Plusieurs faits récents viennent de remettre aux devants de 
l’actualité, si tant est qu’elle les ait jamais quittés, la question 
cruciale de l’obéissance dans l’Église. Certains, à l’occasion de la 
sortie concomitante de la biographie de 
Dom Gérard par 
Yves Chiron et du cinquantenaire du décès du Padre Pio, ont opposé 
les désobéissances qui ont marqué la vie du fondateur de l’abbaye 
Sainte-Madeleine du Barroux depuis la quasi fondation de Bédoin, en
 1972, jusqu’à la reconnaissance canonique de 1988, à l’obéissance 
constante de Padre Pio soumis pourtant à des persécutions et des 
décisions injustes. De plus, à la publication du livre de Mgr de 
Sinety, 
Il faut que des voix s’élèvent prônant une 
immigration sans limites, et dont l’indigence intellectuelle n’est 
surpassée que par la suffisance cléricale, il est souvent 
répondu : « Mais c’est la volonté du pape ! » En 1977, un protestant
 converti disciple du cardinal Journet, Lucien Méroz publiait un 
ouvrage du plus haut intérêt, 
L’obéissance dans l’Église. Aveugle ou clairvoyante, qui peut nous aider à résoudre ce dilemme.
Les mérites de l’obéissance
Rappelons tout d’abord qu’aucun chrétien ne peut ignorer la 
grandeur de la vertu d’obéissance. Sur le plan de la foi, elle est 
l’imitation de la soumission de Jésus-Christ qui nous sauve par son 
obéissance à la volonté de son Père, rachetant ainsi la 
désobéissance d’Adam. C’est en raison de cette obéissance que le 
Christ est constitué prêtre de la Nouvelle alliance, tout lui étant 
soumis au ciel, sur terre et dans les enfers (Phil II, 8). Le grand 
sens de l’obéissance, c’est donc d’obéir au Christ comme le Christ a 
obéi à son Père céleste en faisant la volonté du Père et non la sienne
 jusqu’à accepter la mort et la mort de la Croix. « 
L’obéissance est la vertu suprême » résume Simone Weil dans 
L’Enracinement.
 L’obéissance chrétienne est ainsi une absolue soumission de 
l’intelligence et de la volonté à Dieu, révélé par Jésus-Christ et par
 son Église, qui est selon l’admirable expression de Bossuet « 
Jésus-Christ répandu et communiqué ».
 Elle est ainsi constituée dépositaire des pouvoirs d’enseignement 
et de sanctification que le Christ lui a confiés pour mener les 
hommes au Salut.
Distinguer parmi les actes du magistère
Or comme l’explique le cardinal Journet dans 
L’Église du Verbe incarné,
 le magistère doctrinal de l’Église se situe à deux niveaux. Il y a 
tout d’abord un niveau suprême, celui de la révélation divine, de la 
vérité surnaturelle que le Christ a confiée à son Église. Ce dépôt, 
confié aux Apôtres avec une sûreté infaillible, a été conservé et 
développé de manière homogène tout au long de l’histoire de l’Église.
 Sans altération ni erreur, grâce à l’assistance divine promise aux 
Apôtres : « 
Je serai avec vous jusqu’à la consommation des siècles »
 (Mat XXVIII, 20). Ce pouvoir magistériel déclaratif est complété
 par un pouvoir magistériel canonique dont la fonction est de 
protéger le dépôt de la Révélation divine, de préparer les fidèles
 à l’accueillir, d’organiser la vie chrétienne par des directives soit
 spéculatives soit déclaratives. Alors que le pouvoir 
magistériel déclaratif est assisté d’une manière absolue, 
irréformable et infaillible – c’est la voix de l’époux –, le pouvoir 
magistériel canonique est assisté d’une manière simplement 
relative, prudentielle – c’est la voix de l’épouse.
De mauvaises décisions
Les exemples abondent ainsi dans l’Histoire de l’Église de ces 
mesures législatives, verdicts judiciaires, sentences pénales, etc.
 qui, loin de protéger le dépôt de la foi, le mirent en péril de 
manière plus ou moins ouverte. Sur ordre de Clément VII, en 1535, le 
cardinal Quinonez réforma le bréviaire romain. 
A contrario
 en 1568, le pape Pie V fit formellement interdire ce bréviaire. En
 1633, Galilée fut condamné, non pas au bûcher mais plus simplement à
 l’assignation à résidence dans une villa de Sienne par le 
Saint-Office et le pape Urbain VIII en raison de ses théories 
héliocentristes. Le 31 octobre 1992, le pape Jean-Paul II, dans un 
discours devant l’Académie Pontificale des Sciences, réhabilita 
la mémoire de celui qui était devenu, à son corps défendant, le 
symbole de l’obscurantisme de l’Église face aux progrès de la science.
