Depuis l’effondrement du Troisième Reich
et la chasse aux nazis aussitôt instaurée par les vainqueurs de
l’heure, nombre de compagnons de route de la première heure du
national-socialisme ont tâché avec plus ou moins de succès de se faire
passer pour des victimes du national-socialisme. Ce fut le cas, entre
autres, du juriste Carl Schmitt, des écrivains Ernst et Georg Jünger et
Ernst von Salomon, des philosophes Martin Heidegger
et Hermann von Keiserling, de Rudolf von Sebottendorf, un des membres
les plus éminents de la Thule-Gesellschaft et auteur du livre Bevor Hitler kam, ainsi que des savants Friedrich Hielscher et Herman Wirth.
D’aucuns de ces personnages, tels Ernst Jünger et son frère Georg, tentèrent de se disculper en prétextant qu’ils avaint appartenus à la Innere Emigration, à l’émigration intérieure. Tous, en tout cas, se dirent avoir été victimes des fanatiques du régime, voire la Gestapo.
Voyons un peu, avant d’aborder le vif de
notre sujet, ce qu’il en fut réellement. En ce qui concerne Ernst
Jünger, bien que Jean- Claude Frère prétendent, dans leur livre Nazisme et sociétés secrètes
(1), que celui-ci fut membre de “Ahnenerbe”, l’institut scientifique de
la S.S., nous savons qu’il fut une des personnalités les plus éminentes
de ce qu’il est convenu d’appeler “la révolution conservatrice”.
Cela n’empêche qu’il parada durant toute l’occupation allemande de
Paris comme officier nazi dans la capitale française. Certes, il fut du
complot du 20 juillet 1944, mais fut le seul conspirateur épargné en
tant que protégé de Hitler et Goering.
Quant à Heidegger,
avant d’être persécuté par quelques fanatiques du régime, il adhéra au
parti national-socialiste et fut le premier recteur nazi de l’Université
de Fribourg-en Brisgau. Avec une dignité admirable et avec un stoïcisme
digne de l’Antique il a subi aussi bien les persécutions des
extrémistes nazis que celles des gauchistes de tout poil, et
actuellement encore, plusieurs années après son décès, il est toujours
la cible de certains de ces messieurs.
On connaît le pamphlet de Ernst von Salomon Der Fragebogen (1951, traduit en français sous le titre Le Questionnaire,
1953) dans lequel il dénonce le caractère odieux des rites de la
“dénazification”. En réalité, il n’adhéra jamais au national-socialisme
auquel il reprochait – tout comme Julius Evola – son caractère démagogique et plébéien.
Ce fut également le cas du comte Hermann
von Keiserling, le fondateur de l’Ecole de la Sagesse, qui salua
l’avènement du national-socialisme comme un bienfait pour le peuple
allemand après l’anarchie de la République de Weimar, après quoi il se
relira de toute activité publique.
Rudolf von Sebottendorf, que l’on peut
considérer comme une des figures clefs, a travers Dietrich Eckart, des
débuts du national-socialisme, eut en effet des ennuis avec le régime la
suite de la publication, en 1933, de son livre Bevor Hitler kam.
Ce livre fut aussitôt interdit et la quasi-totalité des exemplaires
détruits, mais après la débâcle de mai 1945, il le fut également par les
alliés, de telle sorte que cet ouvrage capital pour la genèse du
national-socialisme est actuellement quasi introuvable et n’a jamais été
réédité ni traduit. Quant à son auteur, il quitta l’Allemagne et, selon
des sources incontrôlées, il se serait noyé en 1945 dans le Bosphore.
Le reproche que le régime fit à Bevor Hitler kam
peut se résumer au fait que Sebottendorf aurait “semé” ce que le Führer
n’avait fait que “lever”. Toutefois, comme le fit remarquer René
Alleau, dans son livre Hitler et les sociétés secrêtes (2), “aucun démenti officiel ne fut porté a l’endroit de cette affirmation”.
