Frédéric Saint Clair
Soixante-dix ans après les bombardements
d'Hiroshima et de Nagasaki qui ont fait 300 000 morts, Frédéric Saint
Clair tire les leçons de cet épisode tragique.
Lundi 6 août 1945 au petit matin, le bombardier Enola Gay s'envolait vers le Japon avec, à son bord, Little Boy, une bombe thermonucléaire de 4,5 tonnes. Larguée au-dessus d'Hiroshima, elle provoqua la mort quasi immédiate de 70 000 personnes. Les estimations du nombre total de victimes (suite aux radiations notamment) varient entre 140 000 et 250 000. Jeudi 9 août, une seconde bombe était larguée au-dessus de Nagasaki. Nouveau bilan: 40 000 morts sur le moment, et plus de 80 000 au total. Le lendemain, le gouvernement japonais faisait parvenir au général Douglas MacArthur une capitulation sans conditions qui mettait un terme à la Seconde guerre mondiale. Ce conflit long de cinq années se terminait par la projection violente des nations dans une guerre froide où la menace d'un conflit nucléaire devenait omniprésente. Soixante-dix ans après, quelles leçons tirer de cet épisode humainement douloureux?
Les questions s'accumulent, notamment concernant la qualification potentielle de cet acte en crime de guerre, sachant qu'Hiroshima comme Nagasaki n'étaient pas des forteresses militaires mais des villes industrielles composées majoritairement de civils. Ou bien: Le refus entêté des généraux japonais de rendre les armes, malgré la capitulation allemande au mois de mai précédent, et le coût estimé, très élevé, en vies de soldats américains pour maîtriser l'archipel nippon, étaient-ils suffisants pour envisager l'option nucléaire? Mais l'objet d'un anniversaire n'est pas uniquement l'occasion de revenir sur les termes d'une époque. Il peut également nous aider à remettre en perspective une actualité complexe.
La guerre est un moyen qui vise une fin, et cette fin, comme en 1945, se doit d'être la paix. L'anéantissement de l'ennemi par l'usage de la force est-il le meilleur moyen d'arriver à la fin que nous nous sommes fixée? Les journées des 6,9 et 10 août 1945 militent en faveur de cette thèse que les militaristes américains ont gardée en mémoire, et qu'ils réactualisent au fil des décennies. Les contre-exemples ont été nombreux cependant. Le désastre de la Baie des cochons en 1961. Le retentissant fiasco du Vietnam, de 1955 à 1975. L'interminable guerre afghane déclenchée à la suite des événements du 11 septembre 2001. L'échec de la guerre d'Irak menée à partir de 2003 malgré la «victoire» des USA et la chute du dictateur, si l'on en juge par le chaos qui règne depuis dans cette zone. Liste non exhaustive...
Il ne s'agit pas ici de faire le procès des Etats-Unis, procès trop souvent répété par les tenants d'un anti-américanisme naïf, mais de poser un regard critique sur deux aspects présents, de façon récurrente, dans l'approche stratégique américaine:
1. La nature morale de la guerre. Qu'il s'agisse du combat du bien contre le mal, justifiant tous les procédés pour que le bien triomphe, comme en août 1945, ou de l'exportation du modèle démocratique et libéral reconnu comme largement supérieur aux régimes dictatoriaux, comme nous le constatons actuellement, le manque de réalisme dans l'approche américaine est patent, et les moyens employés ne permettent pratiquement jamais d'atteindre les fins attendues.
2. La nature strictement militaire de la guerre. La France a opéré un virage atlantiste contre-productif depuis qu'elle est entrée dans sa période post-chiraquienne. Cela pose un problème majeur, car les Américains n'ont, semble-t-il, pas lu Clausewitz, lequel lie, d'une certaine manière, le stratégique et le politique. Ces derniers font donc preuve d'une sorte de manichéisme dans leur conception de la guerre, visant constamment à séparer la stratégie militaire des diverses formes du politique. Gagner la guerre consiste pour eux, peu ou prou, à écraser l'ennemi. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'horizon est étroit. Par ailleurs, la conservation obsessionnelle de leur statut d'hyperpuissance prévient toute bonne intelligence de la multipolarité du monde contemporain, et de la diversité des moyens et des fins relatives à l'équilibre des puissances. La France, en emboîtant le pas à son allié historique, tombe dans les mêmes pièges que lui, tout en payant beaucoup plus cher (de par son statut de puissance moyenne) les conséquences de ses choix.
L'anniversaire du bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki pourrait donc être l'occasion de réfléchir à notre histoire militaire et diplomatique, et par conséquent aux moyens de renouveler les formes de la guerre. Puisqu'il est manifestement impossible d'empêcher la guerre, il faut la mener à bien. Et si possible, la gagner. Et la gagner peut être assez éloigné de ce que nous envisageons aujourd'hui en terme de victoire ; cela consiste peut-être avant toutes choses à parvenir à injecter du politique dans la stratégie, à soumettre une bonne fois pour toute le stratégique au politique, de manière à repenser à la fois les fins, les objectifs fixés, mais également l'étendue des moyens, c'est à dire, empruntant ces mots à l'éditorial qu'Albert Camus publia dans la revue Combat le 08 août 1945 à «choisir entre l'enfer et la raison.»
