Cette note a
été modifiée à la demande des Conseils scientifiques d’Hypothèses et
d’OpenEdition. Je ne veux pas leur causer de problèmes, réels ou
imaginaires. Je laisse le lecteur seul juge.
Les temps sont malsains. À force de prétendre que nous sommes dans
une situation comparable aux funestes « années 1930 », certains
journalistes et hommes politiques sont en train de créer une atmosphère
particulièrement délétère. Les insinuations, les amalgames et les
mensonges tiennent lieu aujourd’hui d’arguments. On a franchi un nouveau
cap avec l’article du sieur Colombani dans Direct Matin et avec
les accusations proférées à mon endroit par Pierre Moscovici, Ministre
de l’économie et des finances. Les deux m’apparaissent liés. On en voit
l’origine : la volonté d’un pouvoir aux abois et d’une élite discréditée
de sauver l’Euro à tout prix en qualifiant les adversaires de la
monnaie unique d’extrémistes. C’est en soi un acte de déni de la
démocratie. Mais on pourrait aussi les comparer à ce que Jean-Paul
Sartre appelait des “saloperies”[5]. Rassurons
les; l’histoire ne repasse pas les plats. Ce n’est pas les “années
trente” qui nous attendent, mais quelque chose de nouveau. Le
raisonnement dans des cadres conceptuels dépassés ne sert qu’à masquer
des problèmes d’aujourd’hui, qui eux sont bien réels. L’histoire s’écrit
la première fois en drame et la seconde en farce. Reste que cette farce
à sa raison d’être. Au mieux le refus d’admettre ses erreurs. Au pire,
des intérêts particuliers qui aujourd’hui s’opposent à celui du plus
grand nombre.
Une “saloperie” écrite.
Commençons par le sieur Colombani, ci-devant ancien directeur du Monde, directeur de Slate.fr, et qui devrait savoir, pourtant, que les mots ont un sens. Il écrit donc, dans le journal gratuit Direct Matin du lundi 3 février [1]:
« Une France du rejet de l’autre – aussi bien l’immigré que
l’Européen, l’Arabe ou le Juif – est en train de s’affirmer. C’est la
France du repli identitaire et du refus de l’euro. »
Venant après les diverses manifestations de ces dernières semaines,
ces phrases procèdent à 2 amalgames. Le premier, assez ignoble, entre
des expressions de l’antisémitisme (car Juifs ET Arabes sont des
sémites…) et un sentiment anti-européen. Que des personnes aient
manifestées leur haine des Juifs et des Arabes est une chose. C’est
stupide, c’est immonde, mais c’est. Et nous savons que ces gens ne sont
qu’une petite minorité. Mais, associer dans la même phrase un mouvement
anti-Union Européenne et ces illuminés est un amalgame qui non seulement
est ignoble, on l’a dit, mais de plus parfaitement irresponsable. Le
sieur Colombani sait parfaitement, on n’occupe pas les responsabilités
qui furent les siennes sans y acquérir quelques rudiments de sociologie,
que cet amalgame entre deux mouvements parfaitement différents dont le
but est de discréditer le mouvement anti-UE, va aboutir à légitimer la
folie des antisémites de tout poil. Notons, d’ailleurs, qu’il y a un
amalgame au sein de l’amalgame : c’est de traiter d’anti-Européens des
gens qui contestent l’Union Européenne. Et je signale au sieur Colombani
qu’un récent sondage réalisé aux Pays-Bas montre que 55% des personnes
interrogées sont partisans d’un retrait de l’UE[2].
Or, l’Union Européenne n’est pas l’Europe. Une partie des pays
européens ne sont pas dans l’UE, et l’on ne confond pas une réalité
géographique avec une institution.
Le second amalgame est clairement insultant et encore plus ignoble
que le premier. C’est l’assimilation du rejet de l’Euro (qui progresse à
l’évidence dans notre pays et chez nos voisins[3]) aux groupuscules identitaires. Je signale au sieur Colombani que certains groupuscules de cette mouvance sont de plus favorables
à l’Euro. Mais, ici encore, c’est bien la volonté de diffamer, de
nuire, qui se manifeste. Il faut à tout prix montrer que seuls les
« extrêmes » s’opposent à l’Euro. Alors, nous avons plus d’un tiers des
Français qui sont extrémistes. Est-ce à cela que vous voulez aboutir
sieur Colombani ? Non seulement vos propos sont ignobles et insultants,
mais ils sont surtout parfaitement et profondément irresponsables. En
fait, les positions anti-Euro rassemblent largement, à droite comme à
gauche. L’appel du European Solidarity Manifesto prouve, s’il en
était besoin, que cette opposition vient de tous les milieux, et que des
économistes parfaitement connus et ayant exercé des responsabilités
importantes les soutiennent[4].
Mais, l’ignoble est un registre qui n’est hélas pas étranger au sieur
Colombani. Il avait tenu des propos similaires lors du référendum de
2005 sur le projet de traité constitutionnel. Quelle que soit la manière
dont on les entend, ils peuvent constituer une “saloperie” au sens où
l’entendait Jean-Paul Sartre.
