Hervé Casini ♦
La
soirée promettait d’être particulièrement excitante pour ce concert
Verdi à l’Opéra Berlioz de Montpellier. Non seulement parce que l’une
des plus belles voix lyriques de la galaxie Opéra, la belle Sonya
Yoncheva, revenait dans l’un de ses ports d’attache préférés (elle y
incarnait, dans le cadre du festival de Radio France-Montpellier, Iris de Mascagni il y a deux ans, puis, l’été dernier, la Stephana de Siberia,
une autre superbe rareté, signée Giordano) mais aussi parce qu’elle
permettait à Daniel Oren de diriger pour la première fois la diva
bulgare et… l’orchestre national de Montpellier !
Disons
le d’emblée, si la rencontre valait le déplacement, c’est tout d’abord
parce qu’avec ces deux artistes, l’expression « bête de scène » trouve
toute sa dimension et qu’il fallait bien qu’un jour ou l’autre, ces deux
« Tempéraments » finissent par se rencontrer !
Comme
le savent fort bien les passionnés d’art lyrique, « la » Yoncheva fait
partie aujourd’hui de ces interprètes, assez rares en réalité, qui ont
la chance de parfaitement pouvoir mettre en cohérence moyens vocaux
naturellement beaux et engagement dramatique impressionnant… presque
trop d’ailleurs…au point où l’artiste fait depuis quelques temps l’objet
de certaines critiques alarmistes sur sa « fringale » de rôles nouveaux
et, plus encore depuis le début de la saison, sur son enchaînement
effréné de représentations, de Paris à New York (de Don Carlos à Tosca, en passant par La Bohême et Luisa Miller) en attendant de chasser sur terres callassiennes, à Milan, en juillet, avec l’Imogène du Pirate puis à Berlin, cet automne, avec la Médée de Cherubini !
Sans
vouloir entrer dans le pseudo-débat : « Pour durer, l’artiste lyrique
doit-il limiter son nombre annuel de représentations scéniques ? »,
contentons-nous d’écrire qu’il serait regrettable (voire ridicule…) de
faire la fine bouche devant une artiste si attachante qui, face à son
public, paie toujours comptant et qui a besoin de la scène pour
pleinement donner le maximum d’elle-même.
Il
en résulte des soirées où, comme pour ce concert, le public, venu
nombreux et conquis d’avance (on le verra d’ailleurs, à l’issue, courir
l’autographe lors d’une séance dédicace…), chavire dès les premières
notes et va réserver un triomphe à chacun des extraits d’ouvrages d’un
programme particulièrement roboratif ! Evacuons très vite les parties
chantées par le tout jeune Marin Yonchev (frère de Sonya), membre du
chœur de l’Opéra de Lausanne depuis 2015 et qui, après s’être produit,
sur cette même scène, dans des seconds rôles aux côtés de sa sœur, passe
à la vitesse supérieure en se risquant tout d’abord à l’air de bravoure
du ténor des Lombardi alla Prima Crociata, le brillant « La Mia Letizia Infondere », puis au duo « Parigi, O Cara » ainsi qu’à une partie de la scène finale de La Traviata.
Si le timbre n’est pas désagréable et la musicalité bien présente, la
voix manque encore de « punch » et l’émission est plus proche d’un ténor
d’opéra baroque que d’un interprète d’opéra romantique.
De la Leonora du Trouvère, qui ouvre le concert, à la Violetta de Traviata qui le clôt, en passant par Luisa Miller, Leonora de La Force du Destin, Elisabeth de Valois de Don Carlos ou encore Odabella d’Attila,
Sonya Yoncheva reprend ici quelques-uns des airs de son « Verdi
album », paru cette année chez Sony Classical, et donne à entendre les
« marques de reconnaissance » que l’on sait désormais être les siennes :
Legato, timbre capiteux et velouté (dans les airs toujours, dans les
cabalettes, moins…), capacité à varier la palette des couleurs (en
particulier dans le « Tu puniscimi , O Signore.. » de Luisa Miller,
peut-être le plus beau moment de la soirée…), poésie romantique et
tragique des interprétations (« Toi, qui sus le néant des grandeurs de
ce monde », version française claire-obscure de Don Carlos et, bien sûr, scène finale de Traviata !).
Pour être totalement objectif, il faut cependant remarquer que, comme
souvent dans ses interprétations verdiennes (et comme dans son dernier
disque…), les aigus de Sonya Yoncheva dans les cabalettes du Trouvère ou de Luisa Miller
sont prudemment abordés et que l’interprète ici, ayant conscience de
ses « limites », ne traîne pas, n’évitant cependant pas, au passage,
quelques stridences… pardonnables, tant la qualité d’ensemble force
l’enthousiasme.
Disons
aussi que le maestro Oren est aux petits soins pour la belle, qu’il n’a
de cesse d’applaudir généreusement entre chacun de ses airs.
Galvanisant
un orchestre chauffé à blanc sous sa battue si démonstrative (on se
demande d’ailleurs s’il est déjà arrivé, un soir, à Daniel Oren de
décoller vraiment de son pupitre, à force d’en bondir !?), connaissant,
pour chacun des extraits instrumentaux et vocaux au programme,
l’atmosphère exacte qui doit s’en dégager, Daniel Oren réussit, comme
souvent, à donner des couleurs tour à tour brillantes et chambristes à
une phalange avec laquelle, visiblement, le contact est particulièrement
bien passé. On pourrait longuement parler des infinies nuances mais
aussi des fulgurances distillées dans les ouvertures des Vêpres Siciliennes, de La Force ou de Luisa Miller
(où la clarinette solo est à saluer avec enthousiasme !) mais c’est
encore dans le prélude, pourtant archi-donné, du IIIème acte de Traviata
que l’alchimie entre Oren et l’orchestre national de Montpellier (ses
cordes ici bien sûr !) s’exprime le plus « amoureusement » et nous a
fait décoller de notre fauteuil.
Présentations
qui ne peuvent donc rester sans lendemain. Yoncheva-Oren et
Oren-National de Montpellier : il est indispensable de faire se revoir
ces deux si beaux couples !