Friedrich Hielscher est un personnage
particulièrement mystérieux et n’est surtout connu que parce qu’il a
assisté Wolfram Sievers, le secrétaire général de “Ahnenerbe”, durant
ses derniers moments avant que celui-ci ne fût pendu comme criminel de
guerre, le 2 juin 1946 à Landsberg. Hielscher lui-même ne fut pas
inquiété outre mesure par les “dénazificateurs”. On a prétendu qu’il a
été membre de la “Thule-Gesellschaft”, sans que l’on puisse relever son
nom sur la liste des membres de la “Gesellschaft” établie par
Sebottendorf et publie par René Alleau dans le livre que nous venons de
citer.
Ernst Jünger, qui semble l’avoir bien connu, comme le prouve la note qu’il lui consacra le 14 octobre 1943, dans le Journal
qu’il tint durant la guerre à Paris (3) se perd en conjectures à son
suiet. Il écrit notamment: “Il Hielscher a confirmé un soupçon que je
nourris depuis longtemps, celui qu’il a fondé une Eglise. Il se situe
maintenant au-delà de la dogmatique et s’est déjà avancé très loin dans
la liturgie. Il m’a montré une série de chants et un cycle de fêtes:
“l’année païenne”, qui englobe toute une ordonnance de dieux, de
couleurs, de bêtes, de mets, de pierres, de plantes. J’y ai vu que la
consécration de la Lumière se célebre le 2 février…”.
La confrontation de Hielscher avec
Sievers lors des ultimes instants de ce dernier semble vouloir
accréditer la thèse du “Hielscher, fondateur d’Eglise”, tout au moins
s’il faut accorder crédit a ceux qui évoquent le martyre de Wolfram
Sievers. Nous pouvons lire ainsi dans le livre de Jean-Claude Frère que
nous avons déjà cité: “Quand il (Sievers) connut la sentence, il demanda
qu’on acceptât de lui faire la grâce d’être assisté par Hielscher lors
de ses derniers instants. Ce qui lui fut accordé. Et l’on vit alors, au
pied de la potence, ce spectacle admirable et fou de deux hommes se
livrant a des rites inconnus, proférant des paroles incompréhensibles,
inquiétant l’exécuteur des hautes œuvres et l’assistance tout entière.
Puis Hielscher serra Sievers contre lui; le condamné se recula ensuite,
s’inclina encore devant son maître et, tout a fait impassible désormais,
livra son cou au bourreau.
Cette exécution, osons-nous dire, fut un
véritable crime de guerre, un crime lâche et barbare, car nous avons
connu personnellement Wolfram Sievers et feu notre ami, Julien
Bernaerts, qui a logé durant des semaines chez lui peu avant la chute du
Troisième Reich, aurait pu le confiner: Wolfram Sievers était un homme
aussi affable que paisible ‘ne s’intéressant qu’il l’histoire de ses
ancêtres allemands. Cette histoire ou plutôt l’étude de cette histoire
peut se résumer en quelques mots: étude de l’“espace, esprit, mort et
héritage de la branche nordique de la souche indo-germanique”.
C’est dans le sillage de cette étude de
l’histoire de nos ancêtres que nous rencontrerons tout à l’heure Herman
Wirth mais pour l’instant attardons-nous encore un peu à Friedrich
Hielscher. Nous savons que celui-ci est né en 1902 à Plauen et qu’il fit
des études de droit, cependant qu’il évolua au cours des années vingt
dans les milieux allemands d’extrême droite sans se sentir attiré par le
national-socialisme. Il est alors l’auteur de plusieurs essais dont le
livre intitulé Das Reich publié en 1931. C’est aussi l’époque
où il se lia d’amitié avec Wolfram Sievers qui lui fit connaître d’autre
part l’œuvre de Herman Wirth dont tous deux devinrent disciples.
A un certain moment leurs chemins
divergèrent toutefois et tandis que Sievers entra dans les voies du
national-socialisme. Hielscher entra dès 1933 en conflit avec le nouveau
régime. Son livre Das Reich fut interdit et a plus d’une reprise il eut maille à partir avec les autorités en place.