Ce genre de propos n’est d’ailleurs pas nouveau. Fin novembre 2013 on
y avait été déjà confronté avec le dossier du Point, reprenant des
affirmations fausses et diffamatoires, et dont il fut rendu compte dans
la note « La Littérature à l’estomac »[6].
Les dits de Pierre Moscovici.
Il se fait, par le plus grand des hasards, qu’il y eût ce même lundi 3
février débat sur France 2 entre Pierre Moscovici et Marine le Pen. Or,
à cette occasion, Pierre Moscovici a dit que j’étais un économiste
d’extrême droite. Notons, tout d’abord, que la formule n’a pas de sens.
Un économiste peut être classé parmi les différentes écoles de la pensée
économique. On peut dire qu’il est « néo-classique », « hayekien »,
« keynésien », « néo-keynésien », « post-keynésien », « monétariste »,
« marxiste » ou, en France en particulier, « régulationniste », et j’en
oublie certainement. Il s’agit de qualifier l’origine de sa pensée, en
se référant aux textes qu’il utilise et qu’il produit. Mais, parler d’un
économiste d’extrême droite ou d’extrême gauche n’a tout simplement pas
de sens. C’est confondre la position du citoyen avec celle de
l’économiste. On ne peut qualifier quelqu’un qu’en référence à ses
propos, à l’oral ou à l’écrit. Or, je mets au défi Moscovici et consorts
de trouver dans mes écrits et mes paroles quoi que ce soit qui fasse
l’apologie d’idées d’extrême droite. Quand on se permet d’accuser, on
prouve, ou on se tait! Et, de plus, je le renvoie à la brève note qu
j’ai publiée sur ce sujet[7].
Mais, Pierre Moscovici ne se contente pas d’être, au regard des
résultats qu’il obtient, ce que certains pourraient considérer comme un
déplorable Ministre des Finances[8], Il me connaît personnellement. Il a donc menti en pleine connaissance de cause. Il faut alors se demander pourquoi.
La réponse pour moi est claire : ce sont mes positions sur l’Euro,
positions que je tiens publiquement depuis 2006, qui sont la cause de ce
gros mensonge. Comme les positions anti-Euro sont en train de
progresser dans la société française, à l’instar du sieur Colombani, on
sort la grosse artillerie. C’est donc l’air de la calomnie qui nous est
chanté sur tous les tons.
Joseph Goebbels, de sinistre mémoire, disait déjà qu’il voulait jouer
sur l’émotion et non la raison. Peu importe donc les arguments que j’ai
pu avancer, arguments qui peuvent être considérés comme juste ou faux
suivant les opinions, mais qui n’en restent pas moins des arguments. Il
s’agit de me déconsidérer et, à travers moi, tous ceux qui pensent que
l’Euro est une mauvaise chose, et ils sont de plus en plus nombreux que
ce soit parmi les économistes[9]
ou dans la population. Il s’agit de les associer, dans les
représentations collectives, avec ce monstre à cent têtes qu’est
« l’extrême droite ».
La ficelle est donc un peu grosse. Surtout, venant d’un Ministre qui
fait son possible pour accroître la désespérance de la population, qui
courbe l’échine devant les banques et les banquiers. On attendait autre
chose d’un Ministre de la République. Je le dis publiquement: c’est
indigne et c’est scandaleux. Qu’il soit partisan de l’Euro est son
affaire. Cela ne prouve qu’une chose, que ses connaissances en économie
sont limitées, à l’évidence. Mais, son savoir faire dans la
communication est quant à lui expéditif, à l’image de son ambition.
Pierre Moscovici, Ministre des Finances de la République, a donc
commis, un acte bien détestable. Que cela ait été fait dans le cadre
d’un débat public et télévisé ne change rien à l’affaire. Je constate
d’ailleurs que le meneur de jeu de l’émission, Monsieur Yves Calvi,
s’est aussitôt démarqué de ces propos, sachant fort bien qu’ils
pourraient, si j’en exprimais l’envie et le désir, donner lieu à une
action en justice.
Une origine présidentielle.
Mais, qu’il s’agisse de Colombani ou de Moscovici, il est clair que
l’on n’a pas affaire à des dérapages individuels, qu’un âme charitable
pourrait mettre sur le compte d’un aveuglement passager. Ces attaques
sont hélas trop coordonnées, et elles reprennent les mêmes thèmes, ce
que les « communicants » appellent des « éléments de langage ». Cela
ressemble fort à une “ligne” qui serait désormais appliquée. Il faut
alors se souvenir des pratiques qui avaient cours dans l’URSS
stalinienne d’antan. Dès que le Bureau Politique avait émis une
condamnation, on devait la transcrire en attaques où l’odieux le
disputait à l’ignoble, quand elles ne tombaient pas dans le ridicule. On
pourrait faire une intéressante comparaison entre ces pratiques, qui
sont bien connues des historiens, et l’attitude du journaliste comme du
Ministre.
