Zemmour : «La gauche Terra Nova a déclaré la guerre au peuple»
INTERVIEW – Le chroniqueur du Figaro, Éric Zemmour, analyse l’évolution de la gauche française ces dernières décennies.
♦ Depuis la dernière conférence de presse de François Hollande, la plupart des éditorialistes de droite comme de gauche applaudissent le tournant social-libéral du président de la République. Mais François Hollande n’a-t-il pas toujours été social-libéral?
Pour moi, il n’y a pas de tournant. À partir du moment où François
Hollande avait ratifié le traité budgétaire signé par Nicolas Sarkozy et
Angela Merkel, et où ni l’Euro ni le libre-échange n’étaient remis en
cause, il n’y avait pas d’autre politique possible. François Hollande,
héritier de Jacques Delors le savait depuis le début de son mandat, sans
doute même depuis la campagne électorale. Pour prendre une image
automobile, le président de la République est sur l’autoroute de cette
politique là et auparavant il n’a fait qu’acquitter des péages à la
gauche qui l’avait porté au pouvoir: la taxe à 75%, les mots sur la
finance qui serait son «ennemi»…
Certains vont même jusqu’à parler de Bad Godesberg français… De quand date réellement la conversion de la gauche française au libéralisme?
Le virage le plus récent et le plus marquant est celui de 1983,
lorsque François Mitterrand arrime la monnaie française au Deutsche Mark
et se jette dans le libre-échange. À partir de ce moment-là, la messe
est dite et la gauche s’éloigne des classes populaires. Un lent abandon
qui est théorisé par la note de Terra Nova avant la présidentielle de
2012 qui recommandait au PS de «remplacer» le peuple par les immigrés et
à la marge par les cadres et les femmes diplômées. Comme l’a fait, avec
brio, le philosophe Jean-Claude Michéa, il faut remonter beaucoup plus
loin. Le tout premier tournant date de la fin du XIXe siècle avec
l’affaire Dreyfus. Au nom de la défense des droits de l’homme, les
socialistes se sont alors ralliés à la gauche libérale renonçant à leur
spécificité: la volonté de contraindre l’individu au nom de l’intérêt
supérieur de la collectivité. À partir de ce renoncement, le socialisme
se condamnait à être ce qu’il est devenu.
«Sous la République, l’argent prenait son bien en patience» Jacques Bainville.
Une phrase magnifique prononcée par une vieille dame riche dans La
IIIe République de Jacques Bainville résume ce nouvel état d’esprit:
«Sous la République, l’argent prenait son bien en patience». Cette
formule splendide qui date de 1900 aurait pu être prononcée dans les
années 80 sous Mitterrand. À partir de mai 68, on constate l’émergence
de la gauche libertaire avec le slogan: «il est interdit d’interdire».
Avec le libertarisme, cette gauche charrie déjà le libéralisme sans le
savoir. Elle va peu à peu dominer la vieille gauche étatiste et
socialo-communiste. En quelque sorte, Daniel Cohn-Bendit règle son
compte à Georges Marchais!
Dans ce contexte, qu’est-ce qui distingue encore la gauche de la droite?
Depuis 30 ans, la gauche a abandonné le peuple et la droite la
nation. La gauche avait abandonné la nation dès la fin du XIXe siècle et
encore plus en mai 68. Par l’intermédiaire du général de Gaulle la
droite l’avait récupérée. Après sa mort, elle l’a de nouveau délaissée
par vagues européistes successives. De ce constat découle qu’il n’y a
plus grande différence entre une gauche social libérale et une droite
libérale social. Reste à la marge des gens qui se distinguent. Le
discours sur les frontières de Nicolas Sarkozy durant la campagne de
2012 se démarquait clairement du discours dominant… Mais il se
démarquait aussi de la politique de Nicolas Sarkozy pendant 5 ans. Et il
n’est repris par personne aujourd’hui.
La feuille de route du gouvernement sur l’intégration a suscité un tollé. Les vraies différences se situent-elles désormais sur les questions identitaires et sociétales?
Le prix à payer pour la soumission définitive de la gauche au
libéralisme économique, c’est effectivement la marche en avant
totalitaire vers un libéralisme sociétal. Comme on peut le voir à
travers la politique de Najat Vallaud-Belkacem, qui reprend aujourd’hui
les programmes que l’inter LGBT promeut depuis 15 ans, ou à travers le
rapport sur l’intégration qui prône le retour du voile à l’école, la
gauche brûle aujourd’hui ses vaisseaux sociétaux. Elle le fait pour deux
raisons assez simples.
Premièrement, comme on l’a déjà dit, pour masquer sa conversion au libéralisme mondialisé.
«Les lobbys pourtant ultra minoritaires, qui dictent leur loi au
gouvernement, veulent profiter du quinquennat de François Hollande pour
imposer leur vision de la société de manière irrémédiable.»
Deuxièmement, parce qu’elle sent qu’il y a «un retour de bâton» dans
le pays réel comme le montre les sondages. Tous l’électorat de droite,
de l’UMP au FN, fait désormais bloc sur les thématiques sociétales,
immigrationnistes et sécuritaires, mais désormais la moitié de
l’électorat de gauche les rejoint également. Il y a une donc une volonté
idéologique de la part de la gauche de briser ce qui leur apparaît
comme le comble du fascisme: le peuple français. Celui-ci est à leurs
yeux, racistes, xénophobe et homophobe. Et les lobbys pourtant ultra
minoritaires, qui dictent leur loi au gouvernement, veulent profiter du
quinquennat de François Hollande pour imposer leur vision de la société
de manière irrémédiable. Il s’agit ni plus ni moins d’une déclaration de
guerre.
Vous avez voté François Mitterrand en 1981. Face à l’effacement du clivage droite/gauche où vous situez-vous désormais?
J’ai rompu avec la gauche depuis 1984 et la naissance de SOS racisme
qui avait justement marqué le début de la dérive sociétale des
socialistes. Je me reconnais depuis toujours dans le vieux courant
bonapartiste français à la fois national et social. Mais ce courant a
été détruit par l’Europe et la mondialisation et n’a plus vraiment de
leader depuis la défaite du non au traité de Maastricht en 1992.
Philippe Séguin et Jean-Pierre Chevènement qui étaient les principaux
représentant de ce mouvement à droite et à gauche ont échoué à lui
donner des débouchés électoraux, même s’il reste paradoxalement
majoritaire dans le pays réel.