Mais point n’est ici le moment
d’analyser le conflit d’idées qui séparait Hielscher de la pensée
nationale-socialiste. Sachons toutefois qu’il devint la tête pensante
d’un groupe d’opposition au régime que l’on peut appeler le
“Widerstandsgruppe Hielscher”. Tout en demeurant l’ami et le
collaborateur de Sievers à “Ahnenerbe”, Hielscher continua son œuvre de
résistance et y aurait même entraîné Sievers, chose qu’il essaya de
démontrer, mais en vain, au tribunal de Nuremberg pour sauver son ami de
la potence.
Quant a Carl Schmitt, nous savons que
ses détracteu les l’accusent d’avoir participé à la rédaction de lois
nationales-socialistes et il l’a fait incontestablement. Dès 1935, il
devint néanmoins la cible des Juristes inféodés au Parti et en 1936 un
article paru dans Der schwarze Korps, l’organe officiel de la
S.S., l’amena à se retirer complètement de la vie publique. En 1945, il
fut vilipendé comme juriste nazi bien que la commission d’enquête des
Alliés ait conclu ses poursuites par un non-lieu. Interviewé, en 1970,
par Jens Litten, un collaborateur du Deutsches Allgemeines Sonntagblatt,
au sujet de ses activités sous le régime nazi, il déclara notamment:
“j’ai commis un péché et puis fini”. Affirmation semblable condamne, à
nos yeux, un homme, car il faut, nous semble-t-il, pouvoir assumer
pleinement ses actes et ses responsabilités.
Abordons à présent le sujet même de
notre exposé, c’est-à-dire la pensée et l’œuvre du préhistorien Herman
Wirth, mais commençons par esquisser brièvement sa biographie.
Herman Wirth ou plutôt Herman Wirth
Roeper Bosch, est né en tant que citoyen néerlandais à Utrecht, en 1885,
comme le fils d’un professeur de gymnastique. Il fit des études de
philologie germanique, d’histoire et de musicologie aux universités
d’Utrecht et de Leipzig. Il obtint son doctorat, en 1910, avec une
thèse, qui fut publiée par la suite, sur le déclin de la chanson
populaire néerlandaise. Après une courte carrière comme chargé de cours
de philologie néerlandaise à l’université de Berlin (le jeune Wirth
était devenu entre-temps citoyen allemand) il s’engagea, en 1914, comme
volontaire dans l’armée allemande pour devenir par la suite officier de
liaison à Bruxelles, pour y contrôler et diriger le mouvement activiste
flamand. Comme tel il participa activement à la proclamation, en 1917,
d’une éphémère république flamande dont la défaite, en 1918, des armées
impériales allemandes devait sonner le glas.
Ce n’est qu’en 1923 que Wirth s’installa
à Marburg-sur-la Lahn, non pas comme professeur d’université, mais
comme ethnographe indépendant, ce qui le conduisit à explorer la
préhistoire de l’Europe. En 1925, il devint membre du parti
national-socialiste (nº 20.151), mais quitta celui-ci dès le mois de
juillet 1926. En 1928, il publia chez Diederichs, à Jena, son livre Der Aufgang der Menschheit.
Parmi
ses principaux disciples nous trouvons à cette époque,comme nous
l’avons déjà dit, Friedrich Hielscher et Wolfram Sievers, qui
collaboreront, tout comme lui, mais à des titres divers, aux travaux
scientifiques de “Ahnenerbe” dont Wirth devint, en 1935, un des
co-fondateurs, pour quitter cet organisme en 1938. Mais entre-temps il
était également devenu membre de la S.S. sous le n 25.87.76, tout au
moins s’il faut en croire un articulet plutôt haineux paru dans Der Spiegel, en octobre 1980.
