Etienne Combier
Depuis le début de la semaine, les combats
semblent redoubler dans l’est de l’Ukraine, malgré un cessez le feu. Un
conflit qui n’en finit pas.
Le conflit dans l’est de l’Ukraine se ravive. Alors qu’un cessez le feu fragile issu des accords de Minsk 2 semblait maintenir la situation à peu près sous contrôle, avec quelques à-coups , le conflit entre séparatistes et armée régulière reprend petit à petit. Kiev a recensé 153 attaques contre ses positions jeudi, un record, qui ont tué deux soldats et en ont blessés dix. Les combats ont repris près du port stratégique de Marioupol, où l’artillerie lourde résonne depuis le début de la semaine, bien que le cessez-le-feu des accords de Minsk prévoyait le retrait loin de la ligne de front des canons.
Côté diplomatique, les relations entre l’Ukraine et la Russie ont connu un nouveau regain de tension. Le 13 août, la Russie a ajouté l’Ukraine à sa liste de pays dont elle interdit les importations de nourriture , au même titre que l’Union européenne . Un embargo qui ne va pas améliorer la situation économique de l’Ukraine, dont le Produit Intérieur Brut (PIB) a chuté de 14,7% sur un an au deuxième trimestre Le 12 août, l’Ukraine interdisait officiellement 38 livres russes au motif qu’ils appellent « à la haine et au séparatisme », dont certains de l’écrivain Edouard Limonov.
Des accords de paix au point mort
Pour expliquer ce regain de tension, plusieurs hypothèses sont avancées. « Les accords de Minsk 2 sont au point mort, les groupes de travail qui cherchent à faire avancer la mise en œuvre n’arrive plus à travailler », estime Igor Delanoë, enseignant en histoire au collège français de Saint-Petersbourg. Signés le 12 février dernier sous l'égide de la France, la Russie et de l'Allemagne, les accords de Minsk 2 ont établi un fragile cessez le feu . Au cœur de ces accords se trouve la question de la décentralisation. Selon les termes de l'accord, Kiev doit organiser des élections dans l’est du pays. En échange de cette autonomie, Kiev retrouverait le contrôle de sa frontière est avec la Russie, qui est aujourd’hui le point de passage des soutiens des forces russes aux séparatistes.
Mais cette séquence – élections locales puis contrôle de la frontière – ne satisfait pas le président ukrainien. « Petro Porochenko veut changer l’ordre de la séquence [en contrôlant d'abord la frontière, NDLR], mais il est coincé par ces accords. De l’autre côté, ses alliés du Pravy Sektor refusent une décentralisation », explique Igor Delanoë. La cour constitutionnelle ukrainienne a pourtant validé le 31 juillet le principe d’une décentralisation . De nouvelles négociations sont prévues à la fin de l’année pour évaluer les engagements pris de chaque côté. Kiev cherche à afficher sa présence dans l’Est, afin de marquer son territoire et se montrer en position de force.
Arriver en position de force
Cette même logique de pouvoir de négociations prévaut également côté séparatiste. Soutenus militairement et économiquement par la Russie, « les séparatistes aiment à préparer les discussions les armes à la main », affirme Cyrille Bret, professeur à Sciences Po Paris. Selon lui, les séparatistes ont la ville de Marioupol en ligne de mire. « Une attaque sur Marioupol permettrait d’aborder en position de force les négociations de fin 2015 », explique-t-il à Libération . D'autres analystes estiment cependant qu’un éventuel assaut sur Marioupol par les forces russes et séparatistes marquerait l'arrêt total des négociations, car cela entraînerait le conflit dans une tout autre dimension : Marioupol est une ville de 250 000 habitants solidement défendue.
De plus, la période estivale, durant laquelle l’attention des Occidentaux se relâche, est propice à une attaque rapide. « Si les offensives reprennent, je vois mal [les séparatistes] restituer les lieux conquis. Ce qu’ils prennent, ils le gardent », affirme de son côté Igor Delanoë.
Une économie sinistrée
A cela s’ajoute une situation économique catastrophique. L’Ukraine, au bord du défaut de paiement , a obtenu une aide du Fonds monétaire international (FMI) de 1,7 milliard de dollars le 31 juillet , presque un an jour pour jour après la précédente aide de 1,4 milliard de dollars .
« Les prévisions pour 2015 sont alarmantes, avec une inflation de 46% et des salaires qui ont chuté de 24 % sur les six premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2014 », s’inquiète Igor Delanoë. Dans cette situation, « la guerre reste un dérivatif » explique le chercheur. D'autres analystes estiment cependant que la reprise du conflit aggraverait encore la situation économique et que Kiev est conscient des risques que cela entraînerait auprès de son opinion publique.
