Guerric Poncet
Le projet de loi contre le terrorisme
prévoit la création d'une liste noire des sites à censurer. Une liste
qui fuitera, ce n'est qu'une question de temps.
Nous vous alertions déjà cet été : le projet de loi contre le terrorisme, en discussion à l'Assemblée nationale depuis lundi soir, est un véritable désastre pour la liberté sur Internet. Et donc (au XXIe siècle) pour la liberté tout court. Comme cela avait été voté par la commission des Lois en juillet, les députés s'apprêtent à autoriser le blocage administratif de sites faisant l'apologie du terrorisme, et ce, sans intervention de la justice. Vous avez bien lu : si l'article 9 reste en l'état lors de son examen mercredi 17 septembre, l'exécutif pourra censurer Internet sans autorisation judiciaire, et presque sans contrôle.
Si le but théorique est évidemment louable, cet article 9, soutenu par les groupes PS, UMP, UDI ou encore SRC, va à l'encontre des principes élémentaires de la démocratie. Pire : il va presque à coup sûr promouvoir les sites internet terroristes que le gouvernement voudra bloquer. En effet, ce contrôle des sites impliquera la publication de la liste noire, ou du moins sa circulation dans des cercles qui, s'ils sont restreints, ne resteront pas muets. Fonctionnaires, opérateurs internet, hébergeurs : de nombreux acteurs devront avoir accès au terrible inventaire. À l'ère des WikiLeaks et autres Edward Snowden, la publication de cette liste d'adresses ne sera qu'une question de temps, et l'État offrira alors une publicité inespérée aux sites qu'il souhaite bloquer. C'est ce qu'on appelle l'effet Streisand : quand on veut à tout prix étouffer quelque chose, on finit par le promouvoir. Dans ce cas, l'État aura gentiment constitué les marque-pages du parfait petit terroriste, aux frais du contribuable.
Cazeneuve ne comprend rien ?
Aujourd'hui, comme pour tous les projets de loi concernant les libertés sur Internet (Hadopi, Loppsi 2, loi de programmation militaire, etc.), quelques députés de tous bords qui ont compris le fonctionnement d'Internet s'opposent, en vain, à l'éternel fantasme de contrôle d'Internet, que l'on retrouve autant à droite qu'à gauche. La députée d'Eure-et-Loir Laure de la Raudière (UMP) a beau interroger dans l'hémicycle Bernard Cazeneuve, elle n'obtient aucune réponse du ministre de l'Intérieur, qui semble ne rien comprendre à ses arguments techniques. Sur son compte Twitter, l'élue regrette une "incompréhension totale d'Internet" et reconnaît que la probabilité d'envoyer le texte devant le Conseil constitutionnel est de "zéro" (il faudrait réunir 60 élus du Parlement). Maigre consolation : elle espère soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lorsque le texte paraîtra au Journal officiel.
Fin juillet, une commission spécialisée avait durement contesté le projet de loi antiterroriste, porté par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Dans sa recommandation, cette commission de réflexion sur le droit et les libertés à l'âge du numérique rappelait que "le préalable d'une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à respecter l'ensemble des intérêts en présence, lorsqu'est envisagé le blocage de l'accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques".
Une mesure contre-productive
La commission expliquait notamment que le blocage des sites est très difficile à mettre en oeuvre techniquement. La commission craignait par ailleurs les blocages de contenus par erreur, c'est-à-dire l'inscription sur la liste noire de sites n'ayant rien à voir avec le terrorisme ou la pédopornographie, comme cela a été prouvé, par exemple en Australie. Le "retrait du contenu auprès des hébergeurs doit être privilégié sur le blocage lorsque ces derniers sont coopératifs", estime la commission.
Comme c'est le cas dans les pays pratiquant déjà la censure d'Internet, la commission craignait un contournement facile du blocage. Et c'est une crainte plus que fondée ! L'utilisation par les internautes de réseaux privés virtuels (VPN), par exemple, leur permet - en quelque sorte - de se connecter de façon chiffrée via le réseau d'un autre pays, et donc d'échapper aux blocages décidés par un État ou par un autre. Ces services, qui coûtent quelques euros par mois et rapportent gros à leurs créateurs, sont souvent étrangers, et parfois fournis par des réseaux mafieux. Leur utilisation a explosé en France depuis la mise en place du gendarme du piratage, l'Hadopi.
RSF dénonce "un recul de la liberté d'information"
Les outils destinés aux cyberdissidents, comme l'excellent Tor, permettent aussi d'échapper à la censure, gratuitement et en un clic. L'utilisation de Tor explose dans les grandes démocraties, de plus en plus adeptes de la cybercensure. Résultat : il est encore plus difficile de repérer les activités illégales. Lors d'un précédent projet de censure des sites terroristes en 2013 (celui de Manuel Valls), le juge antiterroriste Marc Trévidic avait expliqué que c'est justement grâce aux imprudences des terroristes sur Internet que la police peut les repérer et les arrêter...
Plusieurs autres voix se sont élevées contre le projet de loi socialiste, dont celle de Reporters sans frontières (RSF). L'ONG, qui n'a pas pour habitude de critiquer la France, n'y allait pas de main morte. Selon son communiqué, cette loi "pourrait engendrer un recul de la liberté d'information puisqu'il [...] prévoit le blocage administratif de sites internet et augmente les mesures de surveillance".
