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dimanche 3 juin 2018

BHL, Babtchenko et les fake news

Entendons-nous bien : il y a les good fake news et les bad fake news. En français, les bonnes fausses nouvelles (ou informations) et les mauvaises fausses nouvelles, qui ne sont pas forcément de bonnes nouvelles et de mauvaises nouvelles tout court. Ni, non plus, de fausses bonnes nouvelles et de fausses mauvaises nouvelles. Vous suivez ?

Les bonnes fausses nouvelles ? C’est une fausse nouvelle qui sert la « bonne cause ». La « bonne cause » ? Pour faire court, c’est celle, par exemple, des démocraties dites libérales, la « mauvaise cause » étant celle des « démocraties illibérales », pour reprendre le néologisme macronien – sous-entendu la Russie. Un exemple de bonne fausse nouvelle vient de nous être offert avec l’annonce, mardi soir, de la mort du journaliste dissident russe Arkadi Babtchenko (Аркадий Бабченко)…

Mardi soir, donc, on apprenait qu’il avait été assassiné en Ukraine, où il était réfugié. Information relayée immédiatement par tous les médias. Par exemple, Le Monde titrait, dans son édition Internet : « Le journaliste russe Arkadi Babtchenko, critique virulent de Poutine, assassiné en Ukraine. » Et de citer les propos récents de ce journaliste : « Cela fait dix ans que j’ai peur… Quand tu es dissident en Russie, on peut te tuer, on peut t’emprisonner… » Le Monde explique ensuite que « ces dernières années, les assassinats se sont multipliés en Ukraine, le plus souvent attribués par les autorités à la Russie ». Bref, à défaut d’œil, le bras de Moscou était derrière cette affaire.

Le lendemain, on apprenait qu’il s’agissait, en fait, d’une mise en scène organisée par le contre-espionnage ukrainien, soi-disant pour déjouer un assassinat par les services russes. Une machination. En clair, une fausse mauvaise nouvelle organisée. Bref, une fake news. Mais pour la « bonne cause ». Alors… Et, du reste, si Babtchenko n’a pas été assassiné par les Russes, l’information restait « vraisemblable » (on reviendra sur cet adjectif).

À l’annonce de la mort de Babtchenko, la brigade d’intervention philosophique dont la France est dotée, et qui fait notre fierté, était intervenue immédiatement sur le terrain médiatique. Plus rapidement que le GIGN ou le RAID sur les lieux d’un attentat islamiste. En première ligne, Bernard-Henri Lévy qui tweetait : « Arkady Bachenko (Babtchenko) était un courageux reporter de guerre. C’était aussi, surtout, un opposant à Poutine virulent. Assassiné, hier, dans la cage d’escalier de son immeuble (le tweet ne précisait cependant pas à quel étage !) à Kiev, de 3 balles dans le dos. Combien de journalistes depuis A. Politovskaia, de journalistes russes ainsi assassinés ? » Je ne sais pas. Mais BHL doit savoir. En appui de BHL, le philosophe Raphaël Glucksmann, fils d’André, dégaine aussi son arme : « Les ennemis de Poutine se font assassiner les uns après les autres, même hors des frontières russes. » Des tweets qui ont, depuis, disparu. Mais Internet, c’est comme le freinage : ça laisse des traces.

Pas de démenti. Pas d’excuses. Pas de ça chez nous. Un événement chasse l’autre, la philosophie de l’instantané dans un monde où la mémoire du poisson rouge est proportionnelle à la circonférence du bocal. Et puis, il ne s’agirait pas de passer pour un imbécile. Tiens, faudra seulement penser à changer l’eau du bocal…

Au fait, le projet de loi sur les fake news, voulu tout spécialement par Emmanuel Macron, est en discussion à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Après probablement des heures de remue-méninges byzantin, voici la définition d’une « fausse information » qui a été adoptée : « Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable. » Certes, cette loi ne devrait concerner que les périodes pré-électorales et électorales. Mais qu’est-ce qu’une « allégation vraisemblable » ? L’épisode Babtchenko devrait conduire nos députés à y réfléchir un peu. Avec l’aide d’un philosophe, peut-être ? S’il n’est pas trop occupé à tweeter des informations vraisemblables ou invraisemblables. Aux poissons rouges que nous sommes d’estimer leur « vraisemblabilité ». Pour peu de temps encore. Après, ce sera au juge.

Georges Michel

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