par Guillaume Faye
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Nous
allons donc subir ce bouleversement qui mettra un terme à notre modèle
social et économique. Y a-t-il pour nous une alternative ? Oui. »
Comparant
le réseau Internet à l’espace océanique trans-frontières, l’auteur fait
un parallèle entre la thalassocratie anglo-saxonne et l’hégémonie
américaine sur la Toile planétaire. Sans oublier de préciser que la
Chine, puissance ascendante et sans scrupules, est comme un pirate en
embuscade. Les Européens et les Français restent bras ballants,
renonçant à utiliser leur énorme potentiel économique, à le transformer
en puissance, voire même à le protéger. Face à ce que l’auteur appelle
le « complexe militaro-numérique américain »,
l’Europe reste un nain, qui prend à peine conscience de ce qui lui
arrive. Comme si nous ne savions pas que nous sommes au XXIe siècle et
que le ”nomos de la Terre”, pour employer le concept schmittien, a
changé de fond en comble. (1)
La question de la souveraineté numérique, de la maîtrise d’Internet, fait évidemment beaucoup de moins de buzz
que des sujets nettement moins importants (je n’ai pas dit sans
importance puisque j’en traite par ailleurs avec vigueur) tels que le
mariage homo ou la théorie du genre.
Bellanger use d’un néologisme pertinent : les « résogiciels »
c’est-à-dire les conglomérats numériques en réseaux qui tendent à
maîtriser les processus et les flux économiques, d’amont en aval et
inversement, pour l‘instant tous américains : Google, Apple, Amazon,
etc. Espionnage, captation de toutes les données personnelles et
collectives, maîtrise des leviers politico-économiques, contrôle des
industries : la panoplie de puissance des géants américains de
l’Internet, qui fonctionnent la main dans le main avec les super agences
de renseignement et le Pentagone, ne cesse de croître, comme une vigne
vierge ou une pieuvre.
La
thèse de Bellanger est qu’il faut reconquérir une indépendance et une
souveraineté abolies par l’Internet tel qu’il est aujourd’hui. Car pour
lui, il ne s’agit pas de diaboliser Internet mais de se le
réapproprier, d’y réintroduire des principes démocratiques mis à mal par
une dérive orwelienne des maîtres américains oligopolistiques du web ;
loin de fulminer avec rogne impuissante contre l’ ”impérialisme US”,
l’auteur appelle à jouer le jeu de la vie, de la politique et de
l’histoire, selon une logique au fond schumpeterienne : l’innovation
compétitive et la reprise en mains de son destin en cessant d’accuser
les autres par fulminations morales, coups d’épée dans l’océan.
En inventant le concept de « souveraineté numérique »,
Bellanger fait avancer la science politique en ce qu’il est le premier à
formuler cette extension du domaine de la souveraineté – et partant
celui du champ politique – au XXIe siècle. Il présente, dans la seconde
partie de son essai, un véritable plan de bataille pour reconquérir (ou
plutôt conquérir) en France et en Europe, cette souveraineté. En créant
nos propres résogiciels, pour nous réapproprier Internet et ses
innombrables synapses.
Car,
pour les résogiciels et le complexe militaro-numérique US, l’Europe,
démontre Bellanger, est le maillon faible, la proie principale, bien
plus que l’Asie. En raison de son énorme PIB global et de son absence
conjointe de volonté et de synergie.
L’auteur
explique, contrairement aux clichés, que la puissance US (et bientôt
chinoise par un étrange paradoxe de l’histoire) dans la sphère numérique
– et dans toutes les autres, d’ailleurs – repose sur une étroite
collaboration, patriotique au fond, entre l’État, le système
militaro-industriel et le mercantilisme privé. C’est la logique de l’économie organique, telle qu’elle avait été décrite par François Perroux, qui n’a absolument rien de ”libéral” au sens d’Adam Smith. (2)
Refuser
de reconquérir et de maîtriser la sphère numérique aujourd’hui, c’est
comme si jadis on avait renoncé à contrôler l’imprimerie, à posséder
une flotte hauturière ou à construire des chemins de fer, laissant ce
soin à d’autres.
