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vendredi 19 septembre 2014

Le retour de Nicolas Sarkozy Il pourrait être néfaste à la France…



 Laurent Mercoire
 
La semaine qui vient de débuter est célébrée par les médias comme étant celle de tous les dangers, semaine censée s’achever en apothéose par une annonce attendue (voire espérée) de l’ex-président de la République confirmant ainsi son retour aux affaires. Alors que l’actuel président essaye vainement d’oublier ses déboires en accentuant son action de va-t-en-guerre à l’extérieur du pays, voilà que l’annonce du retour du Messie pourrait lui être prometteuse d’oxygène, comme pour un malade à l’agonie. Or ce Messie n’est en rien providentiel, car d’une part il a déjà servi, dans tous les sens du terme, d’autre part le bilan de son action passée est peu encourageant. Face, d’une part à un premier ministre en cours de carbonisation, déjà hors-jeu pour la prochaine élection présidentielle, d’autre part aux sondages célébrant la présidente du Front national [FN], la seule voie de survie qui s’offre au Parti socialiste [PS] est d’élargir son assise, ce qu’il ne peut faire qu’à gauche depuis qu’il a repoussé en 2012 les avances du président du Mouvement démocrate [Modem]. La suite est aisée à prévoir : Nicolas Sarkozy va cristalliser les oppositions, y compris dans l’Union pour un mouvement populaire [UMP], la gauche va tenter de retrouver son identité traditionnelle perdue, dès que Manuel Valls aura disparu du paysage, et la France ira encore plus mal. Donc, oui la présence de l’ex-président, dont l’ego fait qu’il se considère comme le seul recours, sera vraiment néfaste. Trois arguments méritent un développement : la personnalité de l’homme d’abord, ensuite la faiblesse (pour le moins) de son bilan présidentiel, enfin les raisons de son retour.
Chateau


La personnalité de l’ex-président

Nicolas Sarkozy est un spécialiste de l’emploi de la magie, celle du verbe qui consiste à occuper le terrain, avec d’ailleurs la complicité contrainte de médias en concurrence. Le problème réside, derrière les effets d’annonce, dans la faiblesse de la permanence de l’action. Toujours quant au verbe, l’inélégance, et la violence des propos de l’ex-président, y compris avec ses interlocuteurs internationaux, ont été récemmentconfirmées par Hillary Clinton ; il est difficile de construire ensuite des rapports de confiance. Contribuer à l’assassinat d’un dirigeant auparavant reçu avec les honneurs par la République n’est guère recommandable, soit du fait de l’avoir honoré, soit pour l’avoir ensuite trahi (sur un plan plus intérieur, Charles Pasqua et Jacques Chirac en savent quelque chose). Insulter les juges de la République, même s’ils ont parfois offert le bâton pour se faire battre, n’est pas souhaitable de la part de celui qui la représente.

L’impulsivité d’un dirigeant est un danger pour les citoyens ; quand il suffit de l’opinion d’un intellectuel pour engager la nation dans une guerre (opération Harmattan), dont on constate aujourd’hui les remarquables résultats en Libye, on voit bien qu’analyse et étude d’impact ont été absentes de la réflexion, au profit de l’émotion et de la coïncidence d’agenda offerte par l’exercice Southern Mistral, notamment par sa composante Mistral Storm. C’est bien un problème de comportement animal (réagir d’abord, réfléchir ensuite), fusse-t-il politique, même si, d’un autre côté, savoir agir vite est aussi une qualité.

Au-delà de ces deux aspects indiscutables, restent peut-être deux éléments à prendre aussi en compte. Le premier est la collection des affaires dans lesquelles est cité, à juste titre ou non, l’ex-président, laquelle l’emporte sur toute autre collection présidentielle antérieure. Reconnaissons cependant du courage à l’homme, car il en faut pour oser briguer la présidence de l’UMP après l’affaire Bygmalion. Le second point, sur lequel ne sont pas penchés suffisamment les psychologues, est l’abstention de l’ancienne épouse de l’ex-président lors du second tour des élections en 2007. Nul ne saura la vérité, au vu de sa réserve méritoire, à comparer au comportement récent d’une autre ex-Première dame… Mais qui d’autre pouvait alors mieux connaître la réalité de l’homme ?

Le bilan de l’ex-président


Nicolas Sarkozy semblait avoir été élu en 2007 par une partie de l’électorat pour réformer ce pays. On en voit aujourd’hui le résultat (après tout l’élection de François Hollande est à mettre aussi au crédit, ou au débit, de l’ex-président), même s’il est honnête de reconnaître que la disparition de quelques timides mesures qu’il avait mises en place sont de la responsabilité de son successeur.

La politique extérieure d’alignement atlantique est un choix stratégique que l’on peut certes défendre ou contester, mais il est difficile, à ce jour, d’en percevoir des résultats bénéfiques.Là n’est pas vraiment le problème, puisque « it’s the economy, stupid ! » ; si une meilleure situation économique et financière est l’action attendue du retour de l’ex président, qu’en est-il de son bilan, que personne n’a vraiment évalué ? Sa lecture doit cependant être modulée par la survenue de la crise financière de 2008, bien qu’elle ait été en apparence jugulée par la transformation de dettes privée (celle des banques) en dettes souveraines (celle des Etats). Tous les analystes ont loué cette action, mais personne ne sait vraiment ce qui aurait pu se passer si une autre option avait été choisie, malgré les craintes du « toobig to fail ». Après tout, les banques n’ont guère retenu l’avertissement, les prises de risque persistent, alors qu’aujourd’hui il n’est plus guère de réserves à dépenser pour les sauver une nouvelle fois.

