place au ministère des affaires étrangères
allemand présente une perspective très intéressante, essentiellement au
moment où la crise ukrainienne prend des dimensions internationales
importantes. En effet, c’est tout aussi essentiellement du point de vue
des relations avec la Russie, et cela dans le cadre de la tension
ukrainienne, qu’il faut considérer cette nouvelle équipe.
Nous parlons d’une “nouvelle équipe”, dans le contexte que nous
proposons, parce qu’il faut parler, à côté du ministre Frank-Walter
Steinmeier qui a été nommé en décembre 2013, de Gernot Erler, nouveau
chef des relations avec la Russie et les pays de l’ex-URSS dans ce
ministère (titre de sa fonction : “Coordinateur responsable de la
Russie, de l’Asie centrale et des pays de l’Eastern Partnership”). Erler est entré en fonction jeudi dernier et a aussitôt exposé aux journalistes ses conceptions (voir EUObserver, le 31 janvier 2014)
• Les deux hommes sont des SPD, ce parti ayant réclamé pour lui ce
grand ministère des affaires étrangères comme une des conditions de sa
participation à la coalition avec Merkel. La politique russe de
Frank-Walter Steinmeier est très spécifique, comme il l’a montré dans
les quatre années (2005-2009) qu’il a passées à ce poste, dans la
premier gouvernement Merkel, également de coalition. On peut dire qu’il
s’agissait, pour l’essentiel, d’une poursuite discrète de la politique
Schröder (toujours pour les relations avec la Russie), en même temps que
l’affirmation de Steinmeier de son peu de goût pour les
pratiques-Système du politically correct. Cet extrait de l’article de Wikipédia
qui lui est consacré est significatif, y compris avec citation de la
réaction d’un extraordinaire cynisme inconscient du New York Times
accusant, en parfait mode inverti, Steinmeier d’un “extraordinaire
cynisme” parce que ce ministre-là avait observé (en 2008) qu’il fallait,
comme lui-même l’avait fait, “beaucoup de courage par les temps qui
courent pour ne pas rencontrer le Dalaï-Lama” quand il passait à portée
de rencontre... (Donc, selon notre interprétation, il n’y a rien pour ce
cas qui soit nécessairement contre le Dalaï-Lama, – autre débat, – mais
beaucoup, sinon tout, contre l’obligation-Système très active en
2008-2009, – JO de Pékin et la suite, – d’aller faire ses dévotions aux
Dalaï-Lama. L’extraordinaire “cynisme inconscient du New York Times”
est bien de faire la bête à cet égard, et de négliger l’évidence qui
aurait du l’éclairer et qui l’a plutôt aveuglé. L’aveuglement est donc
avéré et le cynisme trouillard et inconscient du NYT est bien là ; mais
quoi, rien de nouveau à cet égard depuis que règne le Système.)
«Russian
opposition activists celebrated when Steinmeier lost elections in 2009,
signaling their discontent with Steinmeier. Oleg Orlov, head of the
Memorial human rights group, said that Steinmeier had prolonged
Schröder's policies on Russia and that Germany's policies were
“extremely bad for civil society, democracy and the country as a whole”.
»In
2008, Steinmeier refused to meet Dalai Lama. Instead, Steinmeier issued
the statement “it takes a lot of courage not to meet with the Dalai
Lama these days”, which the New York Times described as “extraordinarily
cynical” and accused of Steinmeier of prioritizing money over human
rights.»
• Merkel accepta la nomination de Erler au côté de Steinmeier le 9
janvier. On notait alors qu’il s’agissait de la reconstitution de
l’équipe Schröder pour l’établissement de relations privilégiées avec la
Russie : «Erler coordinated German-Russian relations in the
foreign ministry at the time when Steinmeier was chief of staff to
Chancellor Gerhard Schroeder. Together they secured the construction of a
direct gas pipeline from Russia to Germany (Nord Stream) which bypassed
Poland and the Baltic states, increasing their vulnerability to Moscow
gas politicking.» (EUObserver, le 10 janvier 2014.)
• Dans le texte déjà référencé (EUObserver, le 31 janvier 2014),
on a donc une excellente présentation des idées et des conceptions qui
vont présider à la nouvelle équipe du ministère des affaires étrangères
allemand vis-à-vis de la Russie et au moment où la crise ukrainienne
place les relations avec la Russie au premier plan. Les déclarations de
Erler sont d’autant plus significatives que son poste a pris l’ampleur
qu’on a vue, alors qu’il était auparavant réservé aux seules relations
de l’Allemagne avec la Russie. (Cela servit à son prédécesseur, Andreas
Schockenhoff, pour en faire une tribune d’accusation constante de la
situation des droits de l’homme et de la démocratie en Russie, sorte de
base d’“agression douce” contre la Russie caractérisant alors pour une
bonne part la temporairement “nouvelle” politique russe de l’Allemagne
[voir le 8 avril 2013]. On mesure d’autant mieux le changement qu’apporte l’équipe Steinmeier-Erler.)
