Entretien avec Me Nicolas Gardères
Vous intervenez aux Assises de la liberté
d’expression, chez des gens qu’on peut qualifier « de droite » ou «
d’extrême droite », alors que vous êtes de « gauche », voire « d’extrême
gauche ». Tout cela pour défendre la « liberté d’expression » et
assener à l’auditoire : « Je vous aime, fils de putes ! » Depuis le
concert sauvage des Sex Pistols, sur la Tamise, en plein jubilé de la
reine d’Angleterre, en 1977, on n’avait jamais assisté à un geste aussi
punk… Qu’avez-vous à dire pour votre défense, maître Gardères ?
Militer mollement à Europe Écologie Les Verts, publier des tribunes dans Le Monde, Libé ou L’Huma, que d’autres auraient pu écrire mieux que moi, c’est bien, mais finalement tellement insuffisant face à l’ampleur de la tâche. « Ma fille ! Tu n’en fais pas assez pour combattre le Front national ! » me suis-je ainsi dit récemment. Alors oui, Dada, le situationnisme, le punk sont des sources d’inspiration, pour la dimension la plus queer de mon combat politique : aller débattre sur TV Libertés ou monter à la tribune des Assises pour la liberté d’expression, pour leur dire que leur liberté est paradoxalement indispensable à la mienne, pour leur signifier, dans un même cri, mon rejet politique et mon amour fraternel. Le débat d’idées est fondamental, mais créer de l’anomalie, de l’étrangeté, du malaise me semble essentiel, dans un contexte où beaucoup commencent à se résigner à une inéluctable victoire de Marine Le Pen. Mon modèle, c’est Dada qui va crier « Vive l’Allemagne ! » à une réunion d’anciens combattants français juste après la Première Guerre mondiale. Bien loin du médiocre frisson d’une provocation gratuite, l’idée est de sidérer, pour tenter d’enrayer, avec mes modestes moyens artisanaux, ce scénario de victoire frontiste que je refuse.
Au passage, il ne vous aura sûrement pas échappé qu’un Nicolas Gardères peut être invité à pareille sauterie, alors qu’on voit mal un Serge Ayoub – dont vous êtes, par ailleurs, l’avocat – se voir dérouler le tapis rouge à un raout du NPA…
Il convient de rappeler qu’il n’est pas fréquent que des militants de gauche soient invités à pareille sauterie. Il n’y a pas lieu de tirer, de mon cas très particulier, de ma présence keupone, des conclusions générales du genre « à l’extrême droite, les gens sont tellement plus tolérants ». Soyons sérieux. J’ai rencontré des gens sectaires et des gens ouverts des deux côtés. Cela étant rappelé, je pense qu’il y a une asymétrie des parias. Le militant classé à l’extrême droite est légitimement plus stigmatisé et rejeté que son pendant d’extrême gauche. Le militant d’extrême droite, c’est le loser assis tout seul à la cantoche du lycée. Il est tellement seul et triste qu’il accepte n’importe qui à sa table : la fille la plus moche, le mec le plus con et même un salaud venu se foutre de sa gueule.
Si l’on vous dit qu’il n’y a pas d’idées de droite ou de gauche, mais seulement des hommes de gauche ou de droite. Que les premiers sont des optimistes dépressifs, parce qu’impuissants à changer l’être humain. Et que les seconds auraient plutôt tendance à être des pessimistes joyeux, lucides quant au fait qu’on ne décambrera jamais les bananes, ça vous inspire quoi ?
C’est peut-être le grand apport paradoxal du moment maoïste que d’avoir démontré, une bonne fois pour toutes (en fait, bien sûr que non, puisqu’« une bonne fois pour toutes » n’existe pas dans l’histoire humaine), que l’être humain ne pouvait être changé. Pour autant, je ne considère pas que, malgré la persistance des rapports de domination, toutes les époques et toutes les sociétés se valent, quant aux possibilités d’épanouissement des individus. Le projet de la gauche est d’abord celui de la fluidité sociale. S’il est impossible d’abolir véritablