.

.

lundi 4 juin 2018

En Hongrie, la dérive autoritaire du premier ministre Viktor Orban

Le gouvernement nationaliste et conservateur de Viktor Orban, réélu en avril dernier, est en position d'accroître sa mainmise sur l'État, les médias et la société civile. Il pourra ainsi continuer d'ériger une démocratie « illibérale » en Hongrie.
Un texte de Frank Desoer, à Désautels le dimanche 
En ce soir du 8 mai, exactement un mois après les élections, on assiste à une scène presque devenue familière à Budapest, la capitale hongroise.

Devant le parlement hongrois, des milliers de manifestants brandissent des drapeaux et scandent des slogans pour dénoncer la dictature imposée par le gouvernement de Viktor Orban : « Non à la fraude électorale », ou encore « Alerte! La démocratie hongroise en péril! »


Une foule avec des drapeaux et des affiches devant le parlement
La manifestation contre le gouvernement Orban du 8 mai 2018 à Budapest, en Hongrie Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
Parmi les citoyens en colère croisés à la manifestation, on trouve Lilla Uveges, militante de Dialogue, parti écologiste qui a mordu la poussière – comme l’ensemble de la gauche – aux élections nationales d’avril dernier.
Un scrutin où le parti Fidesz, du premier ministre Viktor Orban, a été réélu triomphalement pour un troisième mandat de suite, avec 49 % des voix et les deux tiers des sièges au Parlement hongrois.
Une jeune femme parmi la foule
Lilla Uveges, militante de Dialogue Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
Le régime Orban n’exerce pas une dictature au sens strict du terme. Il n’a pas recours à la violence physique, mais plutôt à la violence économique […] pour faire taire tous ceux qui contredisent le gouvernement.
Lilla Uveges, militante de Dialogue
Le reportage de Frank Desoer est diffusé le 3 juin à l'émission Désautels le dimanche sur ICI Première.
Des manifestants tiennent en l'air leurs téléphones en mode flashlight.
La manifestation contre le gouvernement Orban du 8 mai 2018 à Budapest, en Hongrie Photo : Radio-Canada/Frank Desoer

Entre Berlusconi et Poutine

Pour Josef Peter Martin, directeur de Transparency International à Budapest, le régime hongrois se situe à mi-chemin entre l’Italie de Berlusconi et la Russie de Poutine.
D’après le classement de cette organisation, la Hongrie est le pays le plus corrompu d’Europe, après la Bulgarie. C’est aussi un des pays qui bénéficient le plus des fonds de l’Union européenne. Au cours des sept dernières années, 25 milliards d’euros ont été versés à la Hongrie, soit de 4 % à 6 % de son PIB annuellement.

L’oligarchie formée d’entrepreneurs, d’amis du régime et de proches d’Orban empoche une bonne partie de ces fonds et parvient à arracher systématiquement les contrats pour les travaux publics locaux, grâce à un système d’appel d’offres truqué.

Un homme en chemise et cravate
Peter Marki-Zay, maire indépendant de Hodmezövàsàrhely Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
« Le gouvernement hongrois est un gouvernement de mafia. Ce n’est pas une organisation politique, mais plutôt une organisation criminelle », lance Peter Marki-Zay, maire indépendant de Hodmezövàsàrhely et figure montante de l’opposition hongroise.

Une nouvelle idéologie nationale

Outre le contrôle des marchés publics, le régime Orban s’appuie sur la transmission de valeurs dites patriotiques et chrétiennes. Au nombre de celles-ci se trouve une conception particulière du rôle de la femme hongroise « naturellement faite, à son sens, pour s’occuper de la maison et faire des enfants ».
Une femme devant un tableau, dans une classe
Katalyn Törley, professeure de français dans un lycée de Budapest Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
« Il y a une forte centralisation de tout le système scolaire, où on nous dicte les contenus, le programme, les manuels, etc. », explique Katalyn Törley, professeure de français dans un lycée de Budapest.
Certains enseignants tentent de résister, mais la tendance est de nous utiliser comme médiateurs de l’idéologie gouvernementale.
Katalyn Törley, professeure de français
Ces valeurs dites « traditionnelles » sont également transmises à travers les médias, surtout électroniques. La télévision, la radio et une partie de la presse écrite sont tombées progressivement aux mains de l’oligarchie dominante.

La propagande anti-migrants, qui s’abreuve volontiers de fausses nouvelles, a connu un paroxysme durant la dernière campagne électorale.

Le visage de Gabor Erros
Gabor Erros, sociologue et élu municipal de gauche à Budapest Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
On rapporte constamment à la télévision nationale des histoires de viols collectifs en Suède commis par des migrants. Des villageois qui n’ont que ça comme sources d’information finissent par y croire.
Gabor Erros, sociologue, et conseiller municipal de gauche à Budapest

Un climat d’hostilité envers les migrants

L’offensive anti-migrants s’est surtout développée à parti de la crise migratoire de 2015, où plus de 400 000 réfugiés ont franchi la frontière qui sépare la Hongrie de la Serbie.
Un homme devant une clôture surmontée de barbelés, qui s'étire à perte de vue
Le journaliste Corentin Léotard montre la clôture érigée à la frontière serbo-hongroise. Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
Le gouvernement Orban y a érigé une immense clôture électrifiée et instauré des zones de transit, où sont détenus systématiquement tous les demandeurs d’asile, parfois pour des périodes prolongées.

Aujourd’hui, très peu de migrants tentent de franchir la frontière hongroise. Malgré cela, le gouvernement continue d’entretenir une psychose anti-migrants en brandissant le spectre du terrorisme et de la dilution des valeurs chrétiennes que vivraient les « sociétés multiculturelles d’Europe de l’Ouest ».

Ce climat social et politique plutôt lourd ne risque pas de s’alléger de sitôt, puisqu’à l’heure actuelle l’opposition au Fidesz est très fragmentée. Le principal adversaire du régime, le Jobbik (près de 20 % des voix), un parti qui regroupe beaucoup de jeunes, tient un discours plus radical et plus à droite que celui du gouvernement, particulièrement sur la question de l’accueil des migrants.

Entre le Jobbik et les formations de gauche, aucune entente ni front commun ne semble possible.
Le visage souriant de cette jeune femme
Agnès Panczel, porte-parole du Jobbik Photo : Radio-Canada/Frank Desoer
L’idée générale chez les jeunes est que la gauche, c’est fini en Hongrie. Nous prônons davantage les valeurs chrétiennes et traditionnelles.
Agnès Panczel, porte-parole du Jobbik
Le régime a donc toute la latitude voulue pour imposer son modèle de démocratie « illibérale », lequel s’appuie sur le suffrage universel pour remettre en cause l’équilibre des pouvoirs et l’indépendance des institutions propres à la démocratie libérale.
Le visage de profil d'Akos Bence Gat
Akos Bence Gat, politologue, militant du Fidesz et conseiller au cabinet du ministre hongrois de la Justice  Photo : Ludovic Lepeltier-Kutasi 
 
Comme le déclare Akos Bence Gat, politologue, militant du Fidesz et conseiller auprès du ministre hongrois de la Justice, « la Hongrie est en quelque sorte un laboratoire, parce que le débat qui s’y déroule dépasse largement nos frontières et concerne l'avenir de notre civilisation européenne et occidentale transatlantique ».

Source