Du point de vue diplomatique, la guerre permet cependant de déclencher ces aides internationales, qui permettent à l’Union européenne (UE) et aux Etats-Unis de continuer à soutenir le régime de Kiev. « Pour l’UE, qui aide l’Ukraine financièrement et diplomatiquement, le partenariat oriental et l’aide du FMI servent à maintenir la crédibilité de l’Etat ukrainien, mise à mal. » estime Cyrille Bret, contacté par les Echos. Mais ce soutien reste financier, l’UE ayant refusé de s’engager sur le plan sécuritaire pour ne pas envenimer ses relations avec Moscou
Un conflit « pourri »
Plus globalement, il semble que les intérêts des parties en présence soient dans une guerre longue. « Ce conflit “pourri” est là pour dix ans », lâche Cyrille Bret. « La Russie a intérêt à instaurer zone pourrie pour montrer le manque de contrôle de Kiev. Pour Kiev, qui n’est pas capable de l’emporter militairement, il s’agit de conserver des zones de conflits latents pour pouvoir justifier son propre pouvoir », décrit-il. Et d’affirmer : « Aucun des ingrédients pour un vrai cessez le feu n'est présent. »
Pour Igor Delanoë, Petro Porochenko reste devant un choix cornélien. « Soit Porochenko décide de se rapprocher de l’UE, mais il perdra l’Est du pays. Soit il veut garder son intégrité territoriale, mais il ne peut pas concilier ça avec un rapprochement avec l’UE », explique le spécialiste des questions de sécurité et de défense russe. Ce choix exclusif entre l’Union européenne et la Russie est similaire à celui qui a provoqué la crise politique à Kiev en novembre 2013 . Si une troisième voie reste théoriquement possible, avec des consultations UE-Russie-Ukraine sur le devenir de la région du Donbass, les volontés actuelles de Petro Porochenko sont bien différentes... et peut être aussi celles de Vladimir Poutine, qui ne s’est plus exprimé sur la crise ukainienne depuis des semaines.
En voulant mettre la pression sur les rebelles et ne pas appliquer une décentralisation, le président ukrainien ferait un pari. « Porochenko table peut-être sur le fait qu’une éventuelle reprise des hostilités provoquerait l’aide occidentale et des sanctions supplémentaires contre la Russie qui feraient changer le rapport de force », explique Igor Delanoë. « Mais il joue gros. Après Debaltsevo , une nouvelle défaite de l’armée ukrainienne, par exemple à Marioupol, pourrait lui coûter son régime. »
De l'autre côté, Moscou a également un rôle à jouer dans l'apaisement du conflit. De fait, il est difficile pour Kiev de négocier lorsque ses représentants sont attaqués régulièrement
Le conflit dans l’est de l’Ukraine se ravive. Alors qu’un cessez le feu fragile issu des accords de Minsk 2 semblait maintenir la situation à peu près sous contrôle, avec quelques à-coups , le conflit entre séparatistes et armée régulière reprend petit à petit. Kiev a recensé 153 attaques contre ses positions jeudi, un record, qui ont tué deux soldats et en ont blessés dix. Les combats ont repris près du port stratégique de Marioupol, où l’artillerie lourde résonne depuis le début de la semaine, bien que le cessez-le-feu des accords de Minsk prévoyait le retrait loin de la ligne de front des canons.
Côté diplomatique, les relations entre l’Ukraine et la Russie ont connu un nouveau regain de tension. Le 13 août, la Russie a ajouté l’Ukraine à sa liste de pays dont elle interdit les importations de nourriture , au même titre que l’Union européenne . Un embargo qui ne va pas améliorer la situation économique de l’Ukraine, dont le Produit Intérieur Brut (PIB) a chuté de 14,7% sur un an au deuxième trimestre Le 12 août, l’Ukraine interdisait officiellement 38 livres russes au motif qu’ils appellent « à la haine et au séparatisme », dont certains de l’écrivain Edouard Limonov.
Des accords de paix au point mort
Pour expliquer ce regain de tension, plusieurs hypothèses sont avancées. « Les accords de Minsk 2 sont au point mort, les groupes de travail qui cherchent à faire avancer la mise en œuvre n’arrive plus à travailler », estime Igor Delanoë, enseignant en histoire au collège français de Saint-Petersbourg. Signés le 12 février dernier sous l'égide de la France, la Russie et de l'Allemagne, les accords de Minsk 2 ont établi un fragile cessez le feu . Au cœur de ces accords se trouve la question de la décentralisation. Selon les termes de l'accord, Kiev doit organiser des élections dans l’est du pays. En échange de cette autonomie, Kiev retrouverait le contrôle de sa frontière est avec la Russie, qui est aujourd’hui le point de passage des soutiens des forces russes aux séparatistes.
