La fête de la Sainte Lumière
(Epiphanie, Ste. Maigre)
par le Dr. COREMANS
Elles sont passées, les douze nuits [de la période solstitiale, ndlr]; le monde souterrain s'est fermé. La terre appartient aux vivants, au présent, à l'avenir; les morts, le passé gîtent dans le sombre empire de Hella. La fête du jour annonce l'espoir, le futur bonheur! Pour quelques heures, les dignitaires, élus la veille, entrent en fonctions. C'est à eux à justifier le choix du hasard, s'ils veulent que le peuple le ratifie vers l'Iostur ou au champ de Mai. En attendant, on se livre à la joie. La Ste Lumière éclaire l'oie du banquet, les cornes à boire se remplissent et se vident bravement! Grimm croit que cette fête était consacrée à Berchta ou Helle, en sa qualité de déité lunaire, à Helle qui brille et qui éclaire au milieu des ténèbres. Tout en fêtant la renaissance du soleil, nos ancêtres ne voulaient pas oublier les bienfaits de l'astre qui préside aux nuits raffraîchissantes de l'été, à la rosée si salutaire aux plantes, après les brûlantes journées estivales. N'omettons pas, en outre, de faire remarquer que si la science nie l'influence de la lune sur les variations du temps, le peuple y croyait et y croit encore partout.
Néanmoins,
si l'on témoignait de l'attachement et de la reconnaissance à la bonne
déesse, on ne se montrait pas moins sévère à l'égard des génies
ténébreux de mort et de destruction sur lesquels elle règne dans les
profondeurs de la terre. On vengeait sur eux les outrages qu'ils avaient
fait souffrir, pendant six mois, aux déités bienfaisantes de la
lumière. C'est ainsi, comme nous l'avons dit, qu'en Italie, la Béfana,
représentée sous les traits d'une femme maigre et décharnée, est
maltraitée, lapidée et enfin sciée par le peuple, le treizième jour
après les fêtes de Noël. Des usages de ce genre se rencontrent aussi
dans les contrées méridionales de l'Allemagne, qui avoisinent l'Italie.
Il est aussi évident que des réminiscences du paganisme se sont jointes
aux terribles détails du martyre de Ste Macre, Mager ou Maigre, dont on
célèbre la fête, en Champagne, le jour de l'Epiphanie.
D'après
la tradition, cette sainte endura le martyre du temps de la grande
persécution des Chrétiens, sous Dioclétien. Elle fut jetée au feu, et,
n'en ayant reçu aucun dommage, on lui coupa les mamelles, on la roula
sur des morceaux très aigus de pots cassés et ensuite sur des charbons
enflammés; enfin, Dieu l'enleva à la cruauté des hommes! Tel est le
résumé des rimes populaires que chantent parfois encore les enfants qui,
le jour des Rois, parcourent, en Champagne, les villages avec un
mannequin figurant une femme et qu'ils disent être l'effigie de Ste.
Maigre! Nous voyons, dans cette sainte, une christianisation d'un usage
païen qui ne pouvait se maintenir, après la chute du paganisme, que sous
une forme nouvelle.
St
Mélanie, évêque et confesseur, est pour Rennes, ce que Ste Macre ou
Maigre est devenue pour Reims et la Champagne. Les miracles que la voix
populaire lui attribue sont innombrables. Comme St. Macaire, il avait,
dit-on, le pouvoir de faire parler les morts.
Les
habitants des montagnes du Monta-Rosa prétendent qu'un mirage céleste
fait quelquefois apercevoir, le jour de l'Epiphanie, la «vallées
perdue», dont les souvenirs délicieux vivent dans la tradition de leur
contrée alpine. Effectivement, qu'est cette vallée perdue, sinon un pays
d'espérance, et la fête du treizième jour n'était-elle pas aussi
principalement consacrée à l'Espoir?
Nous cherchons tous et toujours la vallée perdue, mais quel est l'heureux mortel qui la retrouve?
En
Flandre comme en plusieurs parties de l'Allemagne, on nomme le jour des
Rois: le Grand Nouvel An, et les Tyroliens attribuent à l'eau bénite de
ce jour des forces particulières. Ils en aspergent les champs, les
étables, les granges, etc. C'est aussi une croyance populaire à peu près
générale que les mariages contractés le jour de la Sainte-Lumière sont
heureux par excellence. En Brabant et en Flandre, les enfants chantent
la veille et le jour des Rois différentes rimes qui paraissent très
anciennes et qui ont trait, soit à la Sainte-Lumière soit à la demande
d'un nouveau couvre-chef, le vieux s'étant sans doute usé, pendant le
cours de l'année antérieure.
Dr. COREMANS.
(ex Etudes sur les mythes, tome I, Les fêtes du Joul, Héliopolis, 1851).
Note sur l'auteur:
le Dr. Coremans, né à Bruxelles à la fin du XVIIIième siècle a dû
quitter sa ville natale, en compagnie de son père, haut fonctionnaire
impérial, à l'arrivée de la soldatesque jacobine dans les Pays-Bas
autrichiens (1792). Elevé à Vienne, il y entre à la faculté de droit et
s'engage dans les Burschenschaften
nationalistes et grandes-allemandes, qui s'opposent au morcellement du
monde germanique, confirmé par le Traité de Vienne de 1815. Revenu à
Bruxelles, parfaitement trilingue, il reste un légitimiste absolu: sa
fidélité politique va à l'Autriche, au cadre germanique et
centre-européen plutôt qu'à la dynastie des Habsbourg qui ne veut rien
comprendre aux aspirations du peuple à l'unité. Païen dans l'âme, il
rédigera une quantité d'études sur les mythes et les traditions
populaires; dans bien des domaines de l'ethnologie, il sera un pionnier,
mais, depuis, il a été bien oublié.