
Conquête des droits : le droit de mémoire
A
l’évidence, la notion de « droit de mémoire » que nous évoquons est une
réplique au « devoir de mémoire » que l’on nous impose. Une réplique
mais pas seulement, car ce droit à une mémoire saine et non polluée par
des récits incapacitants est à la source de l’estime de soi, sans
laquelle ni les peuples ni les gens ne peuvent épanouir librement leur
facultés. « Qu’appelles-tu mauvais ? », demandait Nietzche dans le Gai Savoir.
Et il répondait : « celui qui veut toujours faire honte ». Le « devoir
de mémoire » est mauvais en soi, car il vise toujours à faire honte et à
rabaisser pour mieux dominer. Le droit de mémoire, au contraire,
réhabilite et libère par la fierté d’être ce que furent les aïeux.
Qu’est-ce que le « devoir de mémoire » ? Le devoir de mémoire serait « une
obligation morale de se souvenir d'un événement historique tragique et
de ses victimes afin de faire en sorte qu'un événement de ce type ne se
reproduise pas » (Wikipedia).
Le
« devoir de mémoire » est un concept apparu dans les années 1990.
Personne ne croit vraiment, sauf peut-être quelques naïfs, que la raison
profonde de ce « devoir » serait d’éviter la « reproduction
d’évènements historiques tragiques » : ceux qui le soutiennent ont
généralement une mémoire très sélective et s’abstiennent souvent de
condamner les tragédies actuelles, pour peu que la cause soit « juste »,
c’est-à-dire aille dans le sens de leurs intérêts ou de leurs
conceptions géostratégiques, politiques, économiques ou sociétales.
Madeleine Allbright, secrétaire d’Etat des Etats-Unis entre 1997 et
2001, soutient le devoir de mémoire. Mais quand une journaliste lui fait
observer que les sanctions américaines contre l’Irak (embargo sur les
produits alimentaires et pharmaceutiques notamment) avait tué plus de
500 000 enfants, sa réponse est : « le prix en valait la peine ».
Bernard Kouchner, lui aussi très engagé en faveur du devoir de mémoire
(mais aussi pousse en guerre contre la Serbie, la Lybie, la Syrie,
l’Iran…) part dans un grand éclat de rire (forcé) quand un journaliste serbe l’accuse d’avoir couvert les trafics d’organes
organisés par ses alliés de l’UCK au Kosovo (trafic avéré et documenté
que tout le monde connaissait et que seul Kouchner, pourtant
administrateur du Kosovo en tant que Haut représentant de l’ONU, semble
ignorer). Notons-le : les guerres et les massacres de l’Empire en Irak,
en Yougoslavie, en Afghanistan, en Serbie, en Libye, en Syrie… ont tous
été déclenchés et soutenus par des partisans du « devoir de mémoire ».
Cela donne la valeur du concept.
Pour
comprendre les objectifs de ce « devoir » mémoriel, il faut savoir qui
donne le « devoir » et qui est sensé le remplir. Dans tous les pays
occidentaux, le « devoir de mémoire » est une obligation fixée
par l’Etat en direction des peuples. Le point commun de ces Etats est
qu’ils sont, dans le sillage de la Révolution « française », des Etats
qui définissent le « peuple » comme un « corps d’associés » sans
distinction d’origine, de race ou de religion. Ce sont des Etats
apatrides et supranationaux, au sens où ils sont au-dessus du peuple
réel, hors du terreau national. Ils sont au service de la « société
ouverte » et de l’universel et appliquent consciencieusement les
directives oligarchiques qui, progressivement, déstructurent les nations
enracinées et atomisent les peuples historiques. Etat supranational et
corps national : même si le premier se dit au service du second, il ne
faut pas confondre le bourreau et sa victime. Le « devoir de mémoire »
n’est qu’une arme parmi d’autres de la panoplie qui sert au crime.
