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mercredi 25 mars 2015

Démocratie antique et démocratie moderne



Démocratie antique et démocratie moderne
 
 Cédric Bernelas
 
Démocratie antique et démocratie moderne est l’ouvrage d’un historien américain, Moses I. Finley, qui nous a définitivement convaincu des possibles potentialités démocratiques à réhabiliter dans notre République consensuellement oligarchique.

A première vue, cet essai semblait pourtant destiné, au mieux à une poignée d’experts universitaires, au pire à la poussière des bibliothèques… Mais force est de constater que sa lecture a permis à notre site, Diktacratie.com, de trouver quelques fondations.

Finley constate en premier lieu une apathie politique symptomatique de notre époque électoraliste. Le peuple, aujourd’hui troupeau d’électeurs essentiellement passifs, n’est invité qu’à choisir entre des groupes d’élite en concurrence. De fait, « les décisions sont prises par des dirigeants politiques, et non par un vote populaire qui n’a au mieux qu’un pouvoir occasionnel de véto, une fois le fait accompli ». C’est comme si l’anti-démocratie s’était travestie sous le nom de démocratie pour le plus grand bonheur de nos oligarques.

Car la démocratie, la vraie, c’est la bonne société elle-même en action.


Comme ce fut le cas au Vème et IVème siècle av. J.-C. à Athènes : un gouvernement par le peuple, constitué de milliers de citoyens (jusqu’à 6000) au dessus de vingt ans, se réunissait alors très fréquemment (40 fois par an) en assemblée en plein air (d’abord sur l’agora, puis sur la colline de la Pnyx). Lors de journées de débats, où tout homme présent avait droit de participer en prenant la parole (iségoria), s’élaboraient les décisions collectives sur la guerre, la paix, les traités, les budgets, les travaux publics…
Les tâches de gouvernement plus administratives étaient tenues par un Conseil de 500 membres sans cesse renouvelés et tirés au sort.

Est-il possible d’imaginer un instant que n’importe quel jeune garçon athénien avait lors de sa vie une chance de devenir, au moins pour un jour, président de l’Assemblée (Ecclésia) ou inspecteur des marchés, membre du conseil des 500, juré et surtout membre votant de l’Ecclésia.
L’égalité citoyenne, revendiquée désormais exclusivement dans tous les discours de nos politiciens corrompus, a donc été réellement incarnée, et a favorisé le partage du pouvoir le plus bénéfique à l’intérêt commun.
Le peuple possédait, ainsi, non seulement l’éligibilité nécessaire pour occuper les charges et le droit d’élire des magistrats, mais aussi le droit de décider en tous les domaines de la politique de l’Etat et le droit de juger, constitué en tribunal, de toutes les causes importantes, civiles et criminelles, publiques et privées. La concentration de l’autorité dans l’Assemblée, la fragmentation et le caractère rotatif des postes administratifs, le choix par tirage au sort, l’absence de bureaucratie rétribuée, les jurys populaires, tout cela contribuait à empêcher la création d’un appareil de parti et, par voie de conséquence, d’une élite politique institutionnalisée. La direction des affaires était directe et personnelle, et il n’y avait pas place pour de médiocres fantoches, manipulés derrière la scène par les dirigeants « réels ». »

Athènes réussit donc près de 200 ans à être l’Etat le plus prospère, le plus puissant, le plus stable, le plus paisible intérieurement et de loin le plus riche de tout le monde grec au point de vue culturel.

Ainsi dans son livre, Moses I. Finley nous rappelle les ressorts de toute véritable démocratie, c’est à dire sous sa forme directe comme elle l’a été à Athènes, au siècle de Périclès et de Démosthène.
Ce gouvernement par le peuple se fondait sur un enracinement social, d’abord animé par la discussion collective, puis renouvelé en permanence par ses modes de sélection impartiaux.

J’exagère à peine, mais aujourd’hui, si l’on veut changer les choses hors élections, il ne reste que le coup d’Etat ou l’assassinat ! Même l’ambition contestataire d’une grève n’amorce plus aucun changement.

La liberté citoyenne à Athènes consistait en la simple participation au processus de prise de décisions afin d’élaborer les lois gouvernant ses habitants. Ainsi le pouvoir majeur des citoyens était celui de la persuasion par le dialogue, autrement dit le débat démocratique. Le but de cette parole libre était de conduire à l’action. Une action qui engendrerait nécessairement un changement !

Mais réfléchissons désormais sur quelques objections fréquentes quant à la vision parfois idéale que nous présentons de cette démocratie athénienne.


