Serge Moati raconte à «20 Minutes» le lien qu’il a noué avec Jean-Marie Le Pen au cours des vingt-cinq dernières années...
Armé de sa caméra, de son empathie et de son bagou, le documentariste a rencontré et filmé l’ex-leader du Front national à de nombreuses reprises au cours de vingt-cinq dernières années, pour «comprendre la droite nationaliste». Ces rencontres surréalistes, Serge Moati a eu envie de les raconter dans un livre, Le Pen, vous et moi (Flammarion), et à 20 Minutes.
Vous dites de Jean-Marie Le Pen que vous ne détestez pas l’homme, que vous passez de bons moments avec lui, comment assumez-vous cela en tant que juif, fils de déporté, ex-franc-maçon, socialiste et journaliste ?
Je suis effaré par la vertu offensée et la bonne conscience brandie constamment. Il faudrait que je sorte ma carte de fils de déporté et mon étoile jaune pour être à l’abri de toute critique. Je suis un type qui a fait parler Le Pen, comme jamais il n’a parlé. Il se trouve que dans la vie, je ne le déteste pas. Et alors? Qu’est-ce que ça peut leur foutre aux détracteurs? Quand j'interviewe quelqu'un, je suis dans l'empathie, mais cela ne m’empêche pas, parfois, de me dire «quel sale con!».
J’ai trop vécu la haine pour en éprouver. Le Pen, on le combat, mais voilà, j’ai passé de bons moments avec lui, on a ri, mangé et bu ensemble. Je n’oublie pas pour autant ce que je dois faire: le faire parler. Et combattre ses idées par ailleurs. Evidemment, dans ma vie de citoyen, je suis tout sauf lepéniste.
Ce qu’on pense de lui, Jean-Marie Le Pen s’en soucie-t-il ?
Il est dans la provocation, ce qu’on dit de lui ne l’atteint pas. Il adore dire qu’il est victime d’un complot, juif notamment, organisé pour empêcher la droite nationaliste de parler et de défendre la civilisation blanche. Comme quand il me parle des réactions sur le «point de détail»: un «concerto des pleureuses» selon lui, de la Licra, du Mrap, de la ligue des droits de l’Homme, des socialistes, etc. Mes copains quoi! Ça le fait jubiler.
Dans sa vision des choses, vous êtes l’incarnation de ce complot, comment expliquez-vous qu’il vous ait laissé pénétrer son intimité ?
D’abord, j’ai été l’un des premiers à m’approcher de lui. J’étais là pour l’entendre et quand il faisait une vanne, je me marrais de bon cœur. Je m’en suis donné le droit, ce n’est pas interdit. Idem quand il chantait de vieilles chansons françaises que j’adore ou récitait des poèmes de Musset. Je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas que Le Pen a réussi à m’émouvoir. On a eu une sorte de considération mutuelle, mais il m’arrive fréquemment d’être effaré par ses propos.
On n’arrête pas de me dire «mais comment pouvez-vous pu être copain avec lui? Le tutoyer…» Oui je le tutoie, comme à peu près la moitié de la classe politique française, ce qui ne veut pas dire que je suis d’accord avec tous!
Quand vous revenez avec Jean-Marie Le Pen sur sa fameuse déclaration sur les chambres à gaz, un «point de détail» de l’Histoire, comment s’en explique-t-il auprès de vous, qui êtes fils de déporté ?
Il me demande si mon père y est mort, je lui dis que non, qu’il a réussi à s’échapper du camp où il était retenu. Il me répond alors que je suis «la preuve vivante qu’on ne fourrait pas tout le monde dans les chambres à gaz». Il n’y a rien à en dire. C’est dégueulasse, nul.
Mais il vous raconte des histoires passionnantes…
Bien sûr, toutes ses dates sont des contre-dates pour moi. Je suis fasciné par ça, pas par l’homme. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui a vécu toutes ces choses. C’est important pour moi de raconter cela, il est à l’opposé de mon environnement. Mon père a été arrêté par des Français et livré aux Allemands. Jean-Marie Le Pen a croisé certaines de ces personnes, forcément ça m’intéresse. Je voulais comprendre.
Lui arrive-t-il aussi selon vous de dire des vérités ?
Bien sûr! Il est comme ça Jean-Marie Le Pen, entre énormités et fulgurances, sinon il ne serait pas si intéressant. Quand je lui ai fait part de ma joie lors de la révolution tunisienne, il a prédit l’arrivée des islamistes au pouvoir, alors qu’auparavant on n’en voyait aucun dans les rues tunisiennes et que personne n’aurait pu imaginer leur victoire aux élections. Là je dis chapeau. On n’est pas d’accord avec la façon dont il le dit, mais c’est vrai.
Le 21 avril 2002, vous êtes le seul journaliste à passer la journée avec le clan Le Pen, que se passe-t-il dans votre tête ce jour-là?
C’est le syndrome de Stockholm! D’abord je pavoise d’être le seul à avoir filmé les scoops et quand les résultats tombent, je suis presque gagné par la joie ambiante, ça rit, ça boit. Puis j’appelle ma femme, elle est en larmes et me dit «mais comment peux-tu rire alors que Paris est dans la rue?». C’est la douche froide, je me sens très con.
J’ai toujours filmé des documentaires et de la fiction, pour moi c’est pareil. Sur le moment, ce que je filme n’est pas réel, je ne suis pas un seul instant dans la réjouissance. Mais son arrivée au deuxième tour a été dramatisée. Si le 21 avril a été un jour tragique et funeste pour la plupart des citoyens français, je ne suis pas sûr que pour lui c’était une bonne surprise. Au fond, je ne pense pas qu’il voulait gagner. C’est pour Marine que ça a été un grand jour, la première marche du parcours pour elle.
La fille ira-t-elle plus loin que le père ?
Marine a gardé le côté populaire de son père: ils savent tous les deux parler d’une manière qui atteint les gens, pas comme des énarques. Elle a su laver, adapter et relifter le discours de son père. Elle a dédiabolisé le parti, intéressé les foules à son «FN light», tout en reprenant les fondamentaux du parti, l’immigration, pour garder les électeurs de son père. Là où elle est douée, c’est qu’elle parle aux gens comme la gauche devrait le faire. Elle remplit l’espace libre auprès d’un peuple en déshérence et séduit une base d’électeurs ex-communistes et socialistes, qui trouvent en elle ce qu’ils ont envie d’entendre. Et c’est ça qu’il faut démasquer, sans la diabolisation qui ne fonctionne pas.
Armé de sa caméra, de son empathie et de son bagou, le documentariste a rencontré et filmé l’ex-leader du Front national à de nombreuses reprises au cours de vingt-cinq dernières années, pour «comprendre la droite nationaliste». Ces rencontres surréalistes, Serge Moati a eu envie de les raconter dans un livre, Le Pen, vous et moi (Flammarion), et à 20 Minutes.
Vous dites de Jean-Marie Le Pen que vous ne détestez pas l’homme, que vous passez de bons moments avec lui, comment assumez-vous cela en tant que juif, fils de déporté, ex-franc-maçon, socialiste et journaliste ?
Je suis effaré par la vertu offensée et la bonne conscience brandie constamment. Il faudrait que je sorte ma carte de fils de déporté et mon étoile jaune pour être à l’abri de toute critique. Je suis un type qui a fait parler Le Pen, comme jamais il n’a parlé. Il se trouve que dans la vie, je ne le déteste pas. Et alors? Qu’est-ce que ça peut leur foutre aux détracteurs? Quand j'interviewe quelqu'un, je suis dans l'empathie, mais cela ne m’empêche pas, parfois, de me dire «quel sale con!».
J’ai trop vécu la haine pour en éprouver. Le Pen, on le combat, mais voilà, j’ai passé de bons moments avec lui, on a ri, mangé et bu ensemble. Je n’oublie pas pour autant ce que je dois faire: le faire parler. Et combattre ses idées par ailleurs. Evidemment, dans ma vie de citoyen, je suis tout sauf lepéniste.
Ce qu’on pense de lui, Jean-Marie Le Pen s’en soucie-t-il ?
Il est dans la provocation, ce qu’on dit de lui ne l’atteint pas. Il adore dire qu’il est victime d’un complot, juif notamment, organisé pour empêcher la droite nationaliste de parler et de défendre la civilisation blanche. Comme quand il me parle des réactions sur le «point de détail»: un «concerto des pleureuses» selon lui, de la Licra, du Mrap, de la ligue des droits de l’Homme, des socialistes, etc. Mes copains quoi! Ça le fait jubiler.
