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Pour m’atteler à la rédaction de ce texte, je décidai, pour en définir
le sujet, de faire défiler dans mon esprit tout ce qu’Alain de Benoist
m’avait apporté depuis que je l’avais découvert dans un vieux numéro de
Magazine Hebdo traînant dans le bureau paternel. Que ce soit dans la
lecture de ses textes puis - par la grâce des rencontres et d’amitiés
communes - dans son épisodique fréquentation, il me fallait déterminer
quel était l’élément sinon le plus important, du moins le plus «
signifiant », qui serait donc l’objet de ma contribution à ce Liber
Amicorum.
Comme toujours avant d’entamer une chose d’importance, je me servis un
grand verre de vin blanc frais et me lançai donc dans un inventaire
complexe et ardu afin de répondre le plus justement et précisément
possible à la question : De quoi suis-je personnellement le plus
reconnaissant à Alain de Benoist ?
Est-ce de m’avoir ouverts les yeux sur les impasses et les
simplismes de la pensée d’une droite réactionnaire dont j’étais
familialement issu (et dont je conserve encore, je dois bien l’avouer,
quelques honteux stigmates…) ? Ou bien est-ce de m’avoir fait saisir le
caractère central et fondamental des problématiques de l’écologie et du
localisme, ce qui m’entraînera dans diverses expériences plus ou moins
rocambolesques m’apprenant au moins les aléas du passage de la pensée à
l’action ? Ou bien est-ce d’avoir démontré que l’on pouvait avoir une
pensée à la fois complexe et limpide et qu’il n’était pas utile de
jargonner pour se montrer intelligent ? Ou peut-être est-ce d’avoir
prouvé que, même en nos temps de déliquescence et d’effondrement, il
était encore possible de mener une existence digne et éthique, sans
jamais se vendre ni se renier ? Ou encore est-ce tous ces auteurs qu’il
m’a amené à lire et ces figures, telles celles du socialisme français,
qu’il m’a permis de redécouvrir ? Ou est-ce, enfin, plus egotiquement,
son indulgence envers mes modestes écrits et ses encouragements à les
poursuivre et les travailler, toutes bienveillances qui me faisaient
rougir d’un mélange de gêne et de contentement orgueilleux? Oui, bien
sûr, il y a tout cela. Tout cela a compté et compte. Tout cela a jalonné
et structuré mon parcours intellectuel (bien grand mot me concernant…),
politique et personnel. Mais, à dire vrai, ce n’est pas à cela que je
pense en premier lieu lorsque j’évoque Alain de Benoist.
A cette évocation, la première chose qui me vient à l’esprit c’est
le réveillon du nouvel an et le goût que, par ses invitations, Alain de
Benoist m’a redonné de celui-ci. J’avais, en effet, depuis fort
longtemps, développé un désintérêt farouche, teinté d’un
non-dissimulable dégoût, pour ces festivités obligatoires et convenues,
ces rituelles beuveries de fin d’année où il convient de feindre de se
réjouir du passage d’une année navrante à une nouvelle année pitoyable. A
ces occasions, enfermé chez moi, je laissais sans tristesse ni regrets
mes compatriotes se goinfrer bruyamment et s’abrutir d’alcool dans des
fêtes dispendieuses et sinistres où chacun se force à s’agiter pour ne
pas risquer d’être surpris en défaut d’enthousiasme ou de pétillante
légèreté. J’assumais alors pleinement et sans peine l’étiquette de vieux
con avant l’heure, sorte de caricature Murayenne en rupture volontaire
de festivocratie. Tout changea lorsque j’eus le privilège et le plaisir
d’être invité par Alain de Benoist à passer le réveillon dans sa
résidence près de Dreux. Là, un peu embarrassé et maladroit comme je le
suis en toutes circonstances sociales, je redécouvris avec une joie
timide et un réel émerveillement les plaisirs simples et profonds de la
communauté, qu’il faut distinguer de ceux de l’amitié, qu’ils peuvent
intégrer mais pas obligatoirement.
Ce soir-là, tout commence par le cérémonial des bougies. Après avoir
réclamé le silence, notre hôte allume une à une trois bougies aux
couleurs de la tradition européenne, une pour les absents, une pour les
disparus et une pour les enfants à naître, trois symboliques flambeaux
qui vont veiller sur les convives et la soirée qui, désormais placée
sous des auspices ancestraux, peut maintenant véritablement débuter.
Il faudrait indéniablement beaucoup plus de talent que je n’en ai
pour retranscrire avec exactitude l’ambiance et l’atmosphère de ces
soirées, pour faire justice à ces moments d’humble bien-être, d’échanges
passionnés, d’humour et de controverses aussi virulentes que rapidement
apaisées. Pour s’en faire une idée, il faut imaginer une grande pièce
meublée d’objets disparates, un feu vigoureux crépitant dans l’âtre, et
une longue table présidée par notre hôte, autour de laquelle est réunie
un bien étrange mais chaleureux équipage. Il y a là Gilles, la
philosophie incarnée en statue grecque, qui ne quitte Heidegger que pour
moucher le nez de son adorable fillette toute occupée à tirer les
moustaches de l’un des chats sous l’œil réprobateur mais indulgent du
maître de maison. Il y a aussi Olivier, bien sûr, gesticulant et
postillonnant pour transmettre sa passion pour tel auteur anarchiste
ukrainien dont, évidemment, je n’ai jamais entendu parler et que je
m’empresse de rajouter à la liste des écrivains à lire d’urgence pour
pouvoir cesser de feindre de savoir de quoi l’on parle. Il y a Christian
et son rire irrésistiblement communicatif… Il y a les sempiternelles
mais incontournables imitations d’Arnaud… Il y a François, ses
emportements et ses jugements implacables et définitifs…. Il y a le
sourire discret de Joséphine, le regard sombre et pénétrant de Juliette,
la présence attentive et afférée d’Aurélie, les betteraves bio et les
yeux bleu d’Andréa… Il y a du vin, de la bonne chère, des souvenirs et
des projets, de l’emphase et de la mauvaise-foi, des rires et des
esclandres, de la sagesse et de la folie… Il y a tant de choses,
dérisoires et précieuses, qui finissent par composer un incroyable îlot
de liberté, de ferveur et d’insoumission au cœur de la nuit
post-moderne. C’est grâce à Alain de Benoist que j’ai abordé cet
indispensable rivage et c’est de cela, parmi bien d’autres choses, dont
je voulais le remercier ici.
Xavier Eman