Au début, Wirth doit avoir été un membre
des plus importants d’“Ahnenerbe” car immédiatement il se voit confié
la section d’études de l’écriture et des symboles
préhistoriques. Dès l’automne 1935, Wirth fera d’ailleurs, pour le
compte d’”Ahnenerbe”, un voyage d’études en Scandinavie, pour refaire un
voyage identique au mois d’août de l’année suivante. En 1938, ce fut la
rupture avec “Ahnenerbe”. Les causes en doivent être de diverses
natures. Il y à tout d’abord que les théories de Wirth en matière de
préhistoire étaient fort controversées. A vrai dire les professionnels
de la préhistoire le tenaient pour un dilettante, et déjà en 1932, le
géologue Fritz Wiegers, dans Herman Wirth und die deutsche Wissenschaft,
avait dénoncé ce dilettantisme en écrivant notamment: “Les écrits de
cet ethnologue ne sont qu’un tissu de fausses conclusions,
d’affirmations gratuites et de négations d’évidences scientifiques”, en
ajoutant que les “découvertes” de Wirth n’étaient guère plus que les
“phantasmes d’un homme obsédé par une idée religieuse” (4).
Au sein d’”Ahnenerbe” il doit d’autre
part avoir détonné par ses travaux qui visaient l’existence d’une race
pré-indeeuropéenne dont tout le comportement culturel aurait été basé
sur le matriarcat.
Avant d’aller plus loin dans les
théories de Wirth, poursuivons sa biographie pour dire qu’après sa
rupture avec “Ahnenerbe” il retourna à une activité demeurée assez
obscure.
Son ami, le Dr Joachim Weitzsacher
témoigne: “En 1938, après son éloignement de “Ahnenerbe” dont il était
le fondateur (5) Herman Wirth se vit interdire d’enseigner, de prendre
la parole en public et de publier. Il dut également abandonner sa chaire
de professeur à l’université de Berlin. Il fut victime d’une campagne
de diffamation et, pour finir, la loi du silence rejeta son nom dans
l’oubli”.
En réalité, Wirth ne fut pas rejeté tant
que ça dans l’oubli car, en 1945, les Américains saisirent toute sa
bibliothèque et sa documentation qui était immense; il fut frappé alors
des mêmes interdictions que-durant les sept dernières années du
Troisième Reich.
Privé de sa documentation et quasi sans
moyens d’existence, il recommença toutefois son œuvre avec un courage
admirable, aidé et soutenu par son épouse et quelques fidèles. En 1960,
il parvint à publier, à Vienne, Um den Ursinn des Menschseins
(6). Il créa également la “Europaïsche Sammlung für
Urreligionsgeschichte” qui deviendra plus tard la “Europaïsche Sammlung
für Urgemeinschaftskunde”. Enfin, depuis 1979, dans les ruines d’un
vieux château situé à Thallichtenberch Herman Wirth compte installer un
musée et archives qui pourraient abriter l’ensemble de ses écrits et de
ses collections.
A présent, âgé de plus de
quatre-vingt-quinze ans, pratiquement complètement paralysé, il continue
à parachever l’œuvre de sa vie entière avec l’aide de quelques amis
dévoués et de quelques maigres subsides officiels.
Tachons â présent d’étudier, ne
serait-ce que fort superficiellement ce que représente l’œuvre de Herman
Wirth. Pour le rédacteur anonyme de l’article de Der Spiegel, auquel nous avons déjâ fait allusion, il ne s’agirait que d’“ein Grol für Germanenwahn”…
Pour Alain de Benoist, au contraire, “Wirth défend une sorte de
pan-matriarcalisme protohistorique, très anti-indo-européen” (7). Dans
ses recherches paléo-épigraphiques qui visent la reconstitution d’une religion primordiale, Wirth s’aventure, en réalité, bien loin dans la préhistoire, une préhistoire pour laquelle les Inde-européens
ne seraient que les représentants d’une époque assez tardive, tout au
plus proto-historique. Et en effet, tout ce que les tenants d’une
“Tradition primordiale”, dont René Guénon et Julius Evola
sont les figures les plus éminentes, peuvent affirmer de positif,
c’est-a-dire de vérifiable, ne remonte pas plus loin que les premiers
écrits avec lesquels commence l’histoire proprement dite. Tout le reste
n’est que science conjecturale qui ne repose que sur des traditions
convergentes, mais qui ne sont que des traditions, pour ne pas dire de
simples légendes. La plupart des travaux de Wirth ne relèvent eux aussi
que des sciences conjecturales, et tous ses relevés de signes et de
symboles dont il nous a donné l’interprétation, comme l’a dit son
détracteur Fritz Wiegers, ne reposent que sur des interprétations
souvent ingénieuses, mais difficilement vérifiables, si pas totalement
invérifiables.
