Article paru dans Rébellion, n° 32, et mis en ligne sur Cercle non conforme, le 29 septembre 2012.
Le
chat est par essence un ennemi du système. Il est l’anti-efficacité,
l’anti-productivité, l’anti-utilitarisme même. En un mot, c’est l’animal
le plus anti-libéral qui soit. D’ailleurs la vie d’un chat ressemble à
s’y méprendre à celle d’un chômeur d’aujourd’hui. Le chat dort en
moyenne dix-sept heures par jour. Ce qui est considérable au vu du
nombre d’insomniaques qui hantent la nuit noire de notre société. Il
sort principalement la nuit. Comment pourrait-il alors se rendre
efficace le jour comme tout bon homo œconomicus qui se respecte
? Le chat ne connaît ni les cadences infernales, ni la concurrence
déloyale. Il ne supporte pas les foules anonymes. Il aime sa différence,
sa liberté, son indépendance.
Le
chat défend son territoire là où l’homme moderne se targue de n’en
avoir aucun. Sans terre, sans patrie, sans racine, sans culture, sans
identité, l’homo œconomicus est un nomade sans foi ni loi. Il
ne connaît aucune autre attache que celle de son compte en banque.
Bassement matérialiste, l’homme moderne est un animal qui manque
cruellement de grâce. Il est une bête féroce et égoïste. Le chat a quant
à lui conservé toute sa malice ancestrale ainsi que sa grâce
légendaire. Contrairement à l’homme moderne, le chat est un animal
courageux. Pour assurer sa survie, il n’hésite pas à montrer ses
griffes.
Même
ses ennemis, les chiens, ne l’effraient pas, tout juste peuvent-ils le
surprendre. Le chat privilégie le duel quand l’homme moderne se rue sur
sa proie en bande impavide. Le chat est le remède naturel à notre
société. Il soigne les hommes de leurs dépressions et de leurs
angoisses. Caresser un chat, c’est reprendre goût à la vie. C’est se
sauver soi-même du chaos libéral. C’est se soulager le corps et l’âme.
L’ennemi du chat, le système libéral, ne s’y est d’ailleurs pas trompé.
Partout où règne en maître le libéralisme, le chat est purement et
simplement éradiqué. Pour ne prendre que quelques exemples parmi tant
d’autres, Rome, la ville éternelle est devenue en quelques années la
proie des promoteurs immobiliers. Elle a en conséquence été nettoyée de
fond en comble. Si bien que le vieux forum romain, refuge des
chats s’il en est, s’est vidé brutalement de sa substance. Et c’est
toute la ville impériale qui a brutalement vendu son âme au plus
offrant.
Et
que dire de Venise ? Plus aucun chat pour courir sur les ponts de la
Sérénissime. De sombres individus à casquette éructant du globish
à longueur d’années, les poches pleines de billets verts, les ont peu à
peu remplacés. Lorsque les chats désertent les rues, le chaos resurgit.
Non pas le chaos qui précède l’ordre, mais bien plutôt le chaos informe
qu’appelle de ses vœux le libéralisme triomphant. Ce chaos qui dévaste
tout sur son passage. Privée de ses chats, la ville perd son âme. Elle
renonce à son antique statut de cité enracinée. Elle se transforme en un
vaste décor à l’usage des touristes ou pire en cité dortoir. Le petit
peuple des rues s’efface à la suite de ses chats. Il est rejeté vers la
grande banlieue, vaste no man’s land où s’achève toute culture.
À sa place, les bobos et leur pseudo-civilisation hygiéniste surgissent
de toute part : propreté, sécurité, fausse mixité. Le triptyque du
néo-libéralisme se cale dans les cerveaux humains déjà trop abîmés pour
pouvoir encore lui résister. Pour ses détracteurs, le chat est sale. Il
porte en lui toutes les maladies de l’homme. Autrefois n’était-il pas
brûlé en place publique, ce fier compagnon des sorcières, ce chat noir
du paganisme antique ?
Symbole
d’une révolte totale contre le monde moderne, le chat s’oppose
naturellement à la civilisation du bruit, de la vitesse et de la
pollution. Il encourage la lecture, occupation devenue subversive aux
yeux de la police de la pensée. Il ronronne rien qu’à cette harmonie
subtile que ne connaissent plus les hommes pressés d’aujourd’hui. Ce
n’est pas un hasard si le chat est l’animal fétiche de nos poètes, s’il
accompagne toujours les éveilleurs de peuple dans leurs quêtes
impossibles, s’il incarne encore de nos jours cette sagesse qui fait
tant défaut à notre monde moderne et s’il demeure le pur symbole de
notre Rébellion…
Jip de Paname