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mercredi 6 juin 2018

«L'Italie n'est que le début, un séisme attend l'Europe»

Steve BannonL’ex-mentor de Donald Trump vient prodiguer ses conseils au nouveau pouvoir populiste italien. Rencontre à Rome.

  «Voilà. Rome est maintenant le centre de la politique mondiale. Ce qui se passe ici est extraordinaire. Il n’y a jamais eu de véritable gouvernement populiste à l’époque moderne. Maintenant, il y en a un. Donc je veux être ici, je veux en faire partie.» Sur l’une des plus célèbres terrasses de Rome, au coucher du soleil, Steve Bannon, 64 ans, l’obscur (ex-)Raspoutine de Donald Trump, le chevalier noir du populisme mondial, est entouré de ses fidèles. Il porte une chemise et un bermuda colonial. Sur la table, le «Financial Times» et un pin’s: «Rassemblement national». C’est le nouveau mouvement de Marine Le Pen, version restaurée du Front national. «J’ai eu le premier pin’s.» Et qui le lui a donné? «Louis Aliot (ndlr: le vice-président du jusqu’ici Front national), il est aussi à Rome, c’est un ami.»

Après la formation du plus grand gouvernement populiste et – du moins partiellement – de la droite radicale en Europe, il semble que toute la nouvelle droite souverainiste se retrouve à Rome. «Je suis venu ici la première fois pour les élections», raconte Steve Bannon après le serment du nouveau président du Conseil, Giuseppe Conte. «J’ai vu l’énergie qu’il y avait, j’ai immédiatement imaginé un gouvernement Ligue-Mouvement 5 étoiles (M5S), et c’est ce qui s’est produit. C’était important de dépasser les concepts de droite et de gauche.»
On a dit que vous avez contribué à convaincre Salvini de rejoindre le M5S. Est-ce vrai?
Je n’ai pas été décisif, j’ai simplement exhorté Salvini et les siens à essayer de monter ce gouvernement. Je n’ai donné que des conseils, qui ont ensuite été entendus. Ce qui est décisif, c’est le vote des Italiens. Ils ont donné un coup au monstre européen, aux capitales étrangères, aux médias d’opposition étrangers. Ce qui m’a impressionné en Italie, c’est qu’il y a deux jeunes leaders, Di Maio et Salvini, qui, en cette époque si narcissique, ont renoncé à être premier ministre pour poursuivre un objectif plus élevé. On voulait leur imposer un énième gouvernement technocratique, mais la majorité a voté contre l’élite. Ce sera une bataille longue et difficile, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles feront des erreurs, mais nous n’en sommes qu’au début. Les médias de l’opposition étrangère peignent Di Maio et Salvini comme des débutants. En réalité, ce sont des gens très fins, qui ont créé un consensus à partir de rien en utilisant le Net. Les Italiens devraient en être fiers.
Vous n’avez donc pas convaincu Salvini de s’allier avec le M5S, comme on l’a dit?
Non, je n’avais pas à convaincre qui que ce soit, parce que c’était une conclusion logique. Ces deux garçons sont héroïques. Et l’autre héros, c’est Berlusconi, qui s’est écarté (Bannon se rend compte qu’il a perdu son Blackberry, panique). Et… où en étions-nous?
Salvini et la Ligue…
Bien sûr, j’ai eu une conversation avec les garçons.
Et puis?
Ils ont fait ça tout seuls.
À quelle fréquence vous voyez-vous avec Salvini?
Je ne veux pas en parler.
Mais quand l’avez-vous rencontré?
Après les élections. Mais je ne veux pas en parler.
Et avec le Mouvement 5 étoiles?
Oui, j’en ai rencontré quelques-uns. Je ne peux pas vous en dire plus. Mais oui, je les ai rencontrés.
Les M5S sont-ils différents de la Ligue?
Ils sont semblables aux socialistes de Sanders en Amérique, «anti-establishment» et favorables à la transparence. Ils sont alliés avec le «Trump» de l’Italie. C’est pour cela que quelque chose d’héroïque s’est passé en Italie. Ils s’organisent, à l’instar du Tea Party, ils partent de zéro, sans argent.
Selon vous, que va-t-il se passer en Europe avec le gouvernement Conte?
Vous le verrez, il va y avoir un tremblement de terre: ils ont peur de l’Italie. On n’imagine pas tout ce que M5S et la Ligue peuvent faire ensemble pour les Italiens. Le «Financial Times» vous compare aux barbares, les Allemands vous ont traités de mendiants, Oettinger (ndlr: le commissaire européen au budget) a dit que les marchés vous apprendront à voter. Mais qui sème le vent récolte la tempête! L’Italie et la Hongrie, lors des dernières élections, ont envoyé un message clair, y compris à l’attention des migrants: c’est terminé. Tout comme sont finis les diktats de Bruxelles et le fascisme du «spread» (ndlr: les exigences des milieux financiers). Et les Italiens devront décider de l’avenir de l’euro. Bientôt, vous aurez une confédération d’États libres, plus cette Union européenne.
Mais sur la «flat tax», l’impôt forfaitaire, vous êtes en désaccord avec Salvini?

Mais j’aime l’impôt forfaitaire!

Mais aux États-Unis, vous défendez une taxe de 44% pour les super-riches…

Vous faites référence à une autre affaire, liée aux États-Unis. Mais avec l’impôt forfaitaire, tout le monde paie. Le modèle d’Armando Siri (ndlr: l’idéologue de la flat tax), auquel adhère aussi le Mouvement 5 étoiles, sera un succès en Italie.

Selon vous, quel élément déclencheur a fait croître le populisme dans le monde?

La crise financière de 2008. La classe moyenne et le commun des mortels ont été massacrés par les impôts et les inégalités ont augmenté. Et ce n’est que le début, vous le verrez très vite. Même George Soros l’a dit l’autre jour: ce sont des temps révolutionnaires. Nous sommes du bon côté de l’histoire. Macron et Merkel tomberont comme des quilles.

Dans quelle mesure la technologie a-t-elle aidé la croissance du populisme?

Beaucoup. Elle a fait voler en éclats le monopole des grandes puissances. Et vous, les médias traditionnels. 

© La Repubblica
Adaptation: Cathy Macherel (24 heures)

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