Tout ceci remonte, qu’on le veuille ou non, au Président. Qu’il l’ait
voulu ou pas, cette “ligne”, à n’en pas douter, est issue de son
discours, de son affirmation violente, presque désespérée, que l’Euro
c’est l’Europe n’en laisse pas douter. Que l’on regarde les mots
choisis [10]:
« Je ne laisserai pas faire, au cours des prochains mois, ceux
qui veulent en terminer avec l’idée européenne. Pas seulement en France,
il y en a d’autres, parfois même aux gouvernements. Je ne laisserai pas
faire ceux qui veulent en terminer avec l’idée européenne ou ceux qui
veulent briser l’acquis communautaire, c’est-à-dire tout ce qui a été
fait depuis des générations et des générations. Je ne laisserai pas non
plus faire ceux qui veulent sortir de l’euro, qui pensent ainsi sauver
la Nation alors qu’ils la mettent en péril. Parce que notre avenir,
c’est dans l’Europe… »
On retrouve, là aussi, l’assimilation de l’Euro à l’Europe, et ce
alors que tout le monde sait que des pays importants, la Grande-Bretagne
et la Suède par exemple, font partie de l’Union Européenne mais pas de
la zone Euro. On retrouve l’expression de ce sentiment d’exaspération
avec la répétition du « je ne laisserai pas faire… », qui permet à
Emmanuel Todd de montrer avec brio comment l’inconscient vient ici
affleurer le dit[11].
Il est aujourd’hui clair que voyant le projet européistes confronté à
des attaques nouvelles, convergentes, et qui montent en puissance,
confronté à une réalité qui diverge de plus en plus de son idéologie,
François Hollande ne trouve plus que dans la politique du mensonge
d’issue. Mais, il ne peut que savoir que cette issue ne fonctionne qu’à
court terme. On retrouve ici la trace des méthodes du « fascisme doux »
décrit par nombre de romanciers, dont évidemment Aldous Huxley dans le
« Meilleur des Mondes ». Il faut aussi se souvenir de ces lignes de Gunther Anders, dans l’Obsolescence de l’Homme[12], qui m’ont été communiquées par un correspondant :
« En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de
l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée,
d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que
l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le
modèle de la liberté. Le conditionnement produira ainsi de lui-même une
telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera
celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux
conditions nécessaires au bonheur. L’homme de masse, ainsi produit, doit
être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé
comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité
est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être
ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le
système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et
ceux qui la soutienne devront ensuite être traités comme tels. »
Mais que tous le sachent et ce quel que soit leur position de pouvoir
: tout ce qui est possible sera fait pour mettre leurs projets en échec
et les empêcher de rejouer la farce des années trente à leur seul
profit. L’analyse des défauts et de l’échec de la monnaie unique est
aujourd’hui partagée par de nombreux économistes, dont des prix Nobel,
tant en France qu’à l’étranger. Je ne me laisserai pas intimider par des
attaques qui déshonorent ceux qui les portent. Mais je les préviens :
ils m’en rendront politiquement raison.
[1] Colombani J-M., « La France du repli et du rejet », Direct Matin, 3 février 2014, p. 5. URL : http://www.directmatin.fr/france/2014-02-03/la-france-du-repli-et-du-rejet-par-jean-marie-colombani-654385?inbound_google_redaction=1
[2]
Sondage réalisé par l’institut de sondage Maurice de Hond auprès de
2.100 Néerlandais âgés de plus de 18 ans. Il sera divulgué dans son
entièreté le 6 février 2014.
[3] Voir : http://scenarieconomici.it/sondaggio-scenarieconomici-20-dicembre-2013-sarebbe-favorevole-alla-reintroduzione-di-una-valuta-nazionale-si-49-no-44-un-partito-anti-euro-potrebbe-valere-il-24/
[4] Voir la liste des signataires de l’appel du European Solidarity Manifesto, à l’adresse : http://www.european-solidarity.eu/signatories.php
[5]
Et je rappelle que selon Jean-Paul Sartre, le salaud intégral est celui
qui sait qu’il est un salaud, et qui persiste et signe dans sa saloperie.
[6] Publiée sur Russeurope, le 1er décembre 2013, URL : http://russeurope.hypotheses.org/1791
[7] Sapir J., « À tous et toutes », note publiée sur RussEurope, le 11 novembre 2013, URL : http://russeurope.hypotheses.org/1711
[8] Voir, « Chez ces gens là… », note publiée sur RussEurope le 15 décembre 2013, URL : http://russeurope.hypotheses.org/1835
[9] Dernièrement nous avons eu Jacques Généreux, du Parti de Gauche, qui a pris position très clairement dans Marianne du vendredi 31 janvier, mais aussi Jacques Mazier ou Henri Sterdyniak.
[10] Ouverture de la conférence de presse du président de la République au Palais de l’Élysée le 14 janvier 2014. http://www.elysee.fr/declarations/article/ouverture-de-la-conference-de-presse-du-president-de-la-republique-au-palais-de-l-elysee-le-14-janvier-201/
[12] Anders G., L’Obsolescence de l’homme, t. 1, trad. Christophe David, Editions Ivrea , Paris, 2002 et T-2, Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, trad. Christophe David, éditions Fario, Paris, mars 2011.