Ce
« devoir » a, en effet, pour seul objectif de provoquer le mépris du
peuple envers lui-même et de paralyser ainsi toute velléité de
résistance face aux politiques antinationales conduites par l’Etat
apatride. Ce « devoir » va donc mettre l’accent sur des épisodes
susceptibles d’engendrer un fort sentiment de culpabilité dans le peuple
souche qu’il s’agit ainsi de neutraliser :
- En France : Shoah, Traite négrière, esclavage, colonisation…
- En Allemagne : Shoah, génocide des Roms…
- En Autriche : Shoah…
- En Belgique : Collaboration, colonisation…
- Aux Etats-Unis : esclavage des Noirs, génocide amérindien, persécutions raciales…
- En Espagne : franquisme, expulsion des Morisques, expulsion des Juifs…
Le
« devoir de mémoire » a pour seul but de neutraliser les peuples par la
honte et de les ramener aux « pages sombres de leur histoire » sitôt
que renaît un sentiment identitaire. Le « devoir de mémoire » est donc
un outil de domestication des peuples au service d’Etats dominés par une
oligarchie apatride. Ces Etats-larbins n’ont donc aucune légitimité,
les lois mémorielles qu’ils imposent ou tentent d’imposer n’en n’ont pas
d’avantage. Les peuples n’ont aucun devoir autre que ceux qu’ils se
donnent en toute liberté.
Les
peuples ont par contre des droits. Parmi ceux-ci le droit de mémoire.
Tous les peuples ont le droit de se souvenir des pages glorieuses de
leur histoire. Ils ont le droit de mettre l’accent sur ce qui les honore
et d’oublier leurs défaillances.
Il
ne faut pas confondre histoire et mémoire. Aux historiens la recherche
historique et l’écriture brute des faits : encore faut-il qu’ils soient
libres de le faire et qu’ils ne soient pas entravés par le politiquement
correct ou les lois mémorielles. Aux peuples un enseignement qui
« reflètent fidèlement la dignité […] de leur histoire » (Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, art 15). Le droit de mémoire est un droit à une histoire digne, une histoire dont on peut être fier : « Le premier devoir d’un grand peuple, écrivait Fustel de Coulanges, est
de s’aimer et de s’honorer dans ses morts. Le véritable patriotisme
n’est pas l’amour du sol, c’est l’amour du passé, c’est le respect de
ceux qui nous ont précédés » (Questions historiques, 1893)
La
mémoire est certes une construction artificielle : on privilégie
certains épisodes, on en refoule certains autres. Les individus comme
les peuples ne se construisent pas autrement. Et alors ? Notre peuple
vit les années les plus dramatiques de son histoire. En pleine
régression démographique sur des terres ancestrales qu’on lui dispute,
il doute de lui, de son droit et même de sa légitimité à exister. Ceux
qui lui font devoir de ressasser à l’infini les « heures les plus
sombres de son histoire » veulent sa mort. Ils veulent accélérer une
disparition qui est sans doute trop lente à leurs yeux.
Seuls
des psychopathes pouvaient inventer le « devoir de mémoire ». Qui
d’autre pourrait vouloir imposer à un peuple cultivant déjà la haine de
soi le « devoir » de se souvenir constamment de ses moments les plus
« sombres » ? Ferait-on cela à un individu sans être un scélérat ? Le
« devoir de mémoire » est un crime contre l’humanité : il ne respecte
pas la dignité des peuples et contribue à leur effacement.
A
l’inverse le droit de mémoire ne se discute pas. Les peuples comme les
individus sont libres de se souvenir de ce qui les renforce et de ce qui
les aide dans l’existence. Personne ne doit interférer dans cette
démarche. La mémoire du peuple autochtone appartient au peuple
autochtone. Aucun historien républicain, aucun politicien républicain,
quelle que soit sa nationalité réelle, n’a le droit de manipuler cette
mémoire, de la salir, de la dévaloriser et de lui enlever sa dignité.
Le
peuple autochtone est en danger de mort. Son droit le plus strict est
de contrôler le récit qui est fait de lui. Son droit le plus strict,
conformément à ce qu’énonce la Déclaration des Nations unies citée plus
haut, est que l’enseignement reflète la dignité de son histoire.
Bientôt, le peuple autochtone va s’organiser. Cela est inéluctable. Un
Etat parallèle autochtone va apparaître. Cet Etat aura probablement une
sorte de « ministère de l’Enseignement » regroupant des historiens
autochtones. Il reviendra à ces historiens de fixer le contenu de
l’histoire autochtone enseignée à nos enfants. Il reviendra au mouvement
autochtone, par une multitude d’actions non violentes, d’imposer cette
histoire dans les écoles de la République. Le droit de mémoire est un
droit fondamental : en disposant de notre passé, la République dispose
de notre futur. Au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, cela
doit maintenant cesser.
Antonin Campana