Lundi 6 août 1945 au petit matin, le bombardier Enola Gay s'envolait vers le Japon avec, à son bord, Little Boy, une bombe thermonucléaire de 4,5 tonnes. Larguée au-dessus d'Hiroshima, elle provoqua la mort quasi immédiate de 70 000 personnes. Les estimations du nombre total de victimes (suite aux radiations notamment) varient entre 140 000 et 250 000. Jeudi 9 août, une seconde bombe était larguée au-dessus de Nagasaki. Nouveau bilan: 40 000 morts sur le moment, et plus de 80 000 au total. Le lendemain, le gouvernement japonais faisait parvenir au général Douglas MacArthur une capitulation sans conditions qui mettait un terme à la Seconde guerre mondiale. Ce conflit long de cinq années se terminait par la projection violente des nations dans une guerre froide où la menace d'un conflit nucléaire devenait omniprésente. Soixante-dix ans après, quelles leçons tirer de cet épisode humainement douloureux?
Les questions s'accumulent, notamment concernant la qualification potentielle de cet acte en crime de guerre, sachant qu'Hiroshima comme Nagasaki n'étaient pas des forteresses militaires mais des villes industrielles composées majoritairement de civils. Ou bien: Le refus entêté des généraux japonais de rendre les armes, malgré la capitulation allemande au mois de mai précédent, et le coût estimé, très élevé, en vies de soldats américains pour maîtriser l'archipel nippon, étaient-ils suffisants pour envisager l'option nucléaire? Mais l'objet d'un anniversaire n'est pas uniquement l'occasion de revenir sur les termes d'une époque. Il peut également nous aider à remettre en perspective une actualité complexe.
La guerre est un moyen qui vise une fin, et cette fin, comme en 1945, se doit d'être la paix. L'anéantissement de l'ennemi par l'usage de la force est-il le meilleur moyen d'arriver à la fin que nous nous sommes fixée? Les journées des 6,9 et 10 août 1945 militent en faveur de cette thèse que les militaristes américains ont gardée en mémoire, et qu'ils réactualisent au fil des décennies. Les contre-exemples ont été nombreux cependant. Le désastre de la Baie des cochons en 1961. Le retentissant fiasco du Vietnam, de 1955 à 1975. L'interminable guerre afghane déclenchée à la suite des événements du 11 septembre 2001. L'échec de la guerre d'Irak menée à partir de 2003 malgré la «victoire» des USA et la chute du dictateur, si l'on en juge par le chaos qui règne depuis dans cette zone. Liste non exhaustive...
Il ne s'agit pas ici de faire le procès des Etats-Unis, procès trop souvent répété par les tenants d'un anti-américanisme naïf, mais de poser un regard critique sur deux aspects présents, de façon récurrente, dans l'approche stratégique américaine:
1. La nature morale de la guerre. Qu'il s'agisse du combat du bien contre le mal, justifiant tous les procédés pour que le bien triomphe, comme en août 1945, ou de l'exportation du modèle démocratique et libéral reconnu comme largement supérieur aux régimes dictatoriaux, comme nous le constatons actuellement, le manque de réalisme dans l'approche américaine est patent, et les moyens employés ne permettent pratiquement jamais d'atteindre les fins attendues.
2. La nature strictement militaire de la guerre. La France a opéré un virage atlantiste contre-productif depuis qu'elle est entrée dans sa période post-chiraquienne. Cela pose un problème majeur, car les Américains n'ont, semble-t-il, pas lu Clausewitz, lequel lie, d'une certaine manière, le stratégique et le politique. Ces derniers font donc preuve d'une sorte de manichéisme dans leur conception de la guerre, visant constamment à séparer la stratégie militaire des diverses formes du politique. Gagner la guerre consiste pour eux, peu ou prou, à écraser l'ennemi. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'horizon est étroit. Par ailleurs, la conservation obsessionnelle de leur statut d'hyperpuissance prévient toute bonne intelligence de la multipolarité du monde contemporain, et de la diversité des moyens et des fins relatives à l'équilibre des puissances. La France, en emboîtant le pas à son allié historique, tombe dans les mêmes pièges que lui, tout en payant beaucoup plus cher (de par son statut de puissance moyenne) les conséquences de ses choix.
L'anniversaire du bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki pourrait donc être l'occasion de réfléchir à notre histoire militaire et diplomatique, et par conséquent aux moyens de renouveler les formes de la guerre. Puisqu'il est manifestement impossible d'empêcher la guerre, il faut la mener à bien. Et si possible, la gagner. Et la gagner peut être assez éloigné de ce que nous envisageons aujourd'hui en terme de victoire ; cela consiste peut-être avant toutes choses à parvenir à injecter du politique dans la stratégie, à soumettre une bonne fois pour toute le stratégique au politique, de manière à repenser à la fois les fins, les objectifs fixés, mais également l'étendue des moyens, c'est à dire, empruntant ces mots à l'éditorial qu'Albert Camus publia dans la revue Combat le 08 août 1945 à «choisir entre l'enfer et la raison.»
Notes |
Frédéric Saint Clair est mathématicien et économiste de formation. Il a été chargé de mission auprès du Premier ministre Dominique de Villepin pour la communication politique (2005-2007). Il est aujourd'hui consultant en stratégie et communication politiques. |
Source |