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David Doucet*
C’est désormais acté. Après les cathos intégristes, les radicaux
islamistes et le Front national, Caroline Fourest part en croisade
contre Frédéric Taddeï. Alors qu’elle boycotte le plateau de "Ce soir
(ou jamais !)" depuis quatre ans, l’essayiste s’est longuement épanchée
dans Le Supplément de Canal + en déclarant : “C’est du cynisme dandy.
C’est toute cette nébuleuse des rouges-bruns que l’on a trouvés chez
Jean-Edern Hallier qui l’a beaucoup influencé. Au nom d’une posture très
parisienne, très chic, je me demande si Frédéric Taddeï ne pense pas
que le totalitarisme, c’est de l’art contemporain, en fait. Tellement,
pour lui, toutes les idées se valent, surtout les plus cyniques, c’est
quand même ses préférées (…). Les gens que l’on met sur le plateau comme
de simples experts sont en fait des paranoïaques conspirationnistes qui
ont eu des écrits haineux et racistes mais ce n’est jamais dit. Et donc
le principe de l’émission de Frédéric Taddeï, c’est ce vieil adage qui
dit : ‘Cinq minutes pour les Juifs, cinq minutes pour Hitler.’ Je crois
que dans le cas de Frédéric Taddeï, c’est même six minutes pour Hitler”.
Caroline Fourest a développé ses critiques dans sa chronique hebdomadaire sur France Culture. “Une trentaine d’extrémistes qui ont leur rond de serviette”. Dans sa chronique, Caroline Fourest déclare que l’émission est composée : “d’une
bonne tranche de paranoïaques et de complotistes qui n’affichent pas la
couleur, mais qui incarnent l’antisystème, face à des journalistes
établis, si possible juifs et conservateurs, qui incarneront
merveilleusement le système.” Et l’essayiste d’ajouter qu’une “trentaine d’extrémistes ont leur rond de serviette ” en citant pêle-mêle : Alain Soral, Dieudonné, Jean Bricmont, Michel Collon ou bien encore Alain de Benoist.

Du
coup, nous avons fait le compte des invités depuis la création de
l’émission en 2006. Sur 650 émissions, Alain Soral a été invité 3 fois
(dont la dernière fois en 2011), Dieudonné 3 fois, Jean Bricmont 3 fois,
Michel Collon 6 fois et enfin Alain de Benoist 3 fois. Il est donc
erroné de parler d’invités récurrents. Parmi les autres personnes citées
par Caroline Fourest : l’écrivain Marc-Edouard Nabe, Tariq Ramadan ou
bien encore la porte-parole du parti des Indigènes de la République
Houria Bouteldja comptabilisent en revanche 10 invitations.
Mais
les véritables “rond de serviette” ne sont pas ceux-là. Parmi les
personnes qui comptent plus d’une vingtaine d’invitations, on retrouve
plutôt : Emmanuel Todd, Michel Maffesoli, Thierry Lévy ou bien encore
Jean-Didier Vincent. Et plus d’une quinzaine d’invitations pour Daniel
Cohen, Cynthia Fleury, Eric Fassin, Alain Finkielkraut, Bernard Stiegler
ou bien encore Jacques Attali. Des invités qu’il serait difficile de
qualifier d’“extrémistes” ou de “complotistes paranoïaques”.
Même
s’il se dit choqué de n’avoir pas été prévenu de l’invitation surprise
de Nabe, le président de la Licra Alain Jakubowicz, présent sur le
plateau le 8 janvier, estime que les attaques sur la politique
d’invitation de Taddeï sont disproportionnées : “J’aime bien Caroline
Fourest mais lorsqu’elle dit que cette émission c’est 5 minutes pour
Hitler, 5 minutes pour les Juifs, je ne suis pas d’accord. Je trouve
qu’elle me dépeint en faire-valoir d’Hitler en disant cela. Ce soir (ou
jamais !) est un espace de liberté nécessaire. On les invite comme experts sans les présenter, pour les laisser parler de tout et de n’importe quoi”.
Autre
reproche de taille. Caroline Fourest estime que Frédéric Taddeï élève
au rang “d’expert” des invités sulfureux, sans préciser leur pedigree.
Cet argument ne tient pas. Lorsque l’on revisionne les trois émissions
où Alain Soral a été invité, on se rend compte que son passage au Front
national est à chaque fois mentionné. Même chose concernant Alain de
Benoist qui est présenté comme “le théoricien de la Nouvelle Droite dans
les années 70”. Spécialiste de l’extrême droite et chercheur associé à
l’Iris, Jean-Yves Camus estime que le procès en “contextualisation” est
un faux procès :
“On ne peut pas demander à un présentateur
de télévision de dire : ‘Alain de Benoist, théoricien de la Nouvelle
Droite, fondateur du Grece, éditorialiste à Eléments sous le pseudonyme
de Robert de Herte, etc. Une introduction télévisée, ce n’est pas une
fiche de police ou un dictionnaire antifasciste (…) Quand Taddeï
présente Soral comme membre du comité central du FN, le téléspectateur
sait à qui il a affaire. Préciser qu’il serait antisémite c’est prendre
le risque d’un procès pour injure publique.”