De 2008 à 2011 (années d’élection présidentielle exclues) les chiffres des finances et de l’économie de la France n’ont pas vraiment correspondu aux attentes. La dépense des administrations publiques s’est accrue, de 52,7% à 56,0% en pourcentage du produit intérieur brut [PIB], et de 1 057,6 à 1 151,5 milliards d’Euros en valeurs. La dette publique est passée de 68,2% à 84,5% (en pourcentage du PIB), et de 1 318,6 à 1 789,0 milliards d’Euros. Le déficit des administrations publiques (au sens des critères de Maastricht), égal à 3,3% du PIB en 2008, était de 5,2% en 2011. Les prélèvements obligatoires ont augmentés de 42,8% à 43,9% du PIB, et en valeur de 834,4 à 876,3 milliards d’Euros. Le chômage a touché 7,4% puis 9,2% de la population active. Enfin le déficit du commerce extérieur s’est aggravé de 56 219 à 74 476 millions d’Euros. Bref, on avait déjà donné avec Nicolas Sarkozy, même si aujourd’hui on donne encore avec François Hollande.

En résumé, l’ex-président a plus fait dans la communication que dans le réel changement ; il a certes essayé mais par petites touches (appliquant le principe attribué à Bismarck selon lequel la politique est d’abord l’art du possible), et il a certainement été handicapé par la crise financière. Si l’UMP n’a pas réellement osé poser la question du droit à inventaire, François Hollande, au moins, aurait pu le réclamer plus agressivement qu’il ne l’a fait.

Pourquoi un retour ?

Il est dommage qu’un avocat de profession ne trouve guère plus d’intérêt tant dans les affaires que dans ses conférences élitistes, ce qui aurait peut-être évité son retour. Il est regrettable qu’une pression judiciaire à son encontre n’ait pas été plus modérée, et que les égards dus à un ancien président, n’aient pas été respectés. Il est navrant de constater que des éléments de son parti préfèrent le rappeler plutôt que d’accepter la prééminence de l’un des leurs. Indépendamment des raisons en cause, de deux choses l’une : ou Nicolas Sarkozy pense vraiment pouvoir redresser le pays (et pas seulement changer le barreur, voire le capitaine) et il faut alors lui opposer son inefficacité antérieure, soit il obéit à des raisons liées à sa personnalité, et il est encore plus impératif de l’éloigner. L’ex-président a déjà démontré qu’il n’était pas un homme providentiel, et le temps n’est plus à la revanche. Malgré la crainte qu’il inspire parfois au sein même de son camp, crainte face à sa rancune qui pourrait faire ressembler l’UMP à ce qu’était la France de la Libération, avec son mélange d’authentiques hommes de valeur, mais aussi de collaborateurs et de résistants de la dernière heure, certains de ses dirigeants ont manifestement besoin d’un leader, tous comme ses militants écœurés par leurs manœuvres. Le danger est qu’une décision porteuse d’un tel impact national va être prise par une minorité de citoyens appartenant à l’UMP, et que la désignation de Nicolas Sarkozy comme président de ce parti va mener la France dans le mur. A gauche, le bonheur sera total : l’image catastrophique de l’homme prendra le pas sur tout projet politique, à supposer qu’il en existe un autre que de revenir au pouvoir et d’assurer une position personnelle.

Si un devoir devait s’imposer à Nicolas Sarkozy, c’est celui de ne pas revenir, d’autant plus qu’une revanche n’est pas un programme, programme dont on n’a pas aperçu le moindre élément à ce jour. Nicolas a déjà joué un premier mandat (pas très bien) et il a perdu l’opportunité d’en réaliser un second (reconnaissant sa défaite certes avec panache, mais ce n’était qu’un bref instant de grâce). Du fait de ses antécédents et de sa personnalité, il ne trouvera pas d’électeurs à gauche, et il perdra une partie de ceux qui sont vraiment à droite. Sans alliance avec le centre, il est même possible qu’il soit absent du second tour de la prochaine élection présidentielle, si le FN poursuit sa course en tête et si le PS se rééquilibre dans l’union vers la gauche.

A étudier des programmes pourtant aussi différents que celui d’Arnaud Montebourg, dans sa lettre à Martine Aubry lors des primaires socialistes, un document trop méconnu et celui plus récent de Bruno Le Maire, on aperçoit des pistes, voire une synthèse prometteuse, mais malheureusement très improbable. Le retour de l’ex-président doit donc être combattu, d’autant plus qu’une majorité en sa faveur au sein de l’UMP, par habitude ou par peur, suffira à couper les ailes à tout espoir de renouveau. Si les militants de ce parti ne sont pas éclairés par les affaires en cours, notamment celle du financement frauduleux de leur campagne, alors François Fillon regrettera de ne pas avoir fait éclater l’UMP lorsque que le maire de Meaux lui a volé son élection, et Alain Juppé aura eu le tort de ne pas s’être positionné pour en prendre ensuite la direction. Oui, la semaine qui vient va s’annoncer décisive, mais pas tout à fait pour les raisons qu’on imagine. Si j’étais président, je dirais « Ouf, Nicolas revient » ! S’il s’agissait d’entretenir quelque espoir pour la France, que Nicolas laisse donc la place aux autres… 
 
Source:

Metamag