Le
16 juin 2017 décédait Helmut Kohl, le chancelier allemand sous lequel
s’était opérée la réunification allemande. Un an plus tard, le Premier
ministre hongrois, qui appartient à la même famille politique, a tenu un
long discours à Budapest, afin d’honorer cette figure tutélaire de la
« démocratie chrétienne », dans un contexte européen plus troublé que
jamais. Résumé.
Hongrie – La Hongrie se
veut une force de proposition pour la démocratie chrétienne dont Helmut
Kohl est une figure tutélaire. Viktor Orbán considère que son pays peut
être de bon conseil dans le domaine économique, mais aussi pour aider à
la remigration des clandestins entrés ces dernières années en Europe et
pour rappeler ce que signifie la présence islamique en pays chrétien,
expérience hongroise à l’appui.
Faire prospérer l’héritage de Helmut Kohl :
« Helmut Kohl était l’exemple du
chrétien Européen » et symbolise « l’Europe chrétienne à laquelle nous
n’avons pas cesser d’appartenir », a estimé le Premier ministre
hongrois. Les liens historiques entre la Hongrie et l’Allemagne
découlant de la Respublica Christiana n’ont pas manqué non plus d’être évoqué. Viktor Orbán entend s’appuyer sur l’histoire, et la mettre de son côté.
Le chef-d’œuvre politique de Helmut Kohl
a été la réunification allemande, que le Fidesz avait appelé de ses
vœux dès 1989, alors que d’autres pays européens plaidaient pour
maintenir cette division héritée de 1945.
La Hongrie revendique son tropisme
occidental et son appartenance à l’OTAN et insiste sur l’urgence d’une
défense européenne, gage de ses libertés. Dans ce dispositif, la Hongrie
assume son rôle de vigie de l’Europe.
La relation gagnant-gagnant du groupe de Visegrád avec l’Allemagne a été rappelée, compte tenu de la position de 1er partenaire économique avec l’Allemagne qu’occupe le V4 devant la France, l’Italie et le Royaume-Uni.
Pour une politique d’Europe centrale :
La relation EU-Hongrie est évoquée sans
ambiguïté : la Hongrie n’a ni les moyens ni l’ambition d’une influence
européenne. Les récentes relations directes avec le Président américain
autorise peut-être l’« illusion tentante de l’influence hongroise »,
mais le Premier ministre est net : la Hongrie est un acteur centre
européen et particulièrement dans le cadre du groupe de Visegrád.
Dans l’UE, « nous sommes sur un pied
d’égalité mais pas d’égale influence », résume-t-il. L’extension de l’UE
aux Balkans occidentaux, et en premier chef à la Serbie est un souhait
constant de la Hongrie.
« La connaissance de soi et le
respect » encourage la Hongrie à développer une politique de coopération
et à reconnaître « le leadership de la Pologne dans la région centre
européenne »
Défense des frontières :
La défense des frontières extérieures
est une condition nécessaire de la liberté de circuler à l’intérieur.
C’est un « devoir maison obligatoire ». C’est surtout une responsabilité
nationale, même s’il peut y avoir une assistance communautaire. Par
ailleurs, il ne peut y avoir de compromis sur la question des migrants.
Il n’y pas de juste milieu possible, simplement un besoin de tolérance.
« Nous acceptons que des pays décident d’être des pays d’immigration,
ils doivent accepter que nous restons ce que nous sommes » a indiqué
Viktor Orbán.
Ce principe de responsabilité renvoie au dicton populaire : aide-toi le ciel t’aidera,
mais l’envers est un avertissement clair envers les pays de l’ouest et
particulièrement l’Allemagne. Leur choix aura des conséquences
européennes, et les pays d’Europe centrale devrons aussi y faire face.
Fédéralisme :
La tolérance des spécificités nationales
s’étend à d’autres domaines. « Le concept de la nation, les principes
élémentaires de la famille, le mariage, l’intégration sociale » : Viktor
Orbán plaide pour que cela regarde « nos spécificités culturelles et
nos racines historiques ».
On peut clairement y lire la critique du
jacobinisme qui règne à Bruxelles, surtout en perspective du sommet de
refondation post-Brexit qui se tiendra à Sibiu en 2019. Viktor Orbán
s’oppose à ce prochain coup de force de la Commission, elle-même
chancelante.
Viktor Orbán a tancé les graves erreurs
de la Commission Juncker ces cinq dernières années, d’après lui
responsable du Brexit, de la crise des migrants et de la fracture de
l’UE entre Est et Ouest. Viktor Orbán a dénoncé que Jean-Claude Juncker a
été « la dynamite qui devait faire sauter la relation entre le
Royaume-Uni et l’UE », et « la crise migratoire a allumé la mèche ».