“Le débat du 8
mars a tourné autour du débat sur les chiffres du viol qui n’était pas
un peu truqué”. Pour démontrer que l’émission vire souvent au complot,
Caroline Fourest cite celle du 8 mars 2013 dans laquelle un invité
aurait remis en question les chiffres officiels sur le viol. L’invité en
question est Thierry Lévy, célèbre avocat pénaliste, qui a remis en
cause le chiffre de 150 000 viols par an en France donné par la
psychiatre Muriel Salmona. Contacté par Les Inrocks, il précise sa pensée : “Je
n’ai jamais remis en question les chiffres du ministère de l’Intérieur
sur le viol, il suffit de revisionner l’émission pour s’en convaincre.
J’ai simplement contesté le chiffre donné par Muriel Salmona qui
correspond à une extrapolation dix fois supérieure aux chiffres
officiels sur le nombre de viols déclarés en France par an.”
“Rouge-brun de L’Idiot international”
Au début de sa carrière, Frédéric Taddeï est passé par Maintenant, Actuel ou encore Radio Nova mais Caroline Fourest insiste sur sa participation à L’Idiot international
(un journal pamphlétaire français fondé en octobre 1969 et dirigé par
le polémiste Jean-Edern Hallier) pour mieux lui accoler le qualificatif
de “rouge-brun”.
Pourtant en parcourant L’Idiot international, une anthologie (Albin Michel) qui raconte l’histoire du journal, la présence de Frédéric Taddeï est pour le moins fugitive. L’animateur de Ce soir (ou jamais !)
aurait simplement écrit trois articles sur des livres entre janvier et
février 1990 et une critique cinéma en février 1991. Frédéric Taddeï
confie d’ailleurs n’avoir jamais assisté à aucun conseil de rédaction et
n’avoir jamais été payé pour ses piges. Enfin, avoir écrit à L’Idiot international
ne suffit pas à être qualifié de “rouge-brun” sinon Olivier Poivre
d’Arvor, Roland Castro, Philippe Sollers, Michel Houellebecq, Frédéric
Beigbeder le sont aussi…
“Le pire c’est que cette recette n’est même pas porteuse, puisque Ce soir (ou jamais !) réalise depuis sept ans des audiences très confidentielles…”
Pour
clôturer son intervention, Caroline Fourest s’en prend aux audiences de
l’émission. Mais là aussi, le jugement se révèle légèrement hâtif. La
récente émission consacrée à l’affaire Dieudonné n’est pas la seule à
avoir dépassé le million de téléspectateurs. A plusieurs reprises dans
son histoire, Ce soir (ou jamais !) a atteint cette audience. En
2009, lorsque Caroline Fourest avait été opposée à Tariq Ramadan, Taddeï
avait réuni près de 1,2 million de téléspectateurs, soit près de 10 %
de parts d’audience.
“Une émission internet”
Enfin, on ne peut s’empêcher de relever cette assertion légèrement webophobe de Fourest : “Au
fond Ce soir (ou jamais !) c’est une émission Internet, au lieu de
profiter de la seule case longue qu’offre le service public pour
déconstruire les fantasmes reproduits sur n’importe quel forum, eh bien,
elle copie ces codes et conforte ce confusionnisme en privant le
service public d’un endroit où on pourrait organiser des débats
contradictoires tout en veillant à informer sur la désinformation,
puisque Frédéric Taddeï refuse de le faire.” En déclarant cela,
Caroline Fourest donne l’impression que le web se réduit aux rumeurs et
au complotisme et offre une lecture pour le moins “confusionniste”.
Caroline Fourest n’est pas la seule à relayer des contre-vérités sur l’émission. Dans une chronique récente sur Le Plus (Nouvel Observateur),
Bruno Roger-Petit a écrit que Frédéric Taddeï a des “chroniqueurs
permanents” alors qu’il n’en a aucun. Il affirme également que
l’animateur défend “une liberté d’expression totale”, alors que ce
dernier a toujours déclaré qu’il était pour la liberté de parole, tant
que personne ne tombait sous le coup de la loi.
Des attaques inévitables
Les
polémiques seraient-elles inhérentes aux émissions de débat ? C’est
l’avis de Bernard Pivot qui raconte avoir connu le même type d’attaques
lorsqu’il animait Apostrophes : “Ça fait partie du commun usage de ce genre d’émission. Il y aura toujours ce type de polémiques.” Tandis que le philosophe Régis Debray (invité régulier) estime que ces critiques sont inévitables : “Cette
émission est à mes yeux l’honneur de la télévision publique française.
La liberté a son prix et le prix à payer, c’est que l’on a les cons
contre soi.”
La réponse de Frédéric Taddeï :
Suite
à la publication de cet article, Frédéric Taddeï a été invité par le
médiateur de France Culture. Il a répondu aux critiques de Caroline
Fourest:
* L'article de David Doucet a été publié sur Lesinrocks.fr