Nous vous alertions déjà cet été : le projet de loi contre le terrorisme, en discussion à l'Assemblée nationale depuis lundi soir, est un véritable désastre pour la liberté sur Internet. Et donc (au XXIe siècle) pour la liberté tout court. Comme cela avait été voté par la commission des Lois en juillet, les députés s'apprêtent à autoriser le blocage administratif de sites faisant l'apologie du terrorisme, et ce, sans intervention de la justice. Vous avez bien lu : si l'article 9 reste en l'état lors de son examen mercredi 17 septembre, l'exécutif pourra censurer Internet sans autorisation judiciaire, et presque sans contrôle.
Si le but théorique est évidemment louable, cet article 9, soutenu par les groupes PS, UMP, UDI ou encore SRC, va à l'encontre des principes élémentaires de la démocratie. Pire : il va presque à coup sûr promouvoir les sites internet terroristes que le gouvernement voudra bloquer. En effet, ce contrôle des sites impliquera la publication de la liste noire, ou du moins sa circulation dans des cercles qui, s'ils sont restreints, ne resteront pas muets. Fonctionnaires, opérateurs internet, hébergeurs : de nombreux acteurs devront avoir accès au terrible inventaire. À l'ère des WikiLeaks et autres Edward Snowden, la publication de cette liste d'adresses ne sera qu'une question de temps, et l'État offrira alors une publicité inespérée aux sites qu'il souhaite bloquer. C'est ce qu'on appelle l'effet Streisand : quand on veut à tout prix étouffer quelque chose, on finit par le promouvoir. Dans ce cas, l'État aura gentiment constitué les marque-pages du parfait petit terroriste, aux frais du contribuable.
Cazeneuve ne comprend rien ?
Aujourd'hui, comme pour tous les projets de loi concernant les libertés sur Internet (Hadopi, Loppsi 2, loi de programmation militaire, etc.), quelques députés de tous bords qui ont compris le fonctionnement d'Internet s'opposent, en vain, à l'éternel fantasme de contrôle d'Internet, que l'on retrouve autant à droite qu'à gauche. La députée d'Eure-et-Loir Laure de la Raudière (UMP) a beau interroger dans l'hémicycle Bernard Cazeneuve, elle n'obtient aucune réponse du ministre de l'Intérieur, qui semble ne rien comprendre à ses arguments techniques. Sur son compte Twitter, l'élue regrette une "incompréhension totale d'Internet" et reconnaît que la probabilité d'envoyer le texte devant le Conseil constitutionnel est de "zéro" (il faudrait réunir 60 élus du Parlement). Maigre consolation : elle espère soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lorsque le texte paraîtra au Journal officiel.
Fin juillet, une commission spécialisée avait durement contesté le projet de loi antiterroriste, porté par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Dans sa recommandation, cette commission de réflexion sur le droit et les libertés à l'âge du numérique rappelait que "le préalable d'une décision judiciaire apparaît comme un principe essentiel, de nature à respecter l'ensemble des intérêts en présence, lorsqu'est envisagé le blocage de l'accès à des contenus illicites sur des réseaux numériques".
Une mesure contre-productive
La commission expliquait notamment que le blocage des sites est très difficile à mettre en oeuvre techniquement. La commission craignait par ailleurs les blocages de contenus par erreur, c'est-à-dire l'inscription sur la liste noire de sites n'ayant rien à voir avec le terrorisme ou la pédopornographie, comme cela a été prouvé, par exemple en Australie. Le "retrait du contenu auprès des hébergeurs doit être privilégié sur le blocage lorsque ces derniers sont coopératifs", estime la commission.
Comme c'est le cas dans les pays pratiquant déjà la censure d'Internet, la commission craignait un contournement facile du blocage. Et c'est une crainte plus que fondée ! L'utilisation par les internautes de réseaux privés virtuels (VPN), par exemple, leur permet - en quelque sorte - de se connecter de façon chiffrée via le réseau d'un autre pays, et donc d'échapper aux blocages décidés par un État ou par un autre. Ces services, qui coûtent quelques euros par mois et rapportent gros à leurs créateurs, sont souvent étrangers, et parfois fournis par des réseaux mafieux. Leur utilisation a explosé en France depuis la mise en place du gendarme du piratage, l'Hadopi.
RSF dénonce "un recul de la liberté d'information"
Les outils destinés aux cyberdissidents, comme l'excellent Tor, permettent aussi d'échapper à la censure, gratuitement et en un clic. L'utilisation de Tor explose dans les grandes démocraties, de plus en plus adeptes de la cybercensure. Résultat : il est encore plus difficile de repérer les activités illégales. Lors d'un précédent projet de censure des sites terroristes en 2013 (celui de Manuel Valls), le juge antiterroriste Marc Trévidic avait expliqué que c'est justement grâce aux imprudences des terroristes sur Internet que la police peut les repérer et les arrêter...
Plusieurs autres voix se sont élevées contre le projet de loi socialiste, dont celle de Reporters sans frontières (RSF). L'ONG, qui n'a pas pour habitude de critiquer la France, n'y allait pas de main morte. Selon son communiqué, cette loi "pourrait engendrer un recul de la liberté d'information puisqu'il [...] prévoit le blocage administratif de sites internet et augmente les mesures de surveillance".
Source: |
Le Point