Si le démos désignait à la fois l’ensemble des citoyens et les plus modestes d’entre eux – souvent illétrés -, il est légitime de se demander comment le niveau d’instruction de base de chaque citoyen était suffisant pour pourvoir aux problèmes complexes de la politique.
D’ailleurs dans l’antiquité, tous les intellectuels, et en particulier les philosophes, ont toujours désapprouvé le gouvernement populaire. Mais leur réprobation, confondant savoir technique et compréhension des problèmes politiques, n’altéra que tardivement la bonne marche du pouvoir populaire.

Il faut rappeler que le monde grec fut avant tout un monde de la parole et non de l’écriture.

On comprend mieux comment la liberté d’expression était l’un des nerfs principaux de la démocratie. Les traités et autres libellés ne s’adressaient d’ailleurs qu’à une élite franchement hostile au bon fonctionnement de la société elle-même en action.
Des experts pouvaient conseiller l’Assemblée citoyenne, mais les prises de décisions se constituaient après délibération, d’où l’intérêt de débats permanents et libres… sans intemédiaires !

Autre différence majeure avec aujourd’hui : il n’y avait pas de mass-média pouvant influencer une opinion en fonction de l’intérêt de leurs commanditaires.

Là aussi, on comprend mieux pourquoi à partir de la mise en place du gouvernement représentatif par l’initiative particulière de Sieyès, en pleine Révolution Française, la presse se développa pour mieux informer le peuple alors trop occupé à travailler et pas suffisamment instruit – tout du moins déclaré comme tel – pour participer directement aux affaires publiques. On comprend surtout pourquoi aujourd’hui, nos médias ne sont que propagandes et parasites entretenant notre passivité. Ainsi, plus ils se développèrent, plus on nia le but éducatif de la pratique démocratique.
Malgré les défauts du système social et des idées morales de l’antiquité, la pratique des dicastéria (jurys) et de l’Ecclésia (assemblée) élevait le niveau intellectuel d’un simple citoyen d’Athènes bien au dessus de ce qu’on a jamais atteint dans aucune autre agglomération d’hommes, antique ou moderne… Il est appelé dans ce type d’engagements, à peser des intérêts qui ne sont pas les siens, à consulter en face de prétentions contradictoires une autre règle que ses penchants particuliers, à mettre incessamment en pratique des principes et des maximes dont la raison d’être est le bien public. »

A Athènes, du fait qu’ils étaient tous concernés par la vie de leur cité, boutiquiers, paysans, artisans, fantassins, rameurs, etc… aux cotés de classes plus instruites, s’investissaient ensemble pour y résoudre les problèmes. Une conscience politique collective alimentée hors des assemblées par des discussions en boutique, en taverne, en diners, en place de marché…
Rien ne pouvait être plus éloigné de la situation actuelle, où le « citoyen » isolé de loin en loin, en même temps que des millions d’autres, et non pas quelques milliers de voisins, pose l’acte impersonnel de choisir un bulletin de vote. »

Aujourd’hui l’électeur isolé souille son temps vacant dans la consommation et le divertissement, persuadé que sa liberté est à ce prix là. L’important c’est de jouir… même de sa servitude ! Nos médias et pouvoirs actuels sont d’ailleurs omniprésents pour le lui rappeler : un temps pour le travail, un autre pour le loisir et le confort. Ce qui est notablement différent des 40 000 citoyens athéniens qui jouissaient du travail de leurs 200 000 esclaves, leur permettant ainsi de se consacrer pleinement à l’organisation de leur cité…
Mais à y réfléchir sérieusement, c’est un faux procès. C’en est même devenu un prétexte pour ne plus s’investir démocratiquement parlant…
Car finalement les progrès techniques de nos sociétés industrialisées n’ont-ils pas relayé la production de cette main d’oeuvre asservie ? Une moissonneuse-batteuse, un monte-charge, un camion, une machine à laver ou un ordinateur… ça remplace combien d’hommes ?

C’est dans l’intérêt de nos maîtres-penseurs de nous convaincre qu’aujourd’hui il est impossible de participer au pouvoir autrement qu’en mettant le bulletin dans l’urne.

L’élite, qu’elle soit intellectuelle, politique, religieuse, économique ou médiatique, n’a jamais cessé de dévaloriser la réelle démocratie pour promouvoir un pouvoir aristocratique plus à même de l’honorer. Ce pouvoir qui, chez les grecs, se croyait justifié de par sa richesse, n’avait pourtant aucune influence dans le gouvernement du fait d’être minoritaire.
On comprend mieux ainsi pourquoi désormais nous ne sommes absolument pas en démocratie, car si tel était le cas, la majorité du peuple, même pauvre, ne pourrait être dépossédée de son pouvoir le plus légitime : le droit de disposer de lui même.
 
Source:

Diktacratie