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vendredi 19 septembre 2014

Victoire du "non" en Ecosse : les leçons pour l'Europe



 Romaric Godin
 
Le refus des Ecossais de s'engager dans la voie de l'indépendance est perçue comme une victoire par les Européens. Mais l'Union européenne doit réfléchir à sa stratégie face aux régionalistes.
Chateau


Ce sera donc « non, merci. » Les électeurs écossais ont en effet, avec une majorité assez nette, rejeté l'option de l'indépendance. Ce résultat a dû provoquer un large soupir de soulagement dans la plupart des chancelleries européennes et à Bruxelles, où l'on s'était presque ouvertement déclaré en faveur du maintien du Royaume-Uni dans sa forme actuelle. Mais il se pourrait que ce soulagement ne soit que passager. Que l'affaire écossaise, plus qu'une fin ne soit qu'un début. Les conséquences de la tenue de ce référendum ouvrent en effet de nouveaux défis.

Le Royaume-Uni va devoir changer

Pour le Royaume-Uni, d'abord. Devant la poussée indépendantiste, Londres a dû accepter de promettre plus de pouvoir au gouvernement régional écossais. Il va falloir que les actes suivent. Dans la nouvelle répartition des pouvoirs au sein du Royaume-Uni, quel sera le poids des régions ? Dans la campagne, les questions européennes et de politique étrangère ont joué un rôle important. Beaucoup d'Ecossais se sont sentis « victimes » du choix de la majorité anglaise sur ces questions. Ils se sont souvenus de l'entrée en guerre en Irak en 2003 et ils ont pensé à l'éventuel référendum de 2017 sur le maintien du Royaume-Uni dans l'UE. Londres acceptera-t-elle de donner plus de pouvoir à Edimbourg (mais aussi à Belfast et Cardiff) sur ce sujet ? La question qui se posera est de savoir si cette nouvelle « constitution » britannique peut in fine influencer la position du Royaume-Uni en Europe. Autre point : celle de l'austérité. Le « oui » s'est appuyé sur un refus de la politique de la coalition qui gouverne à Londres. La dévolution ira-t-elle jusqu'à permettre à l'Ecosse de pouvoir faire un autre choix ? Cela paraît difficile, mais déjà les leaders britanniques ont promis plus de pouvoir à Edimbourg sur le système de santé.

Une chose est sûre : si les autorités britanniques refusent plus de dévolution à l'Ecosse, alors la question de l'indépendance reviendra. L'écart entre les derniers sondages et le résultat final prouve que le choix de beaucoup d'électeurs s'est fait au dernier moment. Autrement dit : les Ecossais ont pris conscience de ce qui les séparaient du reste du Royaume où le parti eurosceptique UKIP a triomphé le 25 mai, mais les scénarios catastrophistes tissés par les « experts » en tous genres ont finalement été les plus forts. La majorité des Ecossais a refusé de lâcher la proie pour l'ombre. Mais si Londres refuse d'entendre le message, si la position plus europhile et plus sociale des Ecossais n'est pas entendue, les Nationalistes écossais ne pourront qu'en profiter. Et, dans quelques années, ils seront de nouveau en mesure de proposer un autre vote sur l'indépendance. C'est ce qui s'est passé au Québec après le référendum de 1980, largement gagné (à 55 %) par les fédéralistes. En 1982, Ottawa a « rapatrié » la constitution canadienne en isolant le Québec au sein de la discussion sur le pouvoir des provinces. Les Indépendantistes québécois ont alors pu imposer un second référendum en 1994 où le choix du maintien dans le Canada s'est joué sur une poignée de votes.

Inconséquence européenne

Pour l'Europe, ce référendum écossais est lourd d'enseignements. D'abord, il a prouvé l'impréparation des institutions européennes à une telle situation et leur inconséquence. Bruxelles a clairement pris le parti du « non. » Durant toute la dernière semaine de campagne, les responsables de la Commission ont prévenu que l'Ecosse serait de facto exclue de l'UE en cas d'indépendance et que sa réintégration serait difficile, longue, voire impossible. Mais ce choix est des plus risqués. Le parti nationaliste écossais, le SNP, était un parti plutôt favorable à l'UE. Il entendait faire de l'indépendance une défense contre la montée de l'UKIP et contre la tentation eurosceptique des Tories. Désormais, le SNP sait ce qu'il peut attendre en retour de ce dévouement à l'UE. Bruxelles a très clairement jeté le nationalisme écossais dans le camp eurosceptique et il y a fort à parier que, désormais, le SNP développe encore davantage l'idée du modèle norvégien. Dans le contexte britannique, les dirigeants européens ont clairement joué avec le feu.

D'autant que Bruxelles va désormais devoir faire face à un autre référendum, celui sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l'UE qui pourrait être prévue en 2017. Quel sera le choix des Ecossais à ce moment-là ? Ceux qui ont voté « oui » à l'indépendance seront-ils tentés de voter pour le maintien dans une UE qui les a menacés d'exclusion en 2014 ? Rien n'est moins sûr. Désormais, l'UE risque de ne pas avoir bonne presse en Ecosse, la seule région du Royaume-Uni où elle était populaire. Or, le résultat du référendum de 2017 risque d'être encore plus serré que celui de ce jeudi en Ecosse. Les voix des partisans du « oui » à l'indépendance écossaise ne seront donc pas de trop. La prudence aurait voulu que l'UE se montre prudente au pire, neutre au mieux dans cette affaire. Le choix qui a été fait risque de coûter bien plus cher en 2017 à l'Europe que ne l'aurait été l'indépendance écossaise.

La contagion stoppée ?

Le seul moteur de l'attitude de l'UE a été la crainte de la contagion. De ce point de vue, le « non » écossais est-il un succès qui découragera les Nationalistes catalans, basques ou vénitiens ? Rien n'est moins sûr. L'existence même du référendum, autrement dit de la possibilité du choix est un succès pour ces mouvements. Les Catalans qui se battent pour pouvoir organiser un tel scrutin le 9 novembre prochain peuvent toujours se prévaloir de ce référendum écossais pour que Madrid leur donne le droit de s'exprimer. Le résultat de ce jeudi est loin, du reste, d'être décourageant pour les autres mouvements régionalistes. L'Ecosse est un cas particulier. Son nationalisme est récent et il ne s'appuie pas sur une langue « nationale. » Et pourtant, le choix de l'indépendance a été celui de 44 % des électeurs. Dans les cas catalan ou basque (pour ne citer qu'eux), où l'on peut s'appuyer sur une vieille tradition, sur une résistance à l'oppression récente et sur une langue « nationale » vivante, on peut penser que ce choix soit plus fort. Bref, le vote de ce jeudi ne met certes pas fin à la poussée régionaliste en Europe.

Là encore, l'attitude de l'UE sur l'Ecosse peut se révéler contre-productive en affaiblissant les mouvements régionalistes pro-UE (PNV au Pays Basque et CiU en Catalogne) au profit des mouvements les plus radicaux qui sont prêts s'il le faut à quitter l'UE pour obtenir un Etat (Bildu en Euskadi et ERC en Catalogne). Il est donc urgent que l'UE se prépare à la possibilité d'une sécession d'un de ces Etats dans son cadre. Nier le problème ou le caricaturer comme l'a fait François Hollande jeudi soir (en faisant de l'indépendance un repli sur soi quand précisément les Nationalistes écossais combattaient le repli sur soi britannique) ne pourra qu'inciter à faire de l'UE ce qu'elle n'a pas été jusqu'ici : un ennemi des régionalistes. Bruxelles et les Etats membres non concernés ferait mieux d'adopter un principe de neutralité en prévoyant une procédure de réadmission rapide des nouveaux Etats dans une UE dont ils ont été une part avant leur indépendance. Alors, la question de l'indépendance pourra se décider calmement, sans drame et façon maîtrisée, en respectant la volonté des peuples concernés.

Le pouvoir par la peur ?


La dernière leçon pour l'Europe de ce référendum écossais concerne la question de la démocratie. La campagne écossaise a été marquée, dès que la possibilité d'une victoire du « oui » est devenue réelle, par un déferlement incontrôlable d'analyses catastrophistes. L'indépendance de l'Ecosse allait déclencher les pires maux sur le nouveau pays. Ces analyses reposaient en réalité sur des scénarios irréels, notamment en ce qui concerne la monnaie. L'Ecosse, n'en déplaise à ces brillants experts, n'eût pas été le premier pays à sortir de l'empire britannique, il n'eût pas été non plus le premier pays à prendre son indépendance. Or, la littérature économique n'a jamais été capable de prouver que de tels processus provoquent à coup sûr une catastrophe. Mais il fallait faire peur. Cette façon de faire rappelle ce qui s'est passé en juin 2012 en Grèce lorsque l'on promettait aux Grecs, si Syriza arrivait en tête, les pires maux : des pénuries alimentaires ou sanitaires, le rationnement de l'essence, etc. Telle semble donc être l'état de la démocratie européenne. Pour obtenir le « bon » résultat, on semble prêt à jouer sur la terreur, sur la peur à coup de « savantes analyses. » L'ennui, c'est que ce canon n'est peut-être pas indéfiniment efficace. Lorsque les peuples sont mécontents de leur sort, les scénarios les plus sombres leur font moins peur. On le voit en Grèce où Syriza caracole désormais en tête des sondages parce que nulle étude bancaire, nulle menace de « bank run » ne fera plus croire aux Grecs qu'il peut leur arriver pire que ce qu'ils ont subi depuis 2010. Si Londres et Bruxelles persistent donc dans leurs politiques austéritaires suicidaires, non seulement les tentations régionalistes ne se tariront pas, mais la recette utilisée en Grèce en 2012 et en Ecosse cette année risque d'être largement émoussée.

La victoire du « oui » ne clôt donc pas la question du régionalisme pour l'UE. Bruxelles et les Etats membres n'ont clairement pas été à la hauteur de l'enjeu face à la question écossaise. Il leur revient désormais de préparer l'avenir. En seront-ils capables ?
 
Source:

La Tribune