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samedi 13 septembre 2014

Amazon, danger pour la diversité culturelle ? Plutôt une aubaine pour les petits éditeurs


 
Xavier C. Petit éditeur  
 
"Amazon porte atteinte à la diversité littéraire" (1). C'est en ces termes qu'Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, parlait du géant américain, le 12 août dernier. La socialiste se montrait très critique envers les pratiques de cette entreprise, évoquant la mort possible des librairies indépendantes. Xavier C. dirige une petite maison d'édition. Il se montre bien plus nuancé.
Chateau


Entrepreneuse, je dirige ce que l'on peut qualifier une "petite" maison d'édition. Nous ne publions qu'une quinzaine de titres par an, en travaillant "à l'ancienne", c'est-à-dire en privilégiant la qualité littéraire de nos ouvrages, et en prenant du temps pour les retravailler, les corriger, voire les réécrire en partie, en collaboration avec les auteurs.

Quelle est cette maison ? Je ne vous le dirai pas, d'une part parce qu'il s'agirait de publicité, et que tel n'est pas le propos, et surtout pour éviter les représailles de certains libraires. Vous allez comprendre pourquoi...

Vendre des livres : une galère permanente

Comme nos moyens financiers sont limités, il nous est impossible de passer par un diffuseur pour vendre nos livres. D'abord parce qu'il est impossible, pour une petite maison d'édition, d'en trouver un : ceux-ci privilégient exclusivement les "majors", ou assènent aux candidats des tarifs exorbitants.

Ensuite parce que cela nous serait financièrement inaccessible : les diffuseurs prennent une marge de 15 à 20% du prix des ouvrages, qui s'ajoute à la commission des libraires.

Or, comme nous ne vendons que relativement peu d'ouvrages, nos tirages sont limités. Nos frais d'impression sont donc relativement plus onéreux que pour des grandes maisons d'édition (plus le tirage est important, moins les frais d'impression par exemplaire sont chers). D'autant que nous nous efforçons de faire imprimer en France. De ce fait, nos marges sont donc restreintes : 5% en moyenne.

C'est le chien qui se mord la queue : sans diffuseur, pas de gros tirage ni de diffusion importante. Et sans gros tirage, pas de diffuseur. Pour commercialiser nos ouvrages, il nous reste donc deux solutions : démarcher les libraires un par un, ou passer par les sites de vente en ligne, tel Amazon.

Trop de libraires ne jouent pas le jeu

Démarcher les libraires n'est pas garantie d'efficacité. Tout d'abord parce que les libraires véritablement indépendants sont rares. Or, la plupart des autres librairies refusent tout ouvrage d'une petite maison d'édition, 95% des fois sans avoir pris le temps de lire les ouvrages.

En effet, ces librairies préfèrent distribuer les ouvrages qui leurs sont imposés par les entreprises de diffusion, en grande majorité les livres des "grandes" maison d'édition.

Ces libraires, qui s'offusquent à tout crin de la disparition de la "diversité culturelle", ne craignent ainsi pas de vendre le dernier ouvrage d'une star de télé-réalité écervelée, plutôt qu'un bon roman d'un petit auteur talentueux, mais malheureusement inconnu.

Diversité culturelle que ceci ? Et je ne prêche pas que pour ma paroisse : une grande partie de la production littéraire est issue de ces petites maisons d'édition, et d'autres que la mienne publient chaque année de petits bijoux... en pure perte.

Des commissions très élevées

Autre problème avec nos amis libraires : leur commission. La plupart jouent le jeu, et prélèvent une commission de 25 à 30% du prix des livres. Ce qui est déjà beaucoup lorsque l'on songe que l'éditeur qui, lui, prend tous les risques financiers, ne se contente que d'une marge bien inférieure.

Et que dire des auteurs, auxquels la plupart des maisons d'édition n'accorde que 8% de droits d'auteur, alors qu'ils ont tout de même effectué la majeure partie du travail).

Le libraire, lui, ne prend guère de risque, puisque la plupart du temps, le petit éditeur doit lui consentir des retours en cas d'invendus, ou se contenter d'un simple dépôt-vente.

Et si la majorité des libraires demeurent dans les clous, certains n'hésitent pas à profiter de leur position pour réclamer aux petits éditeurs des commissions de 40, voire 45 %.

Un moyen de faire connaître ses ouvrages

Reste donc Amazon, la société responsable de tous les maux de nos amis libraires. Beaucoup de petits éditeurs parviennent à faire connaître (et à vendre) une bonne partie de leurs ouvrages par son biais.

Non seulement leur commission ne s'établit en moyenne qu'à 20%, mais l'on peut y commercialiser tous les ouvrages. Une chance donc pour les nouveaux auteurs, même si elle n'est qu'infime, de faire profiter aux lecteurs de leur talent, et de voir celui-ci reconnu.

Certains lecteurs ne s'y trompent pas, et une partie de ces ouvrages absents des rayons des librairies atteignent des chiffres de vente tout à fait honorables.

Certes, le lecteur ne bénéficiera pas du conseil du libraire. Mais cette méthode favorise le "bouche à oreille", et les bons ouvrages se transmettent de sites spécialisés en forums littéraires, autant dire d'une multiplicité d'avis et de critiques. Précisons : de critiques de vrais lecteurs.

Une aubaine pour les petits éditeurs

Alors oui, Amazon favorise bien la diversité culturelle en France. Cette société est même devenue, au grand dam de certains, la plus grande librairie de France.

Bien sûr, l'on ne peut que regretter que les bénéfices de cette entreprise n'enrichissent pas davantage les caisses de l'État. L'on ne peut que regretter les pertes d'emploi générées par sa position prédominante, au détriment des libraires français.

Mais la balle est dans le camp de ces derniers. Si l'on veut parler de diversité culturelle, bien entendu !
 
Notes

Édité par Sébastien Billard

(1) http://obsession.nouvelobs.com/high-tech/20140812.OBS6151/amazon-meilleur-ennemi-d-aurelie-filippetti.html
 

Source

Le Nouvel Observateur