INTERVIEW - Malika
Sorel-Sutter, spécialiste des questions d'intégration, décrypte la
nouvelle feuille de route du gouvernement avec 44 propositions pour
lutter contre les discriminations.
Les 5 rapports sur l'intégration
remis au Premier ministre en décembre 2013 avaient suscité un tollé.
Itélé a révélé ce mercredi soir la nouvelle feuille de route du
gouvernement avec 44 propositions pour lutter contre les
discriminations. S'agit-il d'un projet réellement nouveau ou d'un retour
aux rapports qui ont fait scandale en décembre 2013?
Malika Sorel-Sutter: L'habillage
est différent, mais la philosophie est la même. Elle consiste à
attribuer la responsabilité de l'échec de l'intégration aux Français qui
entraveraient la réussite des immigrés et de leurs descendants et c'est
à ce titre qu'il convient de lutter contre les discriminations. La
feuille de route s'ouvre en rappelant qu'elle vient après le rapport Tuot et
les cinq rapports remis au Premier ministre et qu'elle s'inscrit, en
quelque sorte, dans la continuité. C'est une manière de rappeler sa
filiation. C'est bien la preuve que, contrairement aux dénégations qui
avaient été formulées en décembre par le pouvoir politique, la
publication des cinq rapports sur le site de Matignon correspondait bien
à une intention politique de fond.
Dans cette feuille de route, on
retrouve notamment ce qui avait choqué dans les cinq rapports au sujet
de l'enseignement des langues étrangères, alors qu'il faudrait se
focaliser sur la transmission de la langue française. Nous savons en
effet que c'est l'une des raisons majeures de la sur-représentation des
enfants de l'immigration dans l'échec scolaire comme en attestent, une
nouvelle fois, les dernières enquêtes Pisa et comme cela est également
mentionné dans la feuille de route. La langue participe aussi, par
ailleurs, à la transmission de la culture.
Les précédents rapports prévoyaient de revenir sur l'interdiction du port du voile à l'école. Qu'en est-il de cette mesure?
L'abrogation
de la loi de 2004 sur l'interdiction du voile à l'école n'est plus
mentionnée, mais la feuille de route s'aligne sur la décision récente du
Conseil d'État qui consiste en quelque sorte à abroger la loi Chatel sur l'accompagnement des mères voilées dans
le cadre des sorties scolaires. La décision d'autoriser ou non le voile
reposerait désormais sur les épaules des chefs d'établissements. Nous
revenons à la case départ, lorsque Lionel Jospin s'était tourné vers le Conseil d'État.
Quelles sont les éventuelles mesures nouvelles? Prennent-elles le contre-pied des précédents rapports?
Les mesures qui n'apparaissaient pas dans les précédents rapports ne sont en aucun cas des mesures qui
auraient pu prétendre faire partie
d'une quelconque politique d'intégration. Ainsi en est-il de la mesure
39 qui consiste à renforcer l'offre publique de médias multilingues, ou
encore de la création d'un office franco-maghrébin pour la jeunesse, qui
aurait vocation à devenir «un organisme public». De même, la feuille de route
mentionne l'«accompagnement individualisé des primo-arrivants par des
référents de l'OFII, dans une dynamique d'accès le plus rapide au droit
commun (éducation, emploi, logement, droits sociaux…)». Comme chacun
sait et comme en atteste le niveau de sa dette, la France est
immensément riche !
La feuille de route prévoit notamment
des mesures de «testing». De quoi s'agit-il exactement? Existe-t-il un
risque de dérive vers un système de surveillance généralisée ?
Clairement,
il y a bien une volonté de surveillance généralisée au travers de
plusieurs mesures dont la mesure 17, qui consiste à effectuer du
«testing» auprès des milieux médicaux pour traquer les éventuels refus
de soins. De même pour la mesure 26, qui stipule que l'État doit
s'assurer que la fonction publique incarne bien «la diversité de la
société française dans toutes ses composantes et à tous les niveaux de
responsabilité.»
Au sein de
l'administration, l'une des pistes développées dans la feuille de route
consisterait à «ouvrir et élargir les concours à des populations pour
lesquelles la fonction publique reste trop souvent méconnue». Peut-on
parler de discrimination positive?
Oui, le pouvoir
bascule vers la préférence étrangère. Cela se lit très bien au travers
de plusieurs mesures comme, entre autres, la mesure 29: «Cette démarche
conduira le gouvernement à promouvoir l'obtention du Label Diversité par
l'ensemble des administrations publiques (...). A retenir en
particulier: la mise en place de classes préparatoires intégrées, la
formation des membres de jury de concours sur les stéréotypes, le
développement des recrutements hors concours (...)» De nombreuses
mesures sont destinées à donner la préférence aux personnes d'origine
extra-européenne. Ce qui se traduira mécaniquement par le fait que des
Français de souche européenne seront mis de côté uniquement parce qu'ils
ne sont pas de la bonne ascendance biologique. C'est du racisme
anti-Français.
Le gouvernement est-il tout simplement en
train d'enterrer sans le dire le modèle républicain d'intégration au
profit d'un modèle de type multiculturaliste ?
Le mot
«discrimination» apparaît 73 fois et le mot «droits» 60 fois, tandis que
le mot «devoir» apparaît moins de 10 fois. L'axe du rapport est énoncé
dans la feuille de route: «il ne doit plus y avoir de confusion entre
intégration et immigration». Or, ces deux sujets sont inséparables si
l'on souhaite véritablement conduire une politique d'intégration! Nous
ne sommes plus du tout dans une approche politique d'égalité des moyens,
mais dans une politique d'égalité des droits. C'est la consécration de
la déresponsabilisation totale des immigrés et de leurs descendants.
Clairement, le modèle français d'intégration, qui prend en compte
l'existence d'une identité culturelle française, disparaît. Il convient
de permettre à toutes les cultures présentes sur le sol français d'être
prises en considération et cela va très loin, puisque la feuille de
route veut mettre en route: «le développement d'un dispositif
d'observation de la présence des langues des migrants dans les
différents secteurs de la vie sociale, économique et culturelle de notre
pays».
En toute cohérence avec la politique
conduite depuis le début de ce quinquennat, un étranger qui foule le
sol français est appelé à devenir français quasiment automatiquement. Il
n'y a donc plus de processus d'intégration. D'ailleurs, la Direction de
l'accueil et de l'intégration a déjà été transformée en Direction
Générale des Étrangers en France. Dès l'entrée en matière, la feuille de
route rappelle que «La politique de naturalisation a été profondément
remaniée» par le biais de «la circulaire d'octobre 2012 et l'instruction
de juin 2013 (…) et les décrets d'août 2013 modifiant les conditions
d'instruction des dossiers de demandes de naturalisations par les
préfectures, en visant une meilleure harmonisation et une plus grande
efficacité.» Le
Figaro avait récemment fait état dans ses colonnes de l'augmentation
des régularisations de clandestins et des naturalisations. Rappelons également que ces circulaires et autres décrets émanent du ministère de l'Intérieur.
Le
modèle républicain est pourtant plébiscité par la majorité des
français. Comme expliquez-vous ce renoncement? Quel est le projet
idéologique du gouvernement ?
Le projet est clairement
affiché. Il s'agit de rééduquer les Français en leur inculquant ce que
la bien-pensance identifie comme la pensée juste. En conséquence, «des
plans de formation du personnel éducatif en matière de lutte contre les
discriminations devront être déployés». De même pour «les professionnels
du secteur médico-social» et «les agents de Pôle Emploi». Nous sommes
confrontés à une volonté de changer le peuple au travers du changement
en profondeur de tout son référentiel culturel. Il n'y a d'ailleurs pas
que dans ce domaine de l'intégration que cette idéologie est à l'oeuvre.
Nous la voyons également se déployer dans le registre de l'égalité
hommes/femmes avec les fameux ABCD de l'égalité qui ne sont pas autre
chose, par certains aspects, qu'une entreprise de lavage de cerveau des
enfants. Pour avoir travaillé sur cette question de l'égalité
hommes/femmes, je peux dire que, là aussi, le gouvernement fait fausse
route.
Face au défi de la mondialisation, notre modèle ne doit-il pas nécessairement s'adapter?
En réalité, le modèle d'intégration
français n'a jamais vraiment été appliqué pour l'immigration
extra-européenne. Depuis les années 80, les élites politiques ont versé
dans l'accommodement de nos principes républicains. Peu à peu, Ils les
ont vidés de leur contenu, et pour faire diversion ont tout de même
continué à s'y référer. En outre, il n'y a eu aucune volonté de réduire
de manière drastique les flux migratoires. Or ils constituent l'un des
vecteurs principaux du ré-enracinement des enfants de l'immigration dans
la culture de leurs pays d'origine. La feuille de route n'aborde
absolument pas ce point crucial sur lequel il est urgent d'agir. Alors
que ces enfants avaient besoin, plus encore que les autres, de la
transmission de la culture française, les ministres de l'Éducation
successifs ont le plus souvent engagé des réformes qui se sont traduites
sur le terrain, donc entre les murs de l'école, par une dépréciation
d'exigences. La droite qui a longtemps gouverné durant ces trente
dernières années doit faire son examen de conscience et renouer avec la
défense des intérêts de la France et de son peuple. Notre modèle
d'intégration garantissait la concorde civile. Son abandon engage
officiellement la France sur la voie de la libanisation.