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samedi 13 septembre 2014

La BCE ou l’inefficacité de la politique monétaire



 
 Christian Chavagneux
 
Les annonces du 4 septembre de Mario Draghi confirment que nous sommes dans une période où la politique monétaire est inefficace. C’est à la politique budgétaire de nous éviter la déflation.

Article issu du blog de Christian Chavagneux (1)

Ça ne sert à rien d’arroser le désert

Dans la logique de ses annonces du mois de juin dernier, Mario Draghi a confirmé sa volonté de tout faire pour relancer l’activité dans la zone euro. Mais, avec un taux d’intervention de la banque centrale désormais proches de zéro à 0,05 % après la baisse annoncée aujourd’hui, ce « tout » se résume à distribuer de l’argent aux banques par divers canaux (en leur prêtant de l’argent si elles le destinent à financer l’économie, en leur promettant de leur racheter des actifs financiers). Une politique totalement incapable de soutenir la croissance européenne.

Pourquoi ? Parce que nous sommes dans une période de « trappe à liquidité », comme disent les économistes, c’est-à-dire un moment où l’activité économique est aussi vide qu’un désert : faute de demande du fait des politiques d’austérité budgétaire et du climat déflationniste qui règne actuellement, la banque centrale a beau déverser tout l’argent qu’elle peut, les liquidités se perdent dans les sables et ne font pas monter le niveau du crédit à l’économie. Et donc, cela ne contribue pas à la relancer.

Trop d’épargne

Et ce n’est pas prêt de se terminer. Pour répondre à la crise, les banques centrales, notamment la Banque centrale européenne (BCE), ont baissé les taux d’intérêt à court terme : ils sont aujourd’hui proches de zéro. Les taux à long terme sont tout juste au-dessus. Plusieurs économistes, comme Lawrence Summers, Paul Krugman et Olivier Blanchard, prévoient qu’ils vont rester durablement très bas parce que le monde fait face à un excédent structurel d’épargne (2).

Pourquoi ce surplus durable d’épargne ? Notamment parce que le ralentissement de la croissance démographique se traduit par moins de besoins en équipement, parce que les nouvelles technologies font baisser le prix de l’investissement et parce que la montée des inégalités concentrent les revenus entre les mains de ceux qui épargnent plus.

Résultat, l’offre de capitaux (l’épargne) sera à l’avenir largement supérieur à la demande (l’investissement), ce qui tirera le prix de l’argent, le taux d’intérêt, vers le bas. Conséquence : les marges de manœuvre de la politique monétaire vont rester basses, et pour longtemps, dans un environnement qui va rester structurellement déflationniste par manque de demande. C’est l’hypothèse de « stagnation séculaire » avancée par Summers, Krugman et Blanchard.

Que faire ?

Dans ce contexte, ces trois-là proposent deux politiques pour tenter de ranimer la flamme de l’activité en Europe.

La première consiste à aider les débiteurs, Etats mais aussi ménages et entreprises, à éponger leurs dettes passées avec de l’inflation. Mais pas de l’inflation salariale. Olivier Blanchard a depuis longtemps suggéré l’idée que les banques centrales devraient se fixer un objectif de taux d’inflation de 4 %, plutôt que les 2 % actuels. Avec des taux à long terme scotchés autour de 2 %, une inflation à 4 % donnerait des taux réels – une fois l’inflation prise en compte – négatifs. De quoi inciter à plus de demande de crédit. Problème : l’inflation ne se décrète pas.

La seconde solution est la relance de l’investissement public. S’il y a excès d’épargne sur l’investissement, c’est surtout parce qu’il y a un manque d’investissement. Les besoins sont pourtant énormes : écoles, infirmières, logements, universités de qualité, transition énergétique, etc., les pays de la zone euro – notamment l’Allemagne aux infrastructures publiques en déconfiture mais qui se flatte de courir après les excédents budgétaires !

La période est idéale : les taux d’intérêt à long terme sont faibles, c’est le moment de s’endetter sans que cela coûte cher. Et l’investissement public, en accroissant la demande, aurait un effet d’entraînement sur l’investissement et l’emploi privé.

Cela ferait monter la dette à court terme ? L’austérité budgétaire a aujourd’hui le même résultat : en cassant la croissance et en réduisant les rentrées fiscales, les déficits ne baissent pas comme le montre le cas français. Quitte à ce que la dette progresse un peu, que cela serve au moins à créer de l’activité et de l’emploi. L’effet de relance permettra alors de diminuer le ratio dette/PIB plus rapidement.

Malheureusement, rien ne laisse supposer que les Etats européens y soient prêts. Mario Draghi a surpris tout le monde lors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole, en août dernier, en réclamant plus de flexibilité dans la réduction des déficits budgétaires en Europe, un message réaffirmé en septembre. Il a pourtant raison : il fait ce qu’il peut avec ses armes de politique monétaire, mais il sait qu’elles sont émoussées. Faute d’action budgétaire, la déflation risque de s’installer, et durablement dans la zone euro.
 
Notes

  (1) http://alternatives-economiques.fr/blogs/chavagneux/

(2) http://www.voxeu.org/article/secular-stagnation-facts-causes-and-cures-new-vox-ebook

Source

Alternatives économiques :: lien