Wolfgang CASPART
Les
“chrétiens sionistes” aux Etats-Unis sont notamment ces évangélistes
qui prêchent un lien indéfectible entre Washington et Tel Aviv
Les
calvinistes puritains partagent avec les juifs le culte de l’Ancien
Testament. Ce n’est pas simplement une option religieuse, donc gentiment
confinée à la sphère religieuse, mais une option bel et bien
sécularisée qui a des retombées immédiates dans le domaine du politique.
La plupart des calvinistes, tout comme une majorité de juifs, vivent
aujourd’hui aux Etats-Unis, ce qui fait que les intérêts calvinistes et
juifs ont de plus en plus tendance à fusionner Outre-Atlantique. Ceux
qui ne veulent pas comprendre cette collusion d’intérêts se condamnent à
ne pas comprendre les orientations spirituelles et politiques de
l’hegemon mondial.
Certes,
le christianisme ne saurait être perçu comme un bloc homogène et
unitaire; cette remarque vaut également pour le calvinisme qui se
subdivise en de nombreuses églises libres. Le judaïsme n’est pas
davantage homogène. A l’intérieur du calvinisme, toutes tendances
confondues, ce sont toutefois les évangélistes fondamentalistes qui
donnent le ton, tout comme le font les sionistes au sein du judaïsme.
Pour de nombreux observateurs des faits religieux et politiques,
l’Amérique, et non pas l’Etat d’Israël, est le véritable siège du
sionisme dans le monde (cf. Michael Collins Piper, “The New Jerusalem.
Zionist Power in America”, Sisyphus Press, 2005).
Les
“Evangelicals” sont des calvinistes qui, sur la base de leur doctrine,
se sentent proches des juifs en général et des sionistes en particulier.
Pour les juifs sionistes, Israël est la patrie de tous les juifs; les
“Evangelicals”, eux, voient les juifs et Israël sous un angle très
spécial, celui du “pré-millénarisme”. Celui-ci s’explique suit à une
lecture fondamentaliste de l’Apocalypse de Saint Jean dans le Nouveau
Testament. La philosophie chrétienne de l’histoire —qui s’en déduit—
voit le monde actuel plongé dans le péché comme un monde soumis au
Diable, au Semeur de confusion, au Séducteur, à Satan, Lucifer,
l’Antéchrist, etc. A son tour, cette vision d’un monde soumis au Diable
implique que ce monde doit passer par un temps de troubles et de
désordres graves avant qu’une catastrophe apocalyptique le détruise et
amène le retour triomphal du Christ. Après le retour du Christ, la
première parousie, le Diable sera pris prisonnier et le Règne de Mille
Ans, le “Millenium” des justes et des saints, adviendra. Mais le Diable
va brièvement échapper à sa captivité puis sera vaincu et définitivement
exilé dans les enfers. Le Christ reviendra alors une seconde fois
(deuxième parousie) et prononcera le Jugement Dernier.
Les
pré-millénaristes parmi les “Evangelicals” voient dès lors le retour
des juifs en Palestine comme le préliminaire nécessaire à l’imminent
premier retour du Christ. C’est pour cette raison qu’ils favorisent le
retour des juifs en Palestine: ce retour précipitera le retour du
Christ. Selon Ezéchiel 37:12, l’alliance vétéro-testamentaire repose sur
la promesse suivante: “Ainsi parle le Seigneur votre Dieu: voyez, je
veux ouvrir vos tombeaux et vous en sortir, ô mon peuple, et sortis de
vos tombeaux, je vous mènerai au pays d’Israël”.
Le site visé par la promesse dans
Ezéchiel est donc Jérusalem ou Israël: les pré-millénaristes
fondamentalistes chrétiens, de manière bien étonnante, ne prennent pas
pour argent comptant les paroles du Christ dans l’Evangile de Saint Jean
18:36, qui disent: “Mon royaume n’est pas de ce monde”. Ils ignorent
tout autant le verset de l’Apocalypse (21:2), où l’on peut lire: “Et
moi, Jean, je vis aussi la ville sainte, Jérusalem nouvelle, descendre
du ciel d’auprès de Dieu”. Dans l’“Epitre aux Hébreux” (12:22): “Vous
vous êtes approchés, vous, de la Montagne de Sion avec la cité du Dieu
vivant, la Jérusalem céleste”. Propos similaires dans l’”Epitre aux
Galates” (4:26): “Mais la Jérusalem d’en haut est libre, et c’est elle
notre mère”. On peut déduire de ces textes que la Jérusalem et l’Israël
du futur, d’un point de vue chrétien, ne sont pas des lieux
géographiques, comme le veut le sionisme des “Evangelicals”, mais des
lieux métaphysiques. Les prises de positions des “Evangelicals” pour
l’occupation factuelle du territoire palestinien par les sionistes ne
correspondent donc pas aux paroles du Nouveau Testament.