Notons
en passant que les préhistoriens classiques se méfient de tout ce qui
est interprétation subjective. Ils font des fouilles, découvrent des
restes fossiles ou des objets divers; ils les classent et les situent le
plus généralement d’après le site où ils ont été découverts. Des
découvertes faites, ils peuvent tout au plus déduire qu’à telle ou telle
époque l’“homo sapiens” doit avoir fait tel progrès dans la lente
ascension de l’humanité vers ce que nous appelons prosaïquement la
civilisation. Il est ainsi question. Comme nous le savons tous, du
paléolithique inférieur, moyen et supérieur du mésolithique, du
néolithique et des liges du bronze et du fer avec des subdivisions
qualifiées de “civilisations” dont les plus récentes sont celles de
Hallstatt et de La Tène. Pour leurs datations, ils s’en réfèrent
actuellement à la méthode au radio-carbone.
En cours de route, les préhistoriens
découvrent des indices de religion, de technologie, d’usages funéraires,
etc., sans oublier les premières manifestations de l’art.
Parmi les vestiges d’une “civilisation”
passablement évoluée, rappelons les peintures rupestres d’Altamira et de
Lascaux que les préhistoriens classiques datent du paléolithique
supérieur, soit environ entre 35.000 et 10.000 ans avant J.C.
avec une aire de dispersion, pour les peintures rupestres tout au moins,
que l’on peut qualifier de franco-cantabrique. Comme cette aire de
dispersion se situe loin de l’Europe septentrionale, cette civilisation
ne pouvait évidemment intéresser ni Wirth ni les savants d’“Ahnenerbe”
tout férus de la civilisation indo-européenne dont les plus anciens
vestiges ne peuvent se situer au-delà du cinquième ou quatrième
millénaire avant notre ère. On doit même parler plutôt des troisième et
deuxième millénaires, ce qui situe notre Tradition primordiale
indo-européenne bien proche de nous… Et d’ailleurs un savant de la
tradition indo-européenne comme Georges Dumézil ne travaille-t-il pas
avant tout sur des sources écrites? Or nous savons que l’écriture est de
date passablement récente (7 bis).
Les préhistoriens classiques se heurtent
également à des énigmes dont celles des mégalithes. Ils les notent,
tâchent de les interpréter, sans toutefois conclure, laissant cette
tâche à des savants tels que Wirth, qu’ils tiennent toutefois en
suspicion, car leur circonspection est grande.
Quant aux énigmes telles celles de
l’Atlantide ou du continent perdu de Mu, ils tâchent de n’y point
toucher, laissant les spéculations sur ces énigmes aux spécialistes de
ce qu’ils considèrent comme de la science-fiction.
En ce qui concerne les Inde-Européens
auxquels nous devons ce que nous appelons notre “Tradition
primordiale”, avouons que ceux-ci sont ignorés des préhistoriens
classiques. Le point de départ de cette dénomination et des problèmes
qui s’y rattachent se trouve en effet dans un ouvrage du linguiste
allemand Franz Bopp intitulé Vergleichende Grammatik des Sanskrit, Zend, Griechischen, Lateinischen, Lithauischen, Gotischen und Deutschen
qui ne date que des années 1833-49. De la linguistique, basée sur des
langues écrites, le problème des Indo-Européens s’est vite étendu à
l’aire de dispersion des peuples parlant et écrivant en langue
indo-européenne sans que les savants aient jusqu’ici pu se mettre
d’accord sur le point de départ et la date, ou plutôt dates de cette
dispersion.
Il serait intéressant d’étudier de plus
près ce problème et l’on serait alors étonné de voir qu’en ce domaine
règne la plus grande confusion. Ce qui est certain, c’est que partout où
s’installèrent les Inde-Européens ils se superposèrent à un peuple déjà
installé avant eux dans la région qu’ils venaient d’occuper et qu’ils
allaient se soumettre, les Dravidiens en Inde, par exemple. Partout,
aussi bien en Europe qu’en Asie, ils formeront les deux castes
dominantes, celles du clergé et des guerriers ou chevaliers.
Pour en revenir à Herman Wirth, nous
devons constater que, tout en étant un disciple de Bachofen, ce
romantique de la mythologie, comme l’appelait Alfred Baeumler, il était
loin d’exclure la mythologie odinique de ses spéculations sur une
religion matriarcale qu ‘il croyait pouvoir déduire des graffiti qu’il
relevait sur les parois des grottes préhistoriques de l’Europe
septentrionale. Les runes n’en sont pas exclues, de sorte que l’on peut
voir dans ses théories une espèce de syncrétisme mythologico-religieux
dont la Mutter Erde serait la clef de voûte .
Il est certain, et la préhistoire
classique le confirme, que dans l’Europe atlantique du IIIe millénaire
avant notre ère il doit avoir existé une religion “mégalithique” avec
adoration d’une déesse de la fécondité qui était également une déesse
qui présidait aux rites funéraires, mais il est certain aussi que dès le
néolithique, voire le paléolithique il y eut un culte à une déité
féminine comme nous le prouvent de nombreuses statuettes comme les
“Vénus” de Savignano (Italie), de Gargarino (U.R.S.S.) et de Willemdorff
(Autriche), par exemple, ou les têtes de femmes de Dolmi Vestanice
(Tchécoslovaquie) et de Brassempuy (France), ce qui nous conduit à au
moins quelque 30.000 ans avant notre ère.
Comme les recherches de Wirth se sont
surtout orientées vers la partie septentrionale de l’Europe, comme nous
le confirment ses deux voyages d’études de 1935 et de 1936, nous devons
en conclure, pour parler le langage de la préhistoire classique, que ses
recherches doivent surtout concerner la période dite du mésolithique
avec un climat tempéré, qui ne commence que vers 10.000 ans avant notre
ère pour s’étendre, au-delà du néolithique et des deux âges des métaux
jusqu’aux premiers siècles de notre ère, avant la christianisation de
l’Europe septentrionale.
Selon la Tradition primordiale il dut
toutefois y avoir eu avant cette période un autre climat plus que
clément au cours de laquelle le Groenland et le Spitzberg étaient des
terres verdoyantes et fertiles comme le rappelle d’ailleurs le nom du
Groenland ou Terre verte. De quelle époque date cette période? Laissons
plutôt aux géologues qu’aux préhistoriens ou aux historiens de la
Tradition primordiale de nous le dire. En effet, à quelle époque du
Pleistocène faut-il situer cette période à laquelle doivent remonter les
verdoyantes prairies de l’Ultima Thulé du lointain jadis? Mais
peut-être ne s’agit- il que d’une période plus récente qui se situerait
entre 6.000 et 3.000 ans avant notre ère et qui s’appelle en géologie la
période atlantique (8). Déjà l’hypothétique terre de Mu était alors
engloutie depuis environ 12.000 à 12.500 ans avant notre ère (9). Ce fut
probablement dans le même cataclysme que dut disparaître cette autre
terre hypothétique qu’est l’Atlantide ou terre d’hyperborée.
Quoi qu ‘il en soit, Herman Wirth n’a
cessé durant toute sa longue existence de poursuivre ses travaux sur la
préhistoire de l’Europe en attirant surtout l’attention sur la
paléo-épigraphie. En sa recherche de tout ce qui peut toucher le
matriarcat préhistorique il a d’autre part souligné la grande importance
qu’a pu avoir la civilisation pré-indogermanique pour le vie culturelle
et cultuelle de l’Europe.
La vie magico-religieuse de cette époque
surtout fut une de ses préoccupations majeures en nous démontrant
qu’avant la vague des conquérants indo-européens qui déferla sur tout le
monde ancien depuis l’Atlantique jusqu’au proche-et extrême-Orient il y
a eu des hommes préoccupés du spirituel, tout autant que ceux-ci.