Mais cette séquence – élections locales puis contrôle de la frontière – ne satisfait pas le président ukrainien. « Petro Porochenko veut changer l’ordre de la séquence [en contrôlant d'abord la frontière, NDLR], mais il est coincé par ces accords. De l’autre côté, ses alliés du Pravy Sektor refusent une décentralisation », explique Igor Delanoë. La cour constitutionnelle ukrainienne a pourtant validé le 31 juillet le principe d’une décentralisation . De nouvelles négociations sont prévues à la fin de l’année pour évaluer les engagements pris de chaque côté. Kiev cherche à afficher sa présence dans l’Est, afin de marquer son territoire et se montrer en position de force.
Arriver en position de force
Cette même logique de pouvoir de négociations prévaut également côté séparatiste. Soutenus militairement et économiquement par la Russie, « les séparatistes aiment à préparer les discussions les armes à la main », affirme Cyrille Bret, professeur à Sciences Po Paris. Selon lui, les séparatistes ont la ville de Marioupol en ligne de mire. « Une attaque sur Marioupol permettrait d’aborder en position de force les négociations de fin 2015 », explique-t-il à Libération . D'autres analystes estiment cependant qu’un éventuel assaut sur Marioupol par les forces russes et séparatistes marquerait l'arrêt total des négociations, car cela entraînerait le conflit dans une tout autre dimension : Marioupol est une ville de 250 000 habitants solidement défendue.
De plus, la période estivale, durant laquelle l’attention des Occidentaux se relâche, est propice à une attaque rapide. « Si les offensives reprennent, je vois mal [les séparatistes] restituer les lieux conquis. Ce qu’ils prennent, ils le gardent », affirme de son côté Igor Delanoë.
Une économie sinistrée
A cela s’ajoute une situation économique catastrophique. L’Ukraine, au bord du défaut de paiement , a obtenu une aide du Fonds monétaire international (FMI) de 1,7 milliard de dollars le 31 juillet , presque un an jour pour jour après la précédente aide de 1,4 milliard de dollars .
« Les prévisions pour 2015 sont alarmantes, avec une inflation de 46% et des salaires qui ont chuté de 24 % sur les six premiers mois de l’année par rapport à la même période en 2014 », s’inquiète Igor Delanoë. Dans cette situation, « la guerre reste un dérivatif » explique le chercheur. D'autres analystes estiment cependant que la reprise du conflit aggraverait encore la situation économique et que Kiev est conscient des risques que cela entraînerait auprès de son opinion publique.
Du point de vue diplomatique, la guerre permet cependant de déclencher ces aides internationales, qui permettent à l’Union européenne (UE) et aux Etats-Unis de continuer à soutenir le régime de Kiev. « Pour l’UE, qui aide l’Ukraine financièrement et diplomatiquement, le partenariat oriental et l’aide du FMI servent à maintenir la crédibilité de l’Etat ukrainien, mise à mal. » estime Cyrille Bret, contacté par les Echos. Mais ce soutien reste financier, l’UE ayant refusé de s’engager sur le plan sécuritaire pour ne pas envenimer ses relations avec Moscou
Un conflit « pourri »
Plus globalement, il semble que les intérêts des parties en présence soient dans une guerre longue. « Ce conflit “pourri” est là pour dix ans », lâche Cyrille Bret. « La Russie a intérêt à instaurer zone pourrie pour montrer le manque de contrôle de Kiev. Pour Kiev, qui n’est pas capable de l’emporter militairement, il s’agit de conserver des zones de conflits latents pour pouvoir justifier son propre pouvoir », décrit-il. Et d’affirmer : « Aucun des ingrédients pour un vrai cessez le feu n'est présent. »
Pour Igor Delanoë, Petro Porochenko reste devant un choix cornélien. « Soit Porochenko décide de se rapprocher de l’UE, mais il perdra l’Est du pays. Soit il veut garder son intégrité territoriale, mais il ne peut pas concilier ça avec un rapprochement avec l’UE », explique le spécialiste des questions de sécurité et de défense russe. Ce choix exclusif entre l’Union européenne et la Russie est similaire à celui qui a provoqué la crise politique à Kiev en novembre 2013 . Si une troisième voie reste théoriquement possible, avec des consultations UE-Russie-Ukraine sur le devenir de la région du Donbass, les volontés actuelles de Petro Porochenko sont bien différentes... et peut être aussi celles de Vladimir Poutine, qui ne s’est plus exprimé sur la crise ukainienne depuis des semaines.
En voulant mettre la pression sur les rebelles et ne pas appliquer une décentralisation, le président ukrainien ferait un pari. « Porochenko table peut-être sur le fait qu’une éventuelle reprise des hostilités provoquerait l’aide occidentale et des sanctions supplémentaires contre la Russie qui feraient changer le rapport de force », explique Igor Delanoë. « Mais il joue gros. Après Debaltsevo , une nouvelle défaite de l’armée ukrainienne, par exemple à Marioupol, pourrait lui coûter son régime. »
De l'autre côté, Moscou a également un rôle à jouer dans l'apaisement du conflit. De fait, il est difficile pour Kiev de négocier lorsque ses représentants sont attaqués régulièrement
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