Il
faut rappeler ici la parole de Jésus, rapportée par l’Evangile selon
Saint Matthieu (5:17): “Ne croyez pas que je sois venu abolir la loi ou
les prophètes, mais pour les accomplir”. Cette parole doit se définir
dans une perspective chrétienne selon l’Evangile de Saint Jean (14:6):
“Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par
moi”. A quoi s’joute les mots de l’”Epitre aux Romains” (13:10): “La
charité est donc l’accomplissement plenier de la Loi”. Les calvinistes
étant théoriquement chrétiens, donc lecteurs du Nouveau Testament, on ne
voit donc pas comment ils peuvent en arriver à penser “que chaque grain
de sable entre, d’une part, le Jourdain et la Mer Morte, et, d’autre
part, la Méditerranée appartient aux juifs et que, donc, leur
appartiennent aussi la Cisjordanie et Gaza”. Et qu’ils puissent faire
leur ce slogan: “Nous nous battons pour le droit à posséder tous les
pays que Dieu a donné à Abraham au moment de l’Alliance il y a 4000 ans,
pays qui appartiennent dès lors à Israël... Il n’y a pas de
Palestiniens” (cf.: Jane Lampman, “Mixing Prophecy and Politics”, in:
“Christian Science Monitor”, 7 juillet 2004). L’interprétation des
calvinistes est donc contraire aux principes du Nouveau Testament.
En
constatant cette interprétation sioniste et non néo-testamentaire des
écritures, on ne s’étonnera pas que “les chrétiens sionistes américains,
avec les forces armées israéliennes, sont les derniers bastions actifs
de l’Etat hébreu” (cf.: Daniel Pipes, “[Christian Zionism]: Israel’s
Best Weapon”, in: New York Post (on line)”, 15 juillet 2003). Le chef
des services de communication de Benjamin Netanyahou écrivait un jour:
“Remercions Dieu de l’existence des chrétiens sionistes” (cf. Michael
Freund, “Christian Zionists Key to Continued U.S. Support for Israel”,
in: “Jewish Press (on line)”, 27 décembre 2006).
Que
cela nous plaise ou non, l’avenir des relations entre Israël et les
Etats-Unis dépend finalement moins des juifs américains que des
chrétiens américains”. Le représentant de la majorité républicaine,
Richard Armey, déclarait naguère être satifsfait “du fait qu’Israël
s’empare de toute la Cisjordanie” et ne s’est distancé que bien plus
tard des paroles qu’il avait ajoutées à ses propos pro-israéliens,
paroles selon lesquelles “les Palestiniens devaient partir” (cf. Matthew
Engel, “Senior Republican Calls on Israel to Expel West Bank Arabs”,
in: “The Guardian”, 4 mai 2002).
Certes,
il faut bien admettre aussi que “la plupart des juifs américains ne
veulent rien avoir à faire avec la nouvelle droite chrétienne” (cf.
Naomi M. Cohen, “Dual Loyalties: Zionism and Liberalism” in Allon Gal,
“Envisionning Israel. The Changing Ideals and Images of American Jews”,
Magnes Press & Wayne State University Press, Jerusalem/Detroit,
1996, p. 326). Ces juifs, qui ne supportent pas les discours enflammés
de la nouvelle droite chrétienne des “Evangelicals”, estiment que
coopérer avec ceux-ci équivaut à forger une “alliance malsaine” (cf.
Jo-Ann Mort, “An Unholy Alliance in Support of Israel”, Los Angeles
Times, 19 mai 2002). Par ailleurs, les sionistes eux-mêmes craignent les
intentions missionnaires qui se profilent derrière les déclarations
d’amour des “Evangelicals” (cf. Gershom Gorenberg, “The End of Days:
Fundamentalism and the Struggle for the Temple Mount”, Free Press, New
York, 2000).
Finalement,
malgré ces réticences perceptibles dans la communauté juive, David
Harris, directeur de l’American Jewish Committee, voit les choses sous
un angle pragmatique: “La fin des temps peut advenir demain mais ce qui
importe aujourd’hui, c’est Israël” (cité par Bill Broadway, “The
Evangelical-Israeli Connection: Scripture Inspires Many Christian to
Support Zionism Politically, Financially”, in “Washington Post”, 27 mars
2004).
40
millions de personnes se déclarent “Evangelical Christians” dans le
camp de la droite américaine et des Républicains (cf. John J.
Mearsheimer et Stepehn M. Walt, “Die Israel-Lobby. Wie die amerikanische
Aussenpolitik beeinflusst wird”, Campus verlag, Frankfurt am Main,
2007). Ces quarante millions d’“Evangelicals” travaillent au projet du
“siècle juif” (cf. Yuri Slezkine, “Das jüdische Jahrhundert”,
Vandenhoeck und Rupprecht, Göttingen, 2006). Selon d’autres sources, il y
aurait 70 millions d’“Evangelicals” aux Etats-Unis et même 600 millions
dans le monde entier (cf. Craig Nelson, “Christian Zionists:
Evangelicals a New Lifeline for Israelis”, in “Atlanta
Journal-Constitution”, 25 décembre 2003). A ce poids considérable, il
faut ajouter les tendances généralement philo-sémitiques des églises
évangéliques plus conventionnelles ou d’autres confessions chrétiennes
après 1945.
Concluson:
les “Evangelicals” qui s’engagent politiquement aux Etats-Unis, hegemon
dans le monde, prennent parti pour l’un des deux grands partis, en
l’occurrence les Républicains, tandis que la majorité des juifs opte
pour les Démocrates (cf. Jeffrey Helmreich, “Amerikas Juden sind
mehrheitlich für Obama”, in “Mittelbayerische Zeitung”, 28 juin 2012).
Donc en Amérique, croit-on, dur comme fer, que le Millenium ou
l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament sont sur le point
de devenir très bientôt réalité?
Wolfgang CASPART.
(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, http://www.zurzeit.at , n°6/2013).