Peut-être que tous ces travaux de Herman
Wirth sont marqués d’un certain dilettantisme, mais n’est-ce pas
l’écueil qui guette tous ceux qui s’aventurent dans les méandres du plus
lointain passé de l’homme? Combien d’amateurs de ce mystérieux lointain
ne jonglent-ils pas avec des déductions et des approximations plus ou
moins fantaisistes tout en se couvrant de l’argument d’autorité! Ils
savent ce que vous ne savez pas; ils sont initiés et vous ne l’êtes pas.
Ils tiennent leur savoir, directement ou indirectement, de quelque
moine tibétain ou de tout autre gourou plus ou moins mystérieux et
détenteur d’un secret immémorial…
Avouons-le: que de prétentieuses âneries
ne découvre-t-on pas sous le couvert de ce que nos amis de la Tradition
appellent la Tradition Primordiale. René Guénon
et Julius Evola ont eu beau dénoncer et traquer les charlatans des
sciences dites traditionnelles, ceux-ci n’en courent pas moins le monde
et sont prêts vous faire croire toutes les fausses révélations et
connaissances de leur imagination en délire, car la magie blanche et
noire est loin d’être morte. Herman Wirth doit-il être classé dans la
catégorie des charlatans de la Tradition? Nous ne le croyons pas, mais
il convient d’accueillir avec circonspection tout ce qu’il crut pouvoir
déduire des fruits de ses recherches et de ses travaux. Rappelons-nous à
quel point il s’est aventuré dans le cas de la chronique dite d’Ura Linda. Cette chronique es-telle un faux, une pure fantaisie littéraire dans le genre des Chants d’Ossian? Est-elle une compilation tardive d’une tradition orale comme le Kalevala? Le problème reste entier.
Par ailleurs souvenons-nous qu’il a été
un grand savant en matière de préhistoire aussi longtemps qu’il fut
persona grata au sein de “Ahnenerbe”. Après sa disgrâce, comme nous
l’avons déjà dit, on alla jusqu’à lui interdire d’enseigner, de prendre
la parole en public, de publier et de lui refuser tout crédit.
Toutefois comme l’a écrit Jean Beelen,
“L’immense mérité du Prof. Wirth est d’avoir su pénétrer l’époque de
l’écriture et de la symbolique et d’avoir démontré que les hommes de
cette époque possédaient une conception cosmique qui fut à la base d’une
religion populaire”. Et c’est déjà beaucoup, aussi devons-nous tenir
compte de tout ce qu’il a fait et écrit, quitte à vérifier et discuter
son incontestable grand apport à la préhistoire du monde occidental.
Au cours de cet exposé nous avons eu
recours avec la plus grande reconnaissance à certaines données d’une
part fournies dans une lettre personnelle d’Alain de Benoist, d’autre
part dues à une note de notre ami Jean Beelen. D’autres renseignements
proviennent du livre de Michael H. Kater sur Das Ahnenerbe der S.S. 1935-1945, ein Beitrag zur Kulturpolitik des Dritten Reiches (Editions Deutsche Verlags-Anstalt, Stuttgart, 1974).
*
Outre les deux ouvrages de Wirth que nous avons déjà cités, celui-ci publia: Das heilige Urschrift der Menschheit (1931-1936), dont une nouvelle édition est parue à Vienne en 1980; Was heisst Deutsch? (1933); Die Ura Linda Chronik (1933); Vom Ursprung und Sinn des Hakenkreuzes (1933); Die altesten Odal-Urkunden des germanischen Bauern (1936); Um den Ursinn des Menschseins. Die Werdung einer neuen geisteswissenschaft (1960); Der neue Externsteine-Führer, Europäische Urreligion und die Externsteine.
Noten
(1) Editions Grasset, Paris, 1974.
(2) Editions Grasset, Paris, 1969.
(3) Cette note ne figure pas dans l’édition française de ce Journal, mais Pauwels et Bergier, dans leur Matin des Magiciens en ont donné une traduction.