 Le 3 avril 1969, le pape Paul VI publiait la Constitution 
apostolique 
Missale Romanum promulguant le nouveau missel romain. L’article 7 énonçait « 
La
 Cène du Seigneur ou messe est la synaxe sacrée ou le rassemblement 
du peuple de dieu sous la présidence du prêtre pour célébrer la 
mémoire du Seigneur. C’est pourquoi, vaut éminemment pour 
l’assemblée locale de la sainte Église la promesse du Christ : “Là
 où deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux” ». 
Devant le tollé déclenché par cette définition protestante de la 
messe, n’évoquant en aucune manière son caractère sacrificiel, le 
Souverain pontife fit modifier cet article 7 pourtant 
régulièrement promulgué. Les faits sont là. Plus l’Église s’éloigne
 de l’enseignement direct de la foi, plus elle peut souffrir de 
défaillances humaines ! D’ailleurs, même dans le domaine de la foi, une 
défaillance quasi généralisée de l’épiscopat n’est pas impossible, 
ce dont témoigne la crise arienne – Arius niant la divinité du Christ –
 alors que quelques évêques seulement (Athanase d’Alexandrie, Hilaire 
de Poitiers, Basile de Césarée) maintenaient l’orthodoxie. Ce qui 
permit, à saint Jérôme, ce tragique constat : « 
Le monde entier, stupéfait, gémit d’être arien ».
De légitimes résistances à l’autorité défaillante
La résistance aux directives des autorités légitimes, qui ne 
servent pas la transmission ou la sauvegarde du dépôt de la foi, 
n’est jamais une révolte inspirée du libre examen protestant. Elle 
est une soumission réfléchie, intelligente et ferme au donné 
révélé dont l’autorité légitime est la gardienne et la servante, non
 la maîtresse. Le Christ lui-même le proclame : « 
La parole que vous entendez n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé » (Jn XIV, 24).
Dans les années 1970, c’est à une véritable révolution 
doctrinale, liturgique et disciplinaire qu’assistèrent, 
incrédules, les laïcs du bout du banc, avant de massivement le 
déserter. Par voie d’autorité, les catéchismes traditionnels furent
 interdits au profit de parcours catéchétiques souvent 
hétérodoxes, toujours indigents. En 1983, le cardinal Ratzinger,
 alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans 
deux conférences prononcées l’une à Lyon, l’autre à Paris, dénonça 
« 
la tendance actuelle de subordonner la vérité à la praxis » qui aboutit à « 
un anthropocentrisme radical ». Il rappela « 
les quatre composantes classiques » de tout catéchisme : « 
Ce
 que le chrétien doit croire (Symbole), espérer (Notre Père), faire 
(Décalogue) et dans quel espace vital il doit l’accomplir (Sacrements 
et Église) ». Cela, alors que se multipliaient les parcours 
catéchétiques niant la Résurrection du Christ, son Ascension 
corporelle dans les cieux, la virginité perpétuelle de Marie, la 
réalité sacrificielle de la messe, etc. Ainsi, pendant des années,
 il fut enseigné comme définition de la messe dans le 
Nouveau missel des dimanches (bénéficiant du 
Nihil obstat et de l’
Imprimatur épiscopal) : « 
Il s’agit simplement de faire mémoire de l’unique sacrifice déjà accompli ».
 Il ne s’agit plus là de la définition d’une messe catholique mais de
 celle d’une cène protestante. Il est un fait que la réforme 
liturgique a été imposée de manière particulièrement brutale. En
 quelques mois, l’usage du 
Nouvel Ordo devient obligatoire, 
prêtres et laïcs durent renoncer à ce qui était la trame de leur vie 
depuis des décennies. Des prêtres en moururent de chagrin, déchirés 
entre les exigences de la foi et celles de l’obéissance. Les plus 
chanceux obtinrent de leur curé ou de leur supérieur l’autorisation de
 célébrer la messe de leur ordination, 
sine populo, à 5 h 
du matin dans des cryptes glaciales. L’usage du latin fut supprimé, 
les autels retournés, la communion distribuée dans la main, la 
présence réelle reléguée, au mieux, dans une chapelle latérale, les 
absolutions collectives remplacèrent la confession auriculaire,
 etc. Les changements liturgiques apparurent à beaucoup comme la 
manifestation la plus visible d’un changement de religion. Les 
témoignages, sur ce sujet, des convertis du protestantisme sont 
implacables : « 
Je suis bien placé pour flairer la chose, le tour
 de passe-passe qui s’opère pour faire glisser la messe romaine sur le 
plan luthérien de manière que le fidèle peu éclairé et peu averti ne 
s’aperçoive pas de la subtilité. Mais vous savez que la caque sent 
toujours le hareng et, quand je vois à la télévision une église où se
 dit ce genre de messe, le hareng reconnaît la caque ». (Julien Green, 
Lettre au Père Dodin, 31 mars 1974).