Sur
le plan strictement économique, outre le champ politico-stratégique,
Bellanger ouvre une autre piste, une autre interrogation : et si
l’économie numérique (Internet au premier chef) était fondamentalement
destructrice d’emplois, notamment dans les pays qui ne la maitrisent
pas ?
Bellanger,
qui ne néglige pas la science-fiction réaliste, nous brosse un monde
dominé par le soft-totalitarisme des réseaux numériques. Ses prédictions
sont parfaitement impensables et horriblement possibles. Il est comme
le médecin qui vous dit : ”vous voyez ce petit bouton sur votre fesse
gauche ? C’est une tumeur. Si vous n’y prenez garde, elle vous
emportera ”.
Contrairement à la tradition de la critique pure
(qui est hémiplégique et hélas très française), Bellanger propose des
solutions argumentées pour reconquérir l’indépendance numérique. Ces
dernières sont, à proprement parler, gaullistes. C’est-à-dire l’alliance
synergique de la puissance publique et de l’économie privée. Dans ses
propositions, il essaie aussi de surmonter les handicaps des
institutions européennes, par des solutions innovantes. Il prône, pour
la France et l’Europe la liberté individuelle et l’indépendance
collective : n’était-ce pas déjà la leçon d’Aristote, il y a de cela des
milliers de révolutions circumsolaires ?
NOTES
(1)
La révolution d’Internet, extrêmement véloce, qui marque le début du
XXIe siècle et se caractérise par la constitution d’un ”nouvel espace”
(en sus de la terre, de l’océan et de l’atmosphère/ espace proche) peut
se comparer à ce qui s’est produit à la charnière XVe/ XVIe siècles par
l’irruption de la dimension océanique post-méditerranéenne.
(2)
L’idée selon laquelle l’économie américaine serait ”libérale” et anti
étatiste est d’une prodigieuse fausseté, comme je l’ai montré dans
plusieurs de mes essais. Les USA refusent l’État Providence social mais
ont totalement adopté le modèle de l’État-pilote du colbertisme,
évidemment avec d’énormes variantes. Mais cela mériterait un autre
article.
NOTE LIMINAIRE
Pour
le philosophe Martin Heidegger, l’innovation technique (à l’image de
l’évolution naturelle), intégralement liée à sa diffusion par
l’économie, est un mécanisme aveugle et tâtonnant, dont il est
impossible de prévoir les conséquences. Il parle de « processus sans sujet ».
Et de fait, depuis des siècles, les progrès de la technoscience
produisent des effets imprévus sur les plans sociologiques, économiques,
anthropologiques, politiques ; des effets qui n‘avaient jamais été
planifiés mais qu’on découvre ”quand il est trop tard”. Et auxquels il
faut s’adapter a posteriori. Il en fut ainsi de l’agriculture de
jachère, comme de l’imprimerie, des métiers à tisser, de la poudre, du
chemin de fer, de l’automobile, du télégraphe et du téléphone, de la
radio et de la télévision, de l’aviation, des antibiotiques, du
nucléaire, etc. Il en est aujourd’hui de même avec l’informatique, le
numérique et Internet. Pour paraphraser Heidegger, l’homme invente un
procédé supranaturel (”technique”, du grec technè,
qui signifie à la fois ”art” et ”fabrication”) qui produit une réalité
augmentée, laquelle agit en retour sur la société humaine de manière
imprévue. L’artéfact technique « arraisonne »
l’écosystème naturel et humain. C’est l’allégorie juive du Golem : la
poupée qui échappe à son créateur et devient autonome. Néanmoins, un
pilotage a posteriori de l’innovation est possible, mais il faut faire
très vite, être hyper réactif : c’est ainsi que procèdent les
”résogiciels” dont parle Bellanger, pour maîtriser un système économique
devenu extrêmement fluide.