C'est ce qu'indique le dernier rapport du CERMF (Centre d'étude et de réflexion sur le monde francophone) au sujet de l’aide française au développement, basé sur les dernières données détaillées disponibles. Le CERMF est le seul organisme qui analyse l’aide française au développement d’un point de vue francophone.
En
2016, moins d’un euro sur six versés par la France a été affecté au
vaste monde francophone. Une situation qui traduit un manque de vison à
long terme, et qui s’oppose à la politique du Royaume-Uni qui privilégie
toujours son espace géolinguistique. Et les perspectives sont peu
encourageantes.
Selon
les dernières statistiques détaillées publiées par l’OCDE, la France
n’a consacré que 32 % de ses aides relevant de la catégorie dite de
l’Aide publique au développement (APD) à des pays francophones en 2016.
En y rajoutant sa lourde contribution nette au budget de l’Union
européenne (UE), selon les données fournies par le Sénat, la part du
monde francophone (en l’occurrence l’Afrique francophone, Haïti et le
Vanuatu) s’établit à environ 15 % du volume global des aides au
développement versées par l’Hexagone à des pays étrangers.
Une politique peu francophonophile
Concernant
la partie relative à l’APD (qui se rapporte aux pays à revenu faible ou
intermédiaire, et non membres de l’UE), et comme à peu près comme
chaque année, seuls deux des dix premiers pays bénéficiaires, aides
bilatérales et multilatérales confondues, étaient des pays
francophones : le Maroc (2e) et le Cameroun (4e). Les autres principaux
bénéficiaires étaient dans l’ordre : la Turquie (1e), la Jordanie (3e),
l’Égypte (5e), l’Inde, la Colombie, le Mexique, l’Éthiopie et le Brésil.
Pour ce qui est des aides bilatérales,
qui représentent environ 60% de l’APD française (58% en 2016), celles-ci
se sont à nouveau principalement orientées vers des pays non
francophones. En effet, seuls trois des dix premiers pays récipiendaires
étaient francophones, à savoir le Maroc (1e), le Cameroun (3e) et
l’Algérie (10e, et qui refait son apparition dans les 20 premiers du
classement). Les autres principaux pays bénéficiaires étant la Jordanie
(2e), l’Égypte (4e), la Colombie, le Mexique, l’Inde, le Brésil et la
Turquie (9e). Cinquième en 2016, la Colombie s’était classée première en
2015, seconde en 2014 et quatrième en 2013. Pour sa part, le Brésil,
pourtant déjà assez développé et concurrençant même la France dans
certains domaines, arrivait en quatrième position des pays bénéficiaires
de l’aide bilatérale française en 2014 et en 2015, et en deuxième
position en 2012.
Au total, environ 32 % de l’APD
française a ainsi été affectée aux pays du monde francophone, soit 2,7
milliards d’euros sur une enveloppe globale de 8,5 Mds (chiffres hors
Wallis-et-Futuna, archipel qui ne peut naturellement être pris en compte
puisqu’il s’agit d’un territoire français). Ce taux est approximatif, à
quelques décimales près, puisqu’il inclut quelques éléments n’ayant pas
fait l’objet d’une répartition précise par pays, et qui concernent
notamment des aides répertoriées comme « régionales », certains frais
administratifs, ainsi qu’une partie des coûts liés aux étudiants et aux
demandeurs d’asile présents sur le territoire français.
Cette part se retrouve également au
niveau du groupe AFD, qui gère environ la moitié de l’APD bilatérale
française, et dont 32 %, approximativement, du volume global des
autorisations de financement accordées à des pays étrangers ont été
consacrés au monde francophone. Comme chaque année ou presque, seuls
trois des dix principaux pays bénéficiaires étaient francophones, à
savoir : la Côte d’Ivoire (2e), le Maroc (6e) et le Sénégal (8e). Il est
d’ailleurs à noter que le Brésil se classe deuxième des pays
bénéficiaires sur l’ensemble de la période quinquennale 2012-2016, et
que la part des aides non remboursables (subventions, contrats de
désendettement, bonification de prêts…) n’a représenté qu’environ 35 %
des financements accordés aux pays francophones.
Mais aux aides relevant de l’APD, il
convient naturellement d’ajouter celles versées annuellement à un
certain nombre de pays européens membres de l’Union européenne, et
essentiellement situés en Europe orientale. Ceci est d’autant plus
justifié que ces aides se caractérisent par leur totale gratuité, étant
ni remboursables ni assorties de conditions au profit de l’économie
française. Et ce, contrairement aux aides relevant de l’APD dont le
tiers, environ, est remboursable (le quart environ pour les pays
francophones), et qui sont parfois assorties de certaines conditions
plus ou moins indirectes.
Or,
la contribution nette de la France au budget de l’UE s’est élevée à non
moins de 9,216 milliards d’euros en 2016, qui viennent donc s’ajouter
aux 8,518 Mds de l’APD. Ainsi, la part du monde francophone s’est
établie à environ 15,4 % du total des aides allouées par la France à des
pays tiers, soit seulement 1 euro sur 6,5 euros versés. Cette part est
même en baisse par rapport aux deux années précédentes, puisqu’elle
s’établissait à environ 18,1 % en 2015 et 17,5 % en 2014. Par ailleurs,
il est à noter que le Maroc, premier pays francophone bénéficiaire,
arrive alors à la onzième place d’un classement global où il est l’un
des deux seuls pays francophones (avec le Cameroun) à faire partie des
vingt premiers bénéficiaires de l’aide française au développement.
Le Royaume-Uni, un modèle d’intelligence stratégique
Contrairement
à la France, assez irrégulière, le Royaume-Uni a constamment fait
preuve d’une vision à long terme depuis les années 1600 (à une époque où
il ne s’agissait encore que du royaume d’Angleterre). Ainsi, il
continue aujourd’hui à consacrer une partie importante de ses efforts
aux pays appartenant à son espace linguistique. En 2016, ces derniers
ont représenté sept des vingt premiers pays bénéficiaires de l’ensemble
des aides britanniques au développement (APD et contribution nette au
budget de l’UE), contre seulement deux pays francophones parmi les vingt
premiers bénéficiaires de l’aide française. Et concernant celles
relevant de la catégorie de l’APD, les pays anglophones ont représenté
six des dix premiers pays récipiendaires du total de la catégorie, mais
surtout huit des dix premiers récipiendaires de l’aide bilatérale, comme
presque chaque année (et 16 des 20 premiers !). Cette écrasante
prépondérance au niveau de l’aide bilatérale démontre bien que la
priorité donnée aux pays anglophones est avant tout le résultat d’une
volonté politique bien affirmée, et qu’elle n’est pas simplement due à
leur nombre.
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