Rédigé par Pierre Durrande
L’Idiot de
Dostoïevski n’est pas une pièce, mais son adaptation au théâtre ne
choque en rien tant les personnages qu’il peint sont pris sur le vif
avec un pouvoir d’incarnation peu égalé dans l’écriture dramatique.
Plus que jamais, avec cet auteur, le théâtre offre un miroir
grossissant de notre humanité. Comment être bon dans un monde qui ne
l’est pas et qui se moque de la bonté. Le Prince Mychkine, dont les
commentateurs ont dit de nombreuses fois qu’il était une figure
christique, porte en lui cette Russie malade qui s’enfonce dans une
culture et des mœurs mortifères. Il voudrait contribuer au salut des
siens, mais comment semer du bon grain au milieu d’une ivraie qui en
étouffe les graines. Sa présence met en lumière des âmes mortes, mais
qui gardent au fond d’elles-mêmes quelque chose de cet « infiniment
grand » sans lequel toute vie humaine est vouée à sa perte. Regard
décapant, mais surtout regard qui vient chercher au fond des gouffres
infernaux d’une descente en enfer cette semence salvatrice de l’amour.
Peu importe l’échec apparent du Prince, comment pourrait-il en être
autrement ? Sa présence, au milieu des catastrophes qu’il déclenche, car
la vérité ne triche pas, est un germe de l’espérance que l’être humain
est plus grand que la médiocrité et même que la pourriture de ses actes.
Thomas le Douarec a rudement bien fait de choisir cet acteur si juste
dans ce rôle difficile du Prince en la personne d’Arnaud Denis. Il joue
Mychkine sans emphase avec élégance et tact au point qu’on finit à
plusieurs reprises par oublier que nous sommes dans un spectacle. Mais
autour d’Arnaud Denis, c’est toute une équipe de comédiens déjà présente
dans l’excellent spectacle de Dorian Gray qui relève avec brio le défi de cet Idiot.
Théâtre 14, 20 av. Marc Sangnier, Paris
XIVe, jusqu’au 30 juin. Représentations lundi à 19 h, mardi, mercredi,
jeudi et vendredi à 21 h, matinée samedi à 16 h. Représentation
supplémentaire : samedi 23 juin à 21 h. Réservations : 01 45 45 49 77.