Rédigé par Un moine de Triors
La Pentecôte est un événement
capital qui marque l’intervention directe du Saint-Esprit dans
l’histoire. Analogiquement et toutes proportions gardées, on peut dire
que l’Esprit Saint s’empare de l’Église, comme le Verbe de Dieu s’est
emparé de l’humanité du Christ. L’effusion de l’Esprit-Saint, âme
incréée de l’Église, est le signe de l’ouverture des temps messianiques
annoncée par le Prophète Joël. La Pentecôte constitue le dernier acte de
fondation de l’Église et sa manifestation devant le monde. Ce jour-là,
l’Esprit lui-même vient apposer le sceau d’authenticité sur la
communauté réunie au nom de Jésus. Il témoigne de Jésus et atteste la
continuité entre la vie du Christ et l’Église et nous permet d’affirmer
que nous possédons l’enseignement authentique du Christ dans la
prédication des Apôtres et que cette prédication n’est point la création
de la communauté ecclésiale primitive.
La venue du Saint Esprit nous est
signifiée par une double image : celle du feu et celle du vent violent.
C’est cette dernière que retient le Pape. L’image du vent, remplie de
contraste, apporte l’idée de changements profonds et utiles, même si
parfois il dérange nos habitudes. Appliquée au Saint Esprit, cette image
nous indique que l’Esprit Saint est partout présent, que ce soit dans
le labeur et la fatigue, la douleur et les pleurs, le repos et le
réconfort. Il est partout présent et, comme le vent, il change tout sur
son passage, comme le note si bien la séquence de la messe de la
Pentecôte. Il change mais ne détruit pas, ou du moins s’il détruit,
c’est pour transformer. Il change les situations, les cœurs et les
événements.
Il change les cœurs, comme le Seigneur
l’avait lui-même annoncé le jour de son Ascension. Il change les cœurs
pour faire de ses disciples des témoins. On sait qu’en grec le mot
témoin est aussi celui de martyr. Pour être martyr, il faut enlever un
obstacle et non des moindres : celui de la peur. Avant la Pentecôte, les
Apôtres étaient des peureux et des chétifs. On l’a si bien vu durant la
Passion du Christ. Peureux et titubants, ils sont devenus sous
l’influence de l’Esprit des marins aguerris et courageux, pour annoncer
jusqu’au bout du monde le salut apporté par Jésus de Nazareth, unique
Sauveur. Aujourd’hui aussi, le Saint Esprit, si nous l’invoquons avec
piété, nous libérera de nos peurs et angoisses. Et Dieu sait si elles
sont nombreuses de nos jours, entraînant des réticences à la grâce, même
s’il demeure vrai que seul Dieu juge les cœurs. Comme à son habitude,
le Pape a des images audacieuses pour marquer ce changement des cœurs
opéré par l’Esprit Saint en chacun de nous. Vainquant toutes les
résistances de nos cœurs trop étriqués, « il pousse au service celui qui se vautre dans le confort ».
Notons que ce ne seront jamais les structures terrestres, si bonnes et
si nécessaires qu’elles soient, qui changeront les cœurs. Seul le Saint
Esprit peut le faire. La transformation qu’il apporte demeure
entièrement spirituelle, car il ne révolutionne pas, mais change les
cœurs. Il change en libérant intérieurement et en nous faisant marcher
avec confiance vers le ciel, sans jamais nous lasser de la vie. Il nous
change en nous transformant de pécheur en pardonné. De là naît la joie
du chrétien, du petit enfant qui se sait, malgré ses frasques, pardonné
par son père, mais aussi par sa mère. Il change les cœurs, mais aussi
les événements et les communautés. On l’oublie trop de nos jours. Prions
Marie pour qu’elle hâte son triomphe qui nous apportera la nouvelle
Pentecôte prophétisée par Marthe Robin et saint Jean XXIII.