Les résultats sont là, observables par tous après un demi siècle 
d’obéissance aux directives épiscopales : un effondrement brutal 
de la pratique religieuse, une ignorance abyssale générale des 
vérités de la foi, une banalisation des relations sexuelles hors 
mariage même parmi les élèves des « meilleurs » lycées dits 
catholiques. Là contre, quelques familles, quelques prêtres ont posé un
 acte héroïque de résistance apparente qui était en réalité un acte 
d’obéissance à l’enseignement de l’Église, à sa doctrine et à sa 
liturgie. Ils ont conservé l’usage du catéchisme traditionnel et 
de la messe codifiée par saint Pie V. Mgr Lefebvre a été le point de 
cristallisation de ce malaise. Qui niera cependant la fécondité 
de cette résistance auxquelles les communautés 
Ecclesia Dei
 doivent leur reconnaissance canonique, l’Église la libération de 
la célébration de la messe selon la forme extraordinaire du rite 
romain, sans oublier le labeur apostolique, mené depuis cinquante 
années, par les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, plus de 600 à 
ce jour. Notons enfin, que les réformes conciliaires se heurtèrent au 
« 
sensus fidei » du peuple chrétien dont un document de la 
Commission théologique internationale de juin 2014 vient de 
rappeler qu’il est l’instinct surnaturel que les fidèles ont pour 
la vérité de l’Évangile. Guillaume Cuchet, dans son ouvrage 
Comment notre monde a cessé d’être chrétien, observe que « 
les
 milieux progressistes au sein du catholicisme ont souvent eu des 
taux de transmission de la foi plus faibles que leurs homologues 
conservateurs ». Ces familles constituent le cœur de ce qu’un récent numéro de 
Famille Chrétienne appelait « 
la famille tridentine »,
 observant à la fois leur vitalité missionnaire, dont témoigne le 
pèlerinage de Pentecôte, et leur fécondité en terme de vocations 
sacerdotales et religieuses.
De troublantes ruptures
Qui niera que toute conscience catholique un peu éclairée ne soit 
troublée par les évolutions ou les ruptures, récentes, 
disciplinaires ou doctrinales, que chacun peut observer dans 
l’Église. Nous voici, en quarante années, à la troisième traduction
 de la demande du 
Notre Père (où « 
Ne nous laisse pas succomber à la tentation » est devenu « 
Ne nous soumets pas à la tentation » puis « 
Ne nous laisse pas entrer en tentation »). La traduction du Credo en français est pour le moins douteuse en un point : « 
consubstantiel » et « 
de même nature »
 n’ont pas la même signification. Comme le notèrent Étienne Gilson 
et le cardinal Journet, deux poireaux sont de même nature, ils ne 
sont pas de même substance. Le Catéchisme de saint Pie X prévoyait 
explicitement que « 
l’âge où il est bon de recevoir le sacrement de confirmation est celui de sept ans environ ».
 Malgré cela, les directives épiscopales demandent qu’en France ces 
confirmations n’aient pas lieu avant l’âge de 12/13 ans. Les exemples
 sont innombrables. On ne peut s’empêcher également de noter que les 
décisions multiples et parfois contradictoires nuisent à la 
crédibilité de l’Institution. Quelle est la valeur de décisions 
présentées comme devant être absolument suivies, remises en cause 
quelques années plus tard ? Comme le disait un prêtre, refusant la 
réforme liturgique : « Je n’ai pas été ordonné au cirque 
Amar pour changer de programme tous les six mois ! »
Conclusion
La question fondamentale est en fait celle du Salut. Il s’agit de
 savoir quel degré d’autorité est accordé à la parole du Christ : « 
Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé. Celui qui ne croira pas sera condamné » (Mc XVI, 16) ? Déclaration complétée par une autre affirmation : « 
Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi et les prophètes : je ne suis pas venu abroger mais parfaire » (Matt v, 17). Tout, dans l’Église, est au service de cette mission ultime : le Salut des âmes. « 
Suprema lex, salus animarun » affirme le Code de droit canon. Quand, par voie d’autorité « 
la liturgie et la catéchèse sont les deux mâchoires de la tenaille avec laquelle on arrache la foi »
 (cardinal Journet), résister aux autorités ecclésiastiques 
défaillantes n’est pas un droit mais le plus sacré des devoirs.
