Rédigé par Mgr Dominique Lebrun, propos recueillis par Adélaïde Pouchol
Le 26 juillet 2016, le Père
Jacques Hamel était assassiné à l’autel dans son église de Saint-Étienne
du Rouvray, près de Rouen, par deux terroristes. Selon le souhait du
Pape François le procès en béatification a déjà été ouvert et le 20 mai a
eu lieu la première audience.
Nous remercions Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, de nous avoir accordé un entretien sur cette procédure et le témoignage offert par le Père Hamel.
Nous remercions Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, de nous avoir accordé un entretien sur cette procédure et le témoignage offert par le Père Hamel.
La première audience du procès en béatification du Père Jacques Hamel s’est tenue le 20 mai dernier. En quoi consistent ces audiences et quel rôle y tenez-vous comme évêque ?
Mgr Dominique Lebrun : Le procès en
béatification comporte deux phases : l’instruction qui a lieu dans le
diocèse et le procès lui-même qui aura lieu à Rome. L’évêque est
responsable de l’instruction. J’ai présidé la première audience au cours
de laquelle tous les acteurs ont prêté serment et je présiderai la
dernière pour clore l’instruction. Entre les deux, chacun accomplit sa
mission : les archivistes qui recueillent, classent et préparent les
documents ; les censeurs théologiens qui examinent les écrits, en
l’occurrence les homélies ; le juge instructeur qui recueille les
témoignages en présence d’un procureur ; les greffiers qui rédigent les
dépositions et les actes. Le Père Paul Vigouroux, postulateur, veille en
mon nom au bon déroulement. Évidemment, j’accompagne par la prière
l’instruction. C’est très émouvant – et plus que cela – de penser que
nous accueillons, examinons et soupesons la vie d’une personne qui est
peut-être un martyr, et que nous avons bien connue sans jamais
l’imaginer.
Pourquoi avoir accordé une dispense pour le délai de cinq ans traditionnellement requis avant d’ouvrir un procès en béatification ? Pourquoi hâter la procédure ?
C’est le Pape qui accorde, ou non, la
dispense. Il a donné lui-même quelques indications. L’assassinat du Père
Jacques Hamel s’est déroulé devant des personnes âgées. Il est
important de recueillir leurs témoignages sans tarder. Il me semble que
le Pape François est aussi très sensible à ce que nous appelons le
combat contre le Mal. Il est très touché à chaque fois que des personnes
consacrées ou des communautés sont blessées, meurtries. J’ajouterais
volontiers que je me hâte lentement afin que tout se passe dans la
sérénité la plus grande possible.
Le Père Hamel est mort alors qu’il célébrait la messe et très vite après son assassinat, son martyre a semblé une évidence pour la plupart des catholiques. Pourtant, le procès en béatification doit examiner s’il a vraiment été tué en haine de la foi. Y aurait-il un doute à ce sujet ?
Le procès n’est pas une réponse à un
doute. L’Église, comme toute société, est équipée d’un droit qui régit
ses manières de faire et ses relations internes. Le procès en
béatification doit simplement documenter la réalité du martyre. Le
procès en béatification est une procédure écrite. Il est nécessaire de
mettre par écrit ce que nous avons vu et entendu, comme disent les
Apôtres (cf. 1 Jn 1, 1-3). Si le procès n’arrivait pas à son terme, cela
ne voudrait pas dire que le Père Jacques Hamel n’est pas martyr. Par
ailleurs, il paraît intéressant de mieux connaître celui qui a subi le
martyre, ce que le procès doit permettre. À Rouen, nous savons bien que
sainte Jeanne d’Arc est surtout connue grâce à son procès de
réhabilitation qui a permis sa béatification et canonisation, cinq
siècles plus tard.
Vous avez demandé, au nom du diocèse, à vous constituer partie civile pour le procès des complices présumés des assaillants. Pourquoi ?
Au bout d’un an, je me suis rendu compte à
quel point l’assassinat du Père Jacques Hamel continuait à me toucher
et à toucher la communauté catholique. Je ne peux pas me désintéresser
des suites judiciaires qui lui sont données à cause de la présence de
complices. Il me semble juste de tenir la place de victime qu’est
l’Église catholique à travers l’assassinat du Père Jacques Hamel.
D’ailleurs l’un des chefs d’accusation retenu pour l’instruction pénale
est celui d’un « assassinat commis en raison de l’appartenance de la victime à une religion ».
Mon désir de pardon – qui est celui de l’Évangile plus que le mien –
doit s’enraciner dans la vérité. Comment dire que notre chemin est celui
de l’amour et non celui de la vengeance si je détourne mes yeux du mal ?
Comment soigner les blessures qui demeurent sans aller à la racine du
mal ? Je demande à l’Esprit Saint de nous accompagner dans le chemin que
je n’aurais jamais imaginé devoir parcourir.
Par ailleurs, être partie civile permet
d’avoir accès à des éléments du dossier qui peuvent être utiles pour le
procès en béatification. La presse a publié récemment quelques phrases
d’échanges entre les assassins et d’autres personnes qui confirment
leurs intentions. Ne serait-il pas logique d’en prendre connaissance
plus directement et plus complètement que par voie de presse ?
La justice vous a-t-elle accordé cette demande ?
Je n’ai pas encore eu de réponse mais j’ai
bon espoir. Je crois que le bon sens serait heurté que l’Église
catholique ne puisse être représentée au procès, et la jurisprudence
sait rejoindre le bon sens en général tout en respectant le droit.
Le Père Jacques Hamel est mort dans des circonstances que l’on ne souhaite évidemment à personne mais en quoi peut-il être un modèle pour les prêtres ?
Vous avez raison de souligner le tragique
des circonstances. Celles-ci continuent leur œuvre de souffrance auprès
des proches et il ne faut pas l’oublier. Les autres victimes, la
famille, la paroisse, le diocèse, des frères prêtres vivent des choses
très difficiles. Je souhaite que la communauté catholique continue de
prier pour eux comme pour les victimes des autres attentats. En même
temps, tout le monde souligne la personnalité ordinaire du Père Jacques
Hamel. Cela rejoint l’exhortation du Pape François à reconnaître la
sainteté comme un chemin ordinaire pour la vie chrétienne.
Personnellement, j’aime sa fidélité, fidélité à sa vocation, à son
bréviaire comme à la messe quotidienne, à sa famille, à ses amis, à ses
paroissiens. Cela dit, je compte bien sur l’enquête diocésaine actuelle
pour que nous connaissions mieux le Père Jacques Hamel. Toute personne
est un mystère vivant !