Dans sa vision des choses, vous êtes l’incarnation de ce complot, comment expliquez-vous qu’il vous ait laissé pénétrer son intimité ?
D’abord, j’ai été l’un des premiers à m’approcher de lui. J’étais là pour l’entendre et quand il faisait une vanne, je me marrais de bon cœur. Je m’en suis donné le droit, ce n’est pas interdit. Idem quand il chantait de vieilles chansons françaises que j’adore ou récitait des poèmes de Musset. Je ne vois pas pourquoi je ne dirais pas que Le Pen a réussi à m’émouvoir. On a eu une sorte de considération mutuelle, mais il m’arrive fréquemment d’être effaré par ses propos.
On n’arrête pas de me dire «mais comment pouvez-vous pu être copain avec lui? Le tutoyer…» Oui je le tutoie, comme à peu près la moitié de la classe politique française, ce qui ne veut pas dire que je suis d’accord avec tous!
Quand vous revenez avec Jean-Marie Le Pen sur sa fameuse déclaration sur les chambres à gaz, un «point de détail» de l’Histoire, comment s’en explique-t-il auprès de vous, qui êtes fils de déporté ?
Il me demande si mon père y est mort, je lui dis que non, qu’il a réussi à s’échapper du camp où il était retenu. Il me répond alors que je suis «la preuve vivante qu’on ne fourrait pas tout le monde dans les chambres à gaz». Il n’y a rien à en dire. C’est dégueulasse, nul.
Mais il vous raconte des histoires passionnantes…
Bien sûr, toutes ses dates sont des contre-dates pour moi. Je suis fasciné par ça, pas par l’homme. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui a vécu toutes ces choses. C’est important pour moi de raconter cela, il est à l’opposé de mon environnement. Mon père a été arrêté par des Français et livré aux Allemands. Jean-Marie Le Pen a croisé certaines de ces personnes, forcément ça m’intéresse. Je voulais comprendre.
Lui arrive-t-il aussi selon vous de dire des vérités ?
Bien sûr! Il est comme ça Jean-Marie Le Pen, entre énormités et fulgurances, sinon il ne serait pas si intéressant. Quand je lui ai fait part de ma joie lors de la révolution tunisienne, il a prédit l’arrivée des islamistes au pouvoir, alors qu’auparavant on n’en voyait aucun dans les rues tunisiennes et que personne n’aurait pu imaginer leur victoire aux élections. Là je dis chapeau. On n’est pas d’accord avec la façon dont il le dit, mais c’est vrai.
Le 21 avril 2002, vous êtes le seul journaliste à passer la journée avec le clan Le Pen, que se passe-t-il dans votre tête ce jour-là?
C’est le syndrome de Stockholm! D’abord je pavoise d’être le seul à avoir filmé les scoops et quand les résultats tombent, je suis presque gagné par la joie ambiante, ça rit, ça boit. Puis j’appelle ma femme, elle est en larmes et me dit «mais comment peux-tu rire alors que Paris est dans la rue?». C’est la douche froide, je me sens très con.
J’ai toujours filmé des documentaires et de la fiction, pour moi c’est pareil. Sur le moment, ce que je filme n’est pas réel, je ne suis pas un seul instant dans la réjouissance. Mais son arrivée au deuxième tour a été dramatisée. Si le 21 avril a été un jour tragique et funeste pour la plupart des citoyens français, je ne suis pas sûr que pour lui c’était une bonne surprise. Au fond, je ne pense pas qu’il voulait gagner. C’est pour Marine que ça a été un grand jour, la première marche du parcours pour elle.
La fille ira-t-elle plus loin que le père ?
Marine a gardé le côté populaire de son père: ils savent tous les deux parler d’une manière qui atteint les gens, pas comme des énarques. Elle a su laver, adapter et relifter le discours de son père. Elle a dédiabolisé le parti, intéressé les foules à son «FN light», tout en reprenant les fondamentaux du parti, l’immigration, pour garder les électeurs de son père. Là où elle est douée, c’est qu’elle parle aux gens comme la gauche devrait le faire. Elle remplit l’espace libre auprès d’un peuple en déshérence et séduit une base d’électeurs ex-communistes et socialistes, qui trouvent en elle ce qu’ils ont envie d’entendre. Et c’est ça qu’il faut démasquer, sans la diabolisation qui ne fonctionne pas.
Notes: |
Propos recueillis par Anissa Boumediene |
Source: |
20 minutes