Il reconnaît des réalisations à la
Commission Juncker, qui auraient pu être appréciées en temps de paix,
alors que « nous sommes en guerre ».
La fracture est / ouest :
Il existe dans le continent une rupture
sur le plan des idées : l’hommage à Fidel Castro et les considérations
élogieuses sur Marx sont passées pour une injure aux pays récemment
sortis du socialisme. Viktor Orbán décrit Karl Marx comme le père de
l’idéologie la plus pernicieuse, celle face à laquelle se dressait
l’imposante stature de Helmut Kohl et toute la tradition chrétienne.
Il existe aussi un lourd sentiment
d’injustice au préjudice de l’Est de l’UE en ce qui concerne la masse
monétaire et le capital qui favorisent l’hégémonie des économies de
l’Ouest sur celle de l’Est, alors que l’atout de l’Europe centrale quant
au coût des services et du travail est considéré comme pernicieux par
Bruxelles. La Commission serait l’avocat des grands États contre les
petits.
Le paysage politique européen :
Certains médias ont glosé sur la
probable exclusion du Fidesz de sa famille européenne, le PPE. Mais ici
c’est Viktor Orbán qui a toisé le PPE, et accepté d’y rester comme une
faveur. Il a même évoqué le succès certain d’un front anti-migration
pour les élections européennes de 2019, mais affirme résister à cette
tentation pour encourager la réforme du PPE de l’intérieur.
Le succès du PPE réside à ses yeux dans
son assise populaire et nulle par ailleurs. La dérive du PPE aurait
conduit à « un front contre les peuples », divine surprise pour une
gauche européenne en pleine déconfiture. Viktor Orban affirme qu’il est
indispensable de résister à la manipulation que la gauche exerce sur la
droite pour l’enfermer dans une cage intellectuelle, au point de
chapitrer le PPE sur qui doivent être ses alliés. Ce n’est pas sans
rappeler la tactique du salami des communistes de l’après-guerre en Europe centrale pour diviser les partis civiques et finalement s’en débarrasser.
Aux antipodes d’une capitulation
idéologique, Viktor Orban en appelle à une renaissance, celle de la
démocratie chrétienne telle que Helmut Kohl l’incarnait à ses yeux, la
seule à même de garantir une « European way of life ».
Avenir de l’UE
La pierre angulaire de l’UE sont « des
nations responsables » : la Hongrie s’est tirée elle-même d’affaire de
ses embarras financiers entre 2010 et 2013. Viktor Orbán semble accepter
l’austérité lorsqu’elle est synonyme de responsabilité.
La question migratoire demeure au cœur
de ses préoccupations « Nous ne voulons pas d’immigrés, et nous voulons
renvoyer chez eux ceux qui sont entrés. »
Par ailleurs, l’Europe a besoin de sa propre défense. « Nous avançons lentement, peut-être trop lentement. »
Le Premier ministre hongrois appelle de
ses vœux en 2019 « une Commission et un Parlement qui reflètent les
réalités européennes. » Il relève que « l’État de droit » est
aujourd’hui un levier d’immixtion de la Commission dans les affaires
internes des États. C’est un nom de code pour faire avancer l’agenda
fédéraliste de l’UE.
Enfin, il critique sévèrement le nouveau
budget de l’UE qui prévoit de verser l’argent du contribuable européen
dans la poche des ONG pro-migrants. Ces ONG, rappelle Orbán en citant
les responsables politiques italiens, « ne sont rien d’autres que des
trafiquants d’humains en col blanc. » L’argent du contribuable ne doit
pas financer les mafias.
Une faille spirituelle en Europe
« L’Europe est prisonnière d’une
camisole de force idéologique », et en conséquence « ce n’est pas la
possibilité de se défendre qui fait défaut, mais la volonté ». Une
attention particulière est accordée au concept de frontière : « Une
frontière est simplement nécessaire à la vie. Ce qui n’a pas de
frontière n’existe pas. » Face à de telles dérives, si la foi chrétienne
n’est pas requise, l’héritage chrétien demeure central.
« L’ordre libéral s’effondre parce qu’il
est devenu clair que ses idéaux ne sont pas basés sur la vie, la
réalité ou l’histoire, mais sur des constructions artificielles qui sont
simplement incapables d’adopter des concepts qu’ils voient comme des
images abstraites, mais qui ont construit et déterminé l’Europe ces deux
derniers millénaires : ces concepts tels que la foi, la nation, la
communauté, la famille. »