(4) Alfred Baeumler, le futur recteur national-socialiste de l’université de Berlin, posait également en 1932, la question Was bedeutet Herman Wirth für die Wissenschaft?
(5) Disons plutôt le cofondateur, avec
Heinrich Himmler, Hermann Reischle, Adolf Dabel, George Ebrecht, Erwin
Metzner et Richard Hintmann, ces cinq derniers comme délégués de la
“Rusha” de Walther Darré.
(6) On trouvera en annexe une bibliographie sommaire de ses écrits.
(7) Dans une lettre adressée â l’auteur
de ces lignes au sujet de Wirth. Rappelons d’autre part que Julius Evola
a abordé le sujet du matriarcat au chap. 6 de la deuxième partie de Révolte contre le monde moderne:
“La civilisation de la Mère” (pp 293-303). Dans la note (1), au bas de
la page 293, Evola écrit: “Nous invitons le lecteur à se reporter à
l’ouvrage de J.J. Bachofen, Das Mutterrecht, Bàle, 1897, afin
qu’il puisse apprécier dans quelle mesure nous avons utilisé ici la
documentation de cet auteur et dans quelle mesure nous l’avons mise à
jour et intégrée dans un ordre d’idées plus vaste”.
Depuis Bachofen, de nombreux auteurs ont abordé le sujet du matriarcat ou de la gynécocratie . En annexe nous donnons la photocopie de l’article consacre dans Le dictionnaire des œuvres (Ed . Laffont-Bompiani, 1954), au livre de Bachofen, dont une traduction française est parue aux Editions Alcan en 1938. A notre tour d’inviter le lecteur à consulter cette traduction française. Dans un livre par ailleurs très superficiel et par trop vulgarisateur , intitulé La matriarcat, pendant 20.000 ans la femme a dominé l’homme (Ed. Best-seller, 1980), Jacques Marciereau donne une bibliographie de quelque cent titres.
Depuis Bachofen, de nombreux auteurs ont abordé le sujet du matriarcat ou de la gynécocratie . En annexe nous donnons la photocopie de l’article consacre dans Le dictionnaire des œuvres (Ed . Laffont-Bompiani, 1954), au livre de Bachofen, dont une traduction française est parue aux Editions Alcan en 1938. A notre tour d’inviter le lecteur à consulter cette traduction française. Dans un livre par ailleurs très superficiel et par trop vulgarisateur , intitulé La matriarcat, pendant 20.000 ans la femme a dominé l’homme (Ed. Best-seller, 1980), Jacques Marciereau donne une bibliographie de quelque cent titres.
(7. bis) Dans une communication
ultérieure nous reviendrons sur une analyse rigoureusement scientifique
d’une de ces principales sou1 ces écrites, notamment le Rig-Veda qui a servi de point de départ à la savante étude de Lokamanya Bàl Ganglidhar Tilak: Origine polaire de la tradition vedique,
dans laquelle ce savant indou analyse de nombreux textes et légendes
védiques qui, tous reportent l’origine des peuples indo-européens vers
l’extrême nord, à une époque interglaciaire, cet extrême nord étant pour
Tilak plutôt le nord de la Sibérie que le nord de l’Europe ou le
Groenland.
(8) Notons cependant que le Groenland ne
porte ce nom de terre verte que depuis le Xe siècle. Il lui fut donné
alors par le roi norvégien Erik le Rouge, alors que les glaces le recouvraient
déjà en grande partie, mais peut-être était-ce en raison d’une
“Tradition primordiale” selon laquelle les titans de l’Edda
l’aurait appelée “la verdoyante”. Rappelons que la couleur verte est
dans l’optique traditionnelle, liée au savoir initiatique ainsi qu’au
concept de “terre primordiale” (Cfr. Jean-Michel Anqenet: Le livre de la Tradition”).
(9) James Churchward, Mu, le continent perdu.
Eemans, Marc. (1981). Herman Wirth et la préhistorie préindoeuropéenne. Bruxelles: Centro Studi Evoliani.