MESSE DE LA SOLENNITÉ DE PENTECÔTE
HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS
Basilique vaticane
Dimanche 20 mai 2018
Dans la première Lecture de la liturgie
d’aujourd’hui, la venue de l’Esprit Saint à la Pentecôte est comparée à «
un violent coup de vent » (Ac 2, 2). Que nous dit cette image ? Le coup
de vent violent fait penser à une grande force, mais qui n’est pas une
fin en soi : c’est une force qui change la réalité. Le vent, en effet,
apporte du changement : des courants chauds quand il fait froid, des
courants frais quand il fait chaud, la pluie quand il fait sec…Ainsi
fait-il. L’Esprit Saint aussi, à un tout autre niveau, fait de même : il
est la force divine qui change, qui change le monde. La Séquence nous
l’a rappelé : l’Esprit est « dans le labeur, le repos, dans les pleurs,
le réconfort » ; et nous le supplions ainsi : « Lave ce qui est souillé,
baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé ». Il entre dans les
situations et les transforme ; il change les cœurs et il change les
événements.
Il change les cœurs. Jésus avait dit à
ses Apôtres : « Vous allez recevoir une force quand le Saint Esprit
viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins » (Ac 1, 8). Et il en
fut exactement ainsi : ces disciples, auparavant craintifs, confinés
dans une chambre fermée même après la résurrection du Maître, sont
transformés par l’Esprit et, comme Jésus l’annonce dans l’Évangile de ce
jour, lui rendent témoignage (cf. Jn 15, 27). Titubants, ils sont
devenus courageux et, en partant de Jérusalem, ils vont aux confins du
monde. Craintifs quand Jésus était parmi eux, ils sont devenus audacieux
sans lui, car l’Esprit a changé leurs cœurs.
L’Esprit libère les esprits paralysés
par la peur. Il vainc les résistances. À celui qui se contente de
demi-mesures, il donne des élans de don. Il dilate les cœurs étriqués.
Il pousse au service celui qui se vautre dans le confort. Il fait
marcher celui qui croit être arrivé. Il fait rêver celui qui est gagné
par la tiédeur. Voilà le changement du cœur. Beaucoup promettent des
saisons de changement, de nouveaux départs, de prodigieux
renouvellements, mais l’expérience enseigne qu’aucune tentative
terrestre de changer les choses ne satisfait pleinement le cœur de
l’homme. Le changement de l’Esprit est différent : il ne révolutionne
pas la vie autour de nous, mais il change notre cœur ; il ne nous libère
pas d’un seul coup des problèmes, mais il nous
libère intérieurement pour les affronter ; il ne nous donne pas tout
immédiatement, mais il nous fait marcher avec confiance, sans jamais
nous lasser de la vie. L’Esprit garde le cœur jeune –c’est lui qui en
renouvelle la jeunesse. La jeunesse, malgré tous les efforts pour la
prolonger, passe tôt ou tard ; c’est l’Esprit qui, au contraire,
prémunit contre l’unique vieillissement malsain, le vieillissement
intérieur. Comment procède-t-il ? En renouvelant le cœur, en le
transformant de pécheur en pardonné. Voilà le grand changement : de
coupables, il nous fait devenir des justes et ainsi tout change, car
esclaves du péché nous devenons libres, serviteurs nous devenons des
fils, marginalisés nous devenons des personnes importantes, déçus nous
devenons des personnes remplies d’espérance. Ainsi, l’Esprit Saint fait
renaître la joie, il fait ainsi fleurir la paix dans le cœur.
Aujourd’hui donc, nous apprenons ce
qu’il faut faire quand nous avons besoin d’un vrai changement. Qui
d’entre nous n’en a pas besoin ? Surtout quand nous sommes à terre,
quand nous peinons sous le poids de la vie, quand nos faiblesses nous
oppriment, quand aller de l’avant est difficile et aimer semble
impossible. Alors, il nous faudrait un ‘‘fortifiant’’ efficace : c’est
lui, la force de Dieu. C’est lui qui, comme nous le professons dans le
‘‘Credo’’, « donne la vie ». Comme il nous ferait du bien de prendre
chaque jour ce fortifiant de vie ! Dire, au réveil : « Viens, Esprit
Saint, viens dans mon cœur, viens dans ma journée ».