Au regard de ces considérations générales, qu’en est-il de notre problématique originelle : la « 
désobéissance » de Dom Gérard contre « 
l’obéissance » de Padre Pio ?
Les deux situations sont, en réalité, bien différentes. Le cas 
de Dom Gérard est celui d’une réponse pratique à une crise générale 
qui ne touchait pas sa seule personne et son rapport à l’autorité 
légitime mais le dépôt de la foi, la conservation de la liturgie et 
des observances traditionnelles, de la doctrine remise en cause par
 l’autorité. Ceci vaut également pour Mgr Lefebvre, sans que cette 
raison constitue d’ailleurs un blanc-seing accordé à toutes les 
décisions de l’un ou de l’autre. Ces questions ne furent jamais en 
cause dans le cas du Padre Pio. L’origine des sanctions prises contre 
lui reposait d’une part sur la mise en doute de la réalité de ses 
stigmates et d’autre part sur un conflit avec l’ordre capucin à 
propos de l’attribution des fonds destinés à la construction de la 
Maison du soulagement de la souffrance créée par le saint.
Saint Thomas traite de l’obéissance comme d’une vertu de bien 
commun, qui trouve son fondement dans l’autorité. Le Père 
Labourdette (o.p.) – 1935–1990 –, dans son commentaire sur 
l’obéissance, montre bien que le bien commun est déterminant dans la 
perception de ce qu’est vraiment l’obéissance, au risque de tomber 
sinon dans une conception volontariste de cette vertu. Il écrit 
ainsi : « 
Toute autorité vient de Dieu, est participée de 
l’autorité divine. Mais (…) toute autorité humaine porte directement
 sur un groupe, vise essentiellement un bien commun. C’est précisément ce bien commun qui en fixera naturellement l’extension et par le fait même les limites.
 L’autorité appellera dès lors toujours l’exercice, non de la seule 
volonté et du bon plaisir, mais d’une prudence, de ce que saint 
Thomas appelle, du nom d’une réalisation typique, la prudence 
royale, prudence de gouvernement d’un ensemble. » Pour saint 
Thomas, si l’obéissance a son fondement dans l’autorité (légitime), 
il ressort que le refus d’obéissance tient à l’abus de pouvoir de la 
part de l’autorité. Le Père Labourdette commente : « 
Devant un 
abus de pouvoir, il ne saurait évidemment y avoir aucun devoir 
d’obéissance. L’ordre reçu n’a que l’apparence du précepte. À 
considérer les choses en soi, il n’appelle pas la soumission, mais 
la résistance. Celle-ci ne sera cependant pas toujours vertueuse. 
Elle s’impose sans aucun doute, si l’acte commandé implique un péché 
ou doit léser gravement le bien commun. Elle ne s’impose nullement 
si l’acte commandé, sans être un péché, n’a d’inconvénients que pour 
moi-même. »
« 
Le concile qui vient de s’ouvrir est comme une aurore 
resplendissante qui se lève sur l’Église et, déjà, les premiers 
rayons du soleil levant emplissent nos cœurs de douceur » 
affirmait Jean XXIII, le 11 octobre 1962. Nous n’aurons pas la cruauté
 de commenter ! Le fait est que, les années qui ont suivi le Concile 
ont donné lieu à une succession d’ukases pontificaux et 
épiscopaux comme aucune période, dans l’Histoire de l’Église, n’en 
avait connue. Entraînant confusion et divisions. L’Église, qui était 
celle du Christ, est en fait, devenue sous certains aspects, ce que le
 cardinal Benelli a appelé « 
l’Église conciliaire », à qui une obéissance aveugle était due. « 
Il
 est inadmissible que chacun soit invité à subordonner à son 
propre jugement les directives venant du pape pour s’y soumettre ou 
s’y dérober » écrivait, en 1975, une commission de cardinaux 
(Wright, Garrone et Tabera) à Mgr Lefebvre. Là contre, l’obéissance 
dans l’Église n’est jamais aveugle ou inconditionnelle. Elle est au 
service de la foi transmise par l’Église, inaltérée depuis 2000 ans,
 conformément au 
commonitorium de Lérins en 428, qui enjoint de croire « 
ce qui toujours, partout et par tout le monde a été cru ». Ce n’est jamais le fidèle qui juge les Actes du magistère, c’est la Tradition de l’Église.
Jean-Pierre Maugendre