«The
EU was wrong not to have analysed possible conflicts with Russia before
offering the so-called Eastern Partnership to countries like Ukraine,
Gernot Erler, Germany's new chief of relations with Russia and the
eastern neighbourhood told journalists in Berlin on Thursday (30
January). [...]
»[Erler] said
his name was floated to act as a mediator in Ukraine, where pro-EU
protests in Kiev recently turned violent. But in the meantime, EU
neighbourhood commissioner Stefan Fuele and EU foreign policy chief
Catherine Ashton have taken on the task. “It is best for Germany not to
seek a special role in Ukraine but rather to stick to the common
European position and support the EU mediation efforts,” Erler said. [...]
»...Erler
said the number one priority is to stop the violence. He said the
second priority is to quickly create a functional government because
“Ukraine is on the brink of bankruptcy, which would have immense
consequences also for Europe.” But, looking further down the line, he
said the EU must reconsider its Eastern Partnership and why the Ukraine
fiasco arose. [...]
»“I
am surprised that experts have been called to look into it only now –
if there is a conflict between a Russian Customs Union and the Eastern
Partneship. We need a solution as quickly as possible, because this is
not only about Ukraine. Moldova and Georgia have finished the
negotiations and want to sign the agreement this summer. How will Russia
act if that happens?” Erler asked. “We have to ensure there is no
tension between the Eastern Partnership and the Russian Customs Union,”
he noted.
»He
added that trade is just one element of concern from the Russian side,
but did not elaborate on the point. But he said that if countries like
Ukraine, Georgia and Moldova enter a “deep free trade agreement” with
the EU, as currently envisaged by the Eastern Partnership, Moscow fears
that these markets will be flooded with cheap Western products, which
would undermine Russian exports. “I can understand this concern. I don't
know what the solution will look like, but it seems possible and this
is currently being assessed by experts,” he noted.»
On comprend évidemment l’intérêt que nous portons à cette nouvelle
équipe de politique étrangère de l’Allemagne. Le terme “équipe”
lui-même, au lieu de désigner le seul nouveau ministre, suffit à définir
la cause de notre intérêt, puisqu’à côté du ministre l’importance de
son coordinateur pour les relations avec la Russie et son “extérieur
proche” est évidente et significative. Les relations de l’Allemagne avec
la Russie et avec l’Ukraine, et justement les deux relations suivies et
coordonnées par un seul homme, ont aujourd’hui une importance
absolument considérable alors que nous sommes au cœur de la crise
ukrainienne. Avec l’équipe Steinmeier-Erler, l’Allemagne sera poussée à
déployer une tendance politique qui ira contre toutes les tendances
activistes du bloc BAO, que ce soit celle de l’UE et de ses principaux
membres (sauf l’Allemagne dans ce cas, bien entendu), que ce soit celle
des USA, que ce soit celle des divers centres d’agitation et de
subversion qui nous sont bien connus depuis les “révolutions de
couleur”.
Nous n’entendons certainement pas porter ici un jugement de type
géopolitique, puisque, nous le répétons une fois de plus pour tenter
d'en instruire ceux qui nous lisent qu’il s’agit bien de notre ligne de
pensée invariable, notre jugement rejette absolument cette référence
dans une époque qui est installée décisivement et irréversiblement dans
l’ère psychopolitique.
C’est dire que nous n’apprécions nullement la nouvelle équipe
Steinmeier-Erler du ministère des affaires étrangères comme un outil
offensif de type géopolitique, par exemple pour établir des relations de
puissance avec la Russie, ou pour toute autre entreprise du même genre.
Pour nous, l’Allemagne reste un pays privé d’une véritable politique
étrangère, sans la dimension de sécurité souveraine qui fait une telle
politique ; par conséquent, l’Allemagne n’est pas dans une voie
géopolitique d’affirmation, dans quelque orientation qu’on la considère.
