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jeudi 7 juin 2018

Concert Verdi à l’Opéra de Montpellier (Le Corum). Avec Sonya Yoncheva, soprano et Daniel Oren, chef d’orchestre

Hervé Casini ♦

La soirée promettait d’être particulièrement excitante pour ce concert Verdi à l’Opéra Berlioz de Montpellier. Non seulement parce que l’une des plus belles voix lyriques de la galaxie Opéra, la belle Sonya Yoncheva, revenait dans l’un de ses ports d’attache préférés (elle y incarnait, dans le cadre du festival de Radio France-Montpellier, Iris de Mascagni il y a deux ans, puis, l’été dernier, la Stephana de Siberia, une autre superbe rareté, signée Giordano) mais aussi parce qu’elle permettait à Daniel Oren de diriger pour la première fois la diva bulgare et… l’orchestre national de Montpellier !

Disons le d’emblée, si la rencontre valait le déplacement, c’est tout d’abord parce qu’avec ces deux artistes, l’expression « bête de scène » trouve toute sa dimension et qu’il fallait bien qu’un jour ou l’autre, ces deux « Tempéraments » finissent par se rencontrer !

© Sonya Yoncheva, soprano photo : D.R
Comme le savent fort bien les passionnés d’art lyrique, « la » Yoncheva fait partie aujourd’hui de ces interprètes, assez rares en réalité, qui ont la chance de parfaitement pouvoir mettre en cohérence moyens vocaux naturellement beaux et engagement dramatique impressionnant… presque trop d’ailleurs…au point où l’artiste fait depuis quelques temps l’objet de certaines critiques alarmistes sur sa « fringale » de rôles nouveaux et, plus encore depuis le début de la saison, sur son enchaînement effréné de représentations, de Paris à New York (de Don Carlos à Tosca, en passant par La Bohême et Luisa Miller) en attendant de chasser sur terres callassiennes, à Milan, en juillet, avec l’Imogène du Pirate puis à Berlin, cet automne, avec la Médée de Cherubini !
Sans vouloir entrer dans le pseudo-débat : « Pour durer, l’artiste lyrique doit-il limiter son nombre annuel de représentations scéniques ? », contentons-nous d’écrire qu’il serait regrettable (voire ridicule…) de faire la fine bouche devant une artiste si attachante qui, face à son public, paie toujours comptant et qui a besoin de la scène pour pleinement donner le maximum d’elle-même.
Il en résulte des soirées où, comme pour ce concert, le public, venu nombreux et conquis d’avance (on le verra d’ailleurs, à l’issue, courir l’autographe lors d’une séance dédicace…), chavire dès les premières notes et va réserver un triomphe à chacun des extraits d’ouvrages d’un programme particulièrement roboratif ! Evacuons très vite les parties chantées par le tout jeune Marin Yonchev (frère de Sonya), membre du chœur de l’Opéra de Lausanne depuis 2015 et qui, après s’être produit, sur cette même scène, dans des seconds rôles aux côtés de sa sœur, passe à la vitesse supérieure en se risquant tout d’abord à l’air de bravoure du ténor des Lombardi alla Prima Crociata, le brillant « La Mia Letizia Infondere », puis au duo « Parigi, O Cara » ainsi qu’à une partie de la scène finale de La Traviata. Si le timbre n’est pas désagréable et la musicalité bien présente, la voix manque encore de « punch » et l’émission est plus proche d’un ténor d’opéra baroque que d’un interprète d’opéra romantique.
© Daniel Oren, chef d’orchestre
De la Leonora du Trouvère, qui ouvre le concert, à la Violetta de Traviata qui le clôt, en passant par Luisa Miller, Leonora de La Force du Destin, Elisabeth de Valois de Don Carlos ou encore Odabella d’Attila, Sonya Yoncheva reprend ici quelques-uns des airs de son « Verdi album », paru cette année chez Sony Classical, et donne à entendre les « marques de reconnaissance » que l’on sait désormais être les siennes : Legato, timbre capiteux et velouté (dans les airs toujours, dans les cabalettes, moins…), capacité à varier la palette des couleurs (en particulier dans le « Tu puniscimi , O Signore.. » de Luisa Miller, peut-être le plus beau moment de la soirée…), poésie romantique et tragique des interprétations (« Toi, qui sus le néant des grandeurs de ce monde », version française claire-obscure de Don Carlos et, bien sûr, scène finale de Traviata !). Pour être totalement objectif, il faut cependant remarquer que, comme souvent dans ses interprétations verdiennes (et comme dans son dernier disque…), les aigus de Sonya Yoncheva dans les cabalettes du Trouvère ou de Luisa Miller sont prudemment abordés et que l’interprète ici, ayant conscience de ses « limites », ne traîne pas, n’évitant cependant pas, au passage, quelques stridences… pardonnables, tant la qualité d’ensemble force l’enthousiasme.
Disons aussi que le maestro Oren est aux petits soins pour la belle, qu’il n’a de cesse d’applaudir généreusement entre chacun de ses airs.
Galvanisant un orchestre chauffé à blanc sous sa battue si démonstrative (on se demande d’ailleurs s’il est déjà arrivé, un soir, à Daniel Oren de décoller vraiment de son pupitre, à force d’en bondir !?), connaissant, pour chacun des extraits instrumentaux et vocaux au programme, l’atmosphère exacte qui doit s’en dégager, Daniel Oren réussit, comme souvent, à donner des couleurs tour à tour brillantes et chambristes à une phalange avec laquelle, visiblement, le contact est particulièrement bien passé. On pourrait longuement parler des infinies nuances mais aussi des fulgurances distillées dans les ouvertures des Vêpres Siciliennes, de La Force ou de Luisa Miller (où la clarinette solo est à saluer avec enthousiasme !) mais c’est encore dans le prélude, pourtant archi-donné, du IIIème acte de Traviata que l’alchimie entre Oren et l’orchestre national de Montpellier (ses cordes ici bien sûr !) s’exprime le plus « amoureusement » et nous a fait décoller de notre fauteuil.

Présentations qui ne peuvent donc rester sans lendemain. Yoncheva-Oren et Oren-National de Montpellier : il est indispensable de faire se revoir ces deux si beaux couples !