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jeudi 21 juin 2018

Police médiatique : Georges Orwell n'y avait même pas pensé, Macron va le faire


Extrait d'une tribune de Philippe Lemoine dans le Figarovox, à propos de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information :
Unknown-5"Le concept même de “fake news”, ainsi que l'hystérie autour de ce phénomène, paraît quelque peu douteux. Ce n'est pas, évidemment, que l'on puisse nier que des rumeurs sans fondement et autres fausses informations circulent sur Internet et les réseaux sociaux, mais les médias ont tendance à n'affubler ce label infamant qu'aux fausses informations ou supposées telles qui vont à l'encontre de l'idéologie dominante. Ainsi, quand par exemple Les Inrocks nous expliquent que les immigrés sont plus diplômés que la population française, ce qui est démontrablement faux, on n'entend pas beaucoup les cognoscenti crier à la “fake news”.
Ayant dit cela, on ne peut évidemment qu'être d'accord avec l'idée qu'il faut dans la mesure du possible chercher à réduire la diffusion des informations fausses ou inexactes, du moment que ça s'applique à toutes et pas seulement à celles qui ont l'heur de déplaire aux grands prêtres de l'idéologie dominante. Mais encore faut-il s'assurer que le remède qu'on propose pour y parvenir ne soit pas pire que le mal et on peut hélas craindre que ce soit le problème avec le texte qui vient de sortir de la commission et qui doit être examiné dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale le 7 juin.
Le texte propose notamment de créer une nouvelle procédure qui, en période électorale, permet au juge des référés de faire cesser immédiatement la diffusion de fausses informations “de nature à altérer la sincérité du scrutin” à la demande “du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir”. Une fausse information y est par ailleurs définie comme “toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable”. Une fois saisi, le juge aura quarante-huit heures pour se prononcer.
Le problème est que cette définition est tellement vague qu'on ne sait pas bien ce qui peut tomber sous le coup de cette loi. Après tout, si les gens étaient d'accord sur ce qui constitue des éléments vérifiables de nature à rendre une allégation vraisemblable, ça se saurait. Il est fort probable que, selon le juge qui aura à décider, la décision sera différente. Une loi aussi vague est en effet une invitation à l'arbitraire et, s'il y a une chose dont on peut être certain, c'est que si une loi permet les abus alors il y en aura. De la même façon, la question de savoir si la diffusion d'une information est “de nature à altérer la sincérité du scrutin” n'admet souvent pas une réponse claire, mais il faudra pourtant bien que le juge se prononce.
Pire, il n'aura que quarante-huit heures pour se prononcer, autant dire rien du tout. Quand on sait le nombre de dossiers qui arrivent chaque jour sur le bureau des juges, et la difficulté qu'il y a à déterminer si une information tombe sous le coup de cette loi dans un grand nombre de cas, on peut légitimement craindre que la censure ne s'abatte sur beaucoup d'informations qui, vraies ou fausses, devraient faire l'objet d'un débat et pas d'une ordonnance de justice. C'est d'autant plus vrai que, à en juger par la façon dont la justice française utilise l'arsenal législatif déjà existant, on peut douter que, dans la plupart des cas, le juge des référés se prononcera dans le sens de la liberté d'expression en cas de doute… [...]
Cette proposition de loi accroît également les pouvoirs du CSA, qui pourra désormais refuser une convention à un service de radio ou de télévision si celui-ci “comporte un risque grave d'atteinte à la dignité de la personne humaine, à la liberté et à la propriété d'autrui, au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la protection de l'enfance et de l'adolescence, à la sauvegarde de l'ordre public, aux besoins de la défense nationale et aux intérêts fondamentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions”. Encore une fois, cet article de la proposition de loi est à la fois remarquablement vague et large d'application (donc se prête à beaucoup d'abus), mais pour couronner le tout il pousse même l'absurdité jusqu'à nous expliquer qu'il pourrait être utile d'interdire un service de radio ou de télévision afin de protéger le “caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion”. Même Orwell n'aurait pas osé imaginer une chose pareille dans 1984! On se demande vraiment ce qui peut passer par la tête des parlementaires quand ils votent une telle disposition. [...]"

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