.

.

lundi 3 février 2014

Liber Amicorum : Alain de Benoist

http://www.oragesdacier.info/

  
Pour m’atteler à la rédaction de ce texte, je décidai, pour en définir le sujet, de faire défiler dans mon esprit tout ce qu’Alain de Benoist m’avait apporté depuis que je l’avais découvert dans un vieux numéro de Magazine Hebdo traînant dans le bureau paternel. Que ce soit dans la lecture de ses textes puis - par la grâce des rencontres et d’amitiés communes - dans son épisodique fréquentation, il me fallait déterminer quel était l’élément sinon le plus important, du moins le plus « signifiant », qui serait donc l’objet de ma contribution à ce Liber Amicorum. Comme toujours avant d’entamer une chose d’importance, je me servis un grand verre de vin blanc frais et me lançai donc dans un inventaire complexe et ardu afin de répondre le plus justement et précisément possible à la question : De quoi suis-je personnellement le plus reconnaissant à Alain de Benoist ? 
 
     Est-ce de m’avoir ouverts les yeux sur les impasses et les simplismes de la pensée d’une droite réactionnaire dont j’étais familialement issu (et dont je conserve encore, je dois bien l’avouer, quelques honteux stigmates…) ? Ou bien est-ce de m’avoir fait saisir le caractère central et fondamental des problématiques de l’écologie et du localisme, ce qui m’entraînera dans diverses expériences plus ou moins rocambolesques m’apprenant au moins les aléas du passage de la pensée à l’action ? Ou bien est-ce d’avoir démontré que l’on pouvait avoir une pensée à la fois complexe et limpide et qu’il n’était pas utile de jargonner pour se montrer intelligent ? Ou peut-être est-ce d’avoir prouvé que, même en nos temps de déliquescence et d’effondrement, il était encore possible de mener une existence digne et éthique, sans jamais se vendre ni se renier ? Ou encore est-ce tous ces auteurs qu’il m’a amené à lire et ces figures, telles celles du socialisme français, qu’il m’a permis de redécouvrir ? Ou est-ce, enfin, plus egotiquement, son indulgence envers mes modestes écrits et ses encouragements à les poursuivre et les travailler, toutes bienveillances qui me faisaient rougir d’un mélange de gêne et de contentement orgueilleux? Oui, bien sûr, il y a tout cela. Tout cela a compté et compte. Tout cela a jalonné et structuré mon parcours intellectuel (bien grand mot me concernant…), politique et personnel. Mais, à dire vrai, ce n’est pas à cela que je pense en premier lieu lorsque j’évoque Alain de Benoist. 
 
     A cette évocation, la première chose qui me vient à l’esprit c’est le réveillon du nouvel an et le goût que, par ses invitations, Alain de Benoist m’a redonné de celui-ci. J’avais, en effet, depuis fort longtemps, développé un désintérêt farouche, teinté d’un non-dissimulable dégoût, pour ces festivités obligatoires et convenues, ces rituelles beuveries de fin d’année où il convient de feindre de se réjouir du passage d’une année navrante à une nouvelle année pitoyable. A ces occasions, enfermé chez moi, je laissais sans tristesse ni regrets mes compatriotes se goinfrer bruyamment et s’abrutir d’alcool dans des fêtes dispendieuses et sinistres où chacun se force à s’agiter pour ne pas risquer d’être surpris en défaut d’enthousiasme ou de pétillante légèreté. J’assumais alors pleinement et sans peine l’étiquette de vieux con avant l’heure, sorte de caricature Murayenne en rupture volontaire de festivocratie. Tout changea lorsque j’eus le privilège et le plaisir d’être invité par Alain de Benoist à passer le réveillon dans sa résidence près de Dreux. Là, un peu embarrassé et maladroit comme je le suis en toutes circonstances sociales, je redécouvris avec une joie timide et un réel émerveillement les plaisirs simples et profonds de la communauté, qu’il faut distinguer de ceux de l’amitié, qu’ils peuvent intégrer mais pas obligatoirement. Ce soir-là, tout commence par le cérémonial des bougies. Après avoir réclamé le silence, notre hôte allume une à une trois bougies aux couleurs de la tradition européenne, une pour les absents, une pour les disparus et une pour les enfants à naître, trois symboliques flambeaux qui vont veiller sur les convives et la soirée qui, désormais placée sous des auspices ancestraux, peut maintenant véritablement débuter. 
 
     Il faudrait indéniablement beaucoup plus de talent que je n’en ai pour retranscrire avec exactitude l’ambiance et l’atmosphère de ces soirées, pour faire justice à ces moments d’humble bien-être, d’échanges passionnés, d’humour et de controverses aussi virulentes que rapidement apaisées. Pour s’en faire une idée, il faut imaginer une grande pièce meublée d’objets disparates, un feu vigoureux crépitant dans l’âtre, et une longue table présidée par notre hôte, autour de laquelle est réunie un bien étrange mais chaleureux équipage. Il y a là Gilles, la philosophie incarnée en statue grecque, qui ne quitte Heidegger que pour moucher le nez de son adorable fillette toute occupée à tirer les moustaches de l’un des chats sous l’œil réprobateur mais indulgent du maître de maison. Il y a aussi Olivier, bien sûr, gesticulant et postillonnant pour transmettre sa passion pour tel auteur anarchiste ukrainien dont, évidemment, je n’ai jamais entendu parler et que je m’empresse de rajouter à la liste des écrivains à lire d’urgence pour pouvoir cesser de feindre de savoir de quoi l’on parle. Il y a Christian et son rire irrésistiblement communicatif… Il y a les sempiternelles mais incontournables imitations d’Arnaud… Il y a François, ses emportements et ses jugements implacables et définitifs…. Il y a le sourire discret de Joséphine, le regard sombre et pénétrant de Juliette, la présence attentive et afférée d’Aurélie, les betteraves bio et les yeux bleu d’Andréa… Il y a du vin, de la bonne chère, des souvenirs et des projets, de l’emphase et de la mauvaise-foi, des rires et des esclandres, de la sagesse et de la folie… Il y a tant de choses, dérisoires et précieuses, qui finissent par composer un incroyable îlot de liberté, de ferveur et d’insoumission au cœur de la nuit post-moderne. C’est grâce à Alain de Benoist que j’ai abordé cet indispensable rivage et c’est de cela, parmi bien d’autres choses, dont je voulais le remercier ici. 
Xavier Eman