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lundi 17 août 2015

Quand la France graciait deux SS de haut rang



 Maxime Laurent
Certains cadres de la SS ont été exécutés. Beaucoup sont allés en prison. Comment le général et le colonel Carl Oberg et Helmut Kochen ont pu finir leurs jours libres ?

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La SS fut un vivier de criminels. Certains de ses cadres, comme Karl Brandt, chargé de l’extermination des handicapés, ont payé le prix du sang. Un grand nombre, à l’image de Sepp Dietrich, fondateur de la branche militaire de l’"ordre noir" et personnification de la barbarie SS, écopèrent seulement de quelques années de prison. Beaucoup n’eurent jamais à répondre de leurs actes, à l’instar de Heinz Lammerding, commandant de la division Das Reich et responsable, entre autres atrocités, des massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane.

Il en est, enfin, qui profitèrent d’une étonnante mansuétude : après des tracas judiciaires somme toute minimes au regard de leurs crimes, ceux-là purent vivre libres. Dans cette dernière catégorie, on retrouve ainsi Carl Oberg, général en chef de la SS en France, et Helmut Knochen, colonel, chef du Service central de sécurité dans l’Hexagone, tous deux responsables de la déportation puis de l’assassinat de centaines de milliers de juifs et de résistants.

Le sort d’Oberg et celui de Knochen étaient liés : en février 1954, alors que la France s’enfonce dans la guerre d’Algérie, les deux officiers comparaissent en même temps devant le tribunal militaire de Paris. Condamnés à mort, ils bénéficient de la grâce du président Vincent Auriol. Son successeur, René Coty, commue la peine de Knochen en vingt ans d’incarcération, tandis que celle d’Oberg demeure la prison à vie. Mais, le 20 novembre 1962, Charles de Gaulle ordonne leur libération. Si Oberg ne fera pas de vieux os – il est décédé en 1965 –, Knochen, lui, mourra dans son lit en 2003, à l’âge de 93 ans, après une prospère reconversion.

Des gestes venus d'en haut

Epargnés par une série de gestes venus d’en haut, les deux hommes ont été au cœur de tractations avant même qu’ils ne soient condamnés : précisons d’abord que les procès d’anciens nazis ne se tenaient pas sans l’implication d’une délégation allemande, active dans la recherche d’avocats. Jean-Louis Tixier-Vignancour, héraut de l’extrême droite française et mentor de Jean-Marie Le Pen, fut par exemple recruté en 1954 pour défendre Stengritt, l’adjoint de Klaus Barbie.

Ces assassins ont ainsi bénéficié du soutien de hauts fonctionnaires allemands à même de les comprendre. Outre-Rhin, "les diplomates allemands n’eurent pas dans leur ensemble à répondre de leurs actes et très peu d’entre eux subirent une condamnation, explique l’historien Jean-Marc Dreyfus. Il est tentant ainsi de décrire une large continuité dans le personnel diplomatique du ministère nazi et de celui de la RFA démocratique".

La camaraderie des anciens cadres du Reich a sans doute joué, bien aidée par un contexte de guerre froide favorisant le retour aux affaires d’hommes extrêmement compromis, mais utiles à la jeune RFA, que les Etats-Unis entendaient ériger en premier rempart contre le bloc de l’Est. De même, les procès qui se tenaient en France aboutissaient à des verdicts de moins en moins sévères, et les peines étaient de moins en moins appliquées.

Chantage diplomatique

Le 18 janvier 1955, Pierre Mendès France, président du Conseil et ancien résistant, rencontrait donc Konrad Adenauer à Baden-Baden. Dreyfus explique que le chancelier "demanda avec insistance […] la grâce des criminels de guerre allemands encore emprisonnés en France, dont Carl Oberg et Helmut Knochen".

Il l’obtint, mais sauver la vie des SS ne suffisait visiblement pas à Adenauer qui fit du sort de ce sinistre tandem l’objet d’un chantage diplomatique. Après tout, le chancelier, entouré de hauts fonctionnaires du Reich défunt, estime que les "Waffen-SS ont été des soldats comme les autres". Dreyfus précise :

"Adenauer tenait un double discours. En dehors de la RFA, il assurait reconnaître les fautes de l’Allemagne. Mais dans ses frontières, tenu par des considérations électoralistes, il préférait désigner quelques responsables de haut rang, qualifiés de 'mauvais Allemands' ayant entraîné le peuple. Il a donc prévenu André-François Poncet, l’ambassadeur de France, qu’il était bien décidé à 'l’embêter' en exigeant la fin des réparations. Adenauer voulait laisser les anciens nazis tranquilles, à condition qu’ils restent discrets."

La France n’était pour autant pas prête à céder, et, le 15 juillet 1960, la RFA accepta de verser 250 millions de Deutsche marks aux "victimes françaises du national-socialisme". Dès lors, Oberg et Knochen profitent d’un geste de "Realpolitik"… et, sans doute aussi, d’une quête d’unité nationale chère au général de Gaulle. "On n’avait pas tellement envie de se replonger dans l’histoire de ces Allemands qui ont travaillé en France, car ils pouvaient parler de la gênante collaboration des élites françaises", souligne Dreyfus.

Moins de trois mois après la libération ordonnée par de Gaulle, ce dernier signait le fameux traité de l’Elysée avec l’Allemagne. Cet accord de coopération économique scellait alors le rapprochement des ennemis héréditaires. Comment "l’homme du 18-Juin" a-t-il pu considérer que la réconciliation justifiait l’absolution d’Oberg et de Knochen ? Le mystère reste entier : les archives de la présidence de Gaulle sont closes.