Mais ce qui semblait une immense faiblesse de l’Allemagne dans l’ère
précédente est devenu d’une piètre importance aujourd’hui. Si
l’Allemagne ne s’est pas haussée au niveau d’un grand acteur souverain,
comme le craignent les géopoliticiens qui voient constamment ces
derniers temps une résurgence de la puissance allemande, les autres (USA
et France en premier) se sont tous abaissés à son niveau en dissolvant
leurs principes d’action dans la course effrénée pour rencontrer les
consignes-Système, et opérationnaliser ce que nous nommons la politique-Système,
avec l'importance primordiale accordée à la communication au détriment
complet de l'action. Dans ces conditions qui sont celles d’un
abaissement général qui ne saurait surprendre dans le contexte général,
d’une absence totale d’action politique structurante, d’une paralysie
conceptuelle à cause des pressions du système de la communication, il se
trouve que l’Allemagne telle qu’elle se découvre avec l’équipe
Steinmeier-Erler est parfaitement placée ; elle se retrouve à l’aise
dans le jeu ordonné par l’ère psychopolitique, où les événements hors du
contrôle humain ont pris le pas sur les desseins géopolitiques et les
politiques qui vont avec, au profit (?) d’un immense désordre lorsqu’il
s’agit de cette même appréciation géopolitique faite du point de vue des
acteurs humains ignorant que l’enjeu central est désormais autour du
Système et de l’affrontement Système versus antiSystème. Dans
le cas qui nous occupe, l’équipe Steinmeier-Erler ressuscite
indirectement, par le biais des obligations de l'ère psychopolitique, la
politique Schröder des années 2001-2005, qu’on a faussement qualifiée
d’antiaméricaniste à cause de l’affaire irakienne, qui fut
essentiellement déployée selon une volonté de stabilité, en Europe
d’abord avec les bonnes relations avec la Russie, d’une façon plus
générale dans le reste du monde avec le refus de Schröder d’appuyer
l’invasion de l’Irak (plutôt qu’une opposition directe). Ce sont les
centres divers de pensée paranoïaque de Washington et des milieux
atlantistes (think tanks et NGO diverses, des neocons à Soros) qui firent de cette politique Schröder une affirmation antiaméricaniste.
(De ce point de vue, la politique Schröder épousait parfaitement la
politique française de 2002-2003, lorsque l’équipe Chirac-de Villepin
retrouva les principes gaulliens de partage par universalité du principe
de souveraineté nationale, au nom duquel la France s’opposa à
l’expédition irakienne des USA, – et, là aussi, nullement par
antiaméricanisme d'humeur ou de circonstance. (L'antiaméricanisme est
là, simplement parce que les USA sont un centre-Système complètement
anti-principie.) Ainsi faut-il également séparer, du côté allemand, les
perspectives ouvertes par l’équipe Steinmeier-Erler de la brouille
actuelle Allemagne-USA dans la crise Snowden/NSA. Le deuxième cas
concerne, du côté allemand, la souveraineté intérieure allemande qui n’a
rien à voir avec une politique extérieure, souveraine ou pas. La crise
Snowden/NSA ne dépend certainement pas, dans sa composante allemande,
des affaires étrangères mais de l’ensemble de sécurité intérieure, –
ministère de l’intérieur, services de sécurité allemands, etc., – et,
bien entendu, de Merkel elle-même.)
Dans les circonstances présentes, avec le bouillonnement ukrainien,
avec cette nouvelle équipe Steinmeier-Erler et l’éventuelle politique
qu’elle sera conduite à proposer, – Merkel ayant sont mot à dire,
naturellement, – l’aspect non-géopolitique de l’activité allemande
s’insère parfaitement dans le contexte général pour agir comme une
pression antiSystème brutale et inattendue au milieu de l’élan général
antirusse (et pro-opposition en Ukraine) du bloc BAO. (Nous irions même
jusqu’à avancer que la seule présence de l’équipe Steinmeier-Erler
constitue en soi une telle affirmation de communication que, même sans
la nécessité d’actes politiques affirmés et sensationnels, elle imposera
sa marque dans les événements en cours, notamment la crise
ukrainienne.)
Nous apprécions donc l’importance fondamentale de cette nouvelle
structure de la politique étrangère allemande, surtout avec le rôle
élargie donné à Erler par rapport à son prédécesseur, qui lui permet de
traiter directement de l’affaire ukrainienne par rapport aux liens de
l’Allemagne, et de l’UE, avec la Russie, comme un élément de trouble et
de contradiction plus que comme un élément constructif. Ce trouble et
cette contradiction sont introduits au cœur de la politique-Système qui
ne peut être qu’antirusse, et pour les circonstances plus
opérationnelles, comme un élément de trouble et de contradiction au cœur
de l’action de l’UE et dans les relations intra-bloc BAO, entre l’UE et
les USA. Cela ne se comptabilise nullement en termes de “victoire” ou
de “défaite”, encore moins en termes de stabilisation, mais en termes
d’accentuation de la lutte antiSystème contre un Système en mode de
surpuissance, et par conséquent en termes d’accentuation de la
dynamique-Système définie par l’équation surpuissance-autodestruction,
avec l’accentuation de la dynamique de surpuissance alimentant sa propre
transmutation en autodestruction.