L’Esprit, après les cœurs, change les
événements. Comme le vent souffle partout, de même il atteint également
les situations les plus impensables. Dans les Actes des Apôtres – qui
est un livre tout à découvrir, où l’Esprit est protagoniste – nous
voyons un dynamisme continuel, riche de surprises. Quand les disciples
ne s’y attendent pas, l’Esprit les envoie vers les païens. Il ouvre des
chemins nouveaux, comme dans l’épisode du diacre Philippe. L’Esprit le
pousse sur une route déserte, conduisant de Jérusalem à Gaza – comme ce
nom sonne douloureusement aujourd’hui ! Que l’Esprit change les cœurs
ainsi que les événements et apporte la paix en Terre sainte ! – Sur
cette route, Philippe prêche au fonctionnaire éthiopien et le baptise ;
ensuite l’Esprit le conduit à Ashdod, puis à Césarée : toujours dans de
nouvelles situations, pour qu’il diffuse la nouveauté de Dieu. Il y a,
en outre, Paul, qui « contraint par l’Esprit » (Ac 20, 22) voyage
jusqu’aux confins lointains, en portant l’Évangile à des populations
qu’il n’avait jamais vues. Quand il y a l’Esprit, il se passe toujours
quelque chose, quand il souffle il n’y a pas d’accalmie, jamais !
Quand la vie de nos communautés traverse
des périodes ‘‘d’essoufflement’’, où on préfère la quiétude de la
maison à la nouveauté de Dieu, c’est un mauvais signe. Cela veut dire
qu’on cherche un refuge contre le vent de l’Esprit. Quand on vit pour
l’autoconservation et qu’on ne va pas vers ceux qui sont loin, ce n’est
pas bon signe. L’Esprit souffle, mais nous baissons pavillon. Pourtant
tant de fois nous l’avons vu faire des merveilles. Souvent, précisément
dans les moments les plus obscurs, l’Esprit a suscité la sainteté la
plus lumineuse ! Parce qu’il est l’âme de l’Eglise, il la ranime
toujours par l’espérance, la comble de joie, la féconde de nouveautés,
lui donne des germes de vie. C’est comme quand, dans une famille, naît
un enfant : il bouleverse les horaires, fait perdre le sommeil, mais il
apporte une joie qui renouvelle la vie, en la faisant progresser, en la
dilatant dans l’amour. Voilà, l’Esprit apporte une ‘‘saveur d’enfance’’
dans l’Eglise ! Il réalise des renaissances continuelles. Il ravive
l’amour des débuts. L’Esprit rappelle à l’Église que, malgré ses siècles
d’histoire, elle a toujours vingt ans, la jeune Épouse dont le Seigneur
est éperdument amoureux. Ne nous lassons pas alors d’inviter l’Esprit
dans nos milieux, de l’invoquer avant nos activités : « Viens, Esprit
Saint ! ».
Il apportera sa force de changement, une
force unique qui est, pour ainsi dire, en même
temps centripète et centrifuge. Elle est centripète, c’est-à-dire
qu’elle pousse vers le centre, car elle agit dans l’intime du cœur. Elle
apporte l’unité dans ce qui est fragmentaire, la paix dans les
afflictions, le courage dans les tentations. Paul le rappelle dans la
Deuxième Lecture, en écrivant que le fruit de l’Esprit est joie, paix,
fidélité, maîtrise de soi (cf. Ga 5, 22). L’Esprit donne l’intimité avec
Dieu, la force intérieure pour aller de l’avant. Mais en même temps, il
est une force centrifuge, c’est-à-dire qu’il pousse vers l’extérieur.
Celui qui conduit vers le centre est le même qui envoie vers la
périphérie, vers toute périphérie humaine ; celui qui nous révèle Dieu
nous pousse vers nos frères. Il envoie, il fait de nous des témoins et
pour cela il répand – écrit encore Paul - amour, bienveillance, bonté,
douceur. Seulement dans l’Esprit Consolateur, nous disons des paroles de
vie et encourageons vraiment les autres. Celui qui vit selon l’Esprit
est dans cette tension spirituelle : il est tendu à la fois vers
Dieu et vers le monde.
Demandons-lui d’être ainsi. Esprit
Saint, vent impétueux de Dieu, souffle sur nous. Souffle dans nos cœurs
et fais-nous respirer la tendresse du Père. Souffle sur l’Église et
pousse-la vers les confins lointains afin que, guidée par toi, elle
n’apporte rien d’autre que toi. Souffle sur le monde la tiédeur délicate
de la paix et la fraicheur rénovatrice de l’espérance. Viens, Esprit
Saint, change-nous intérieurement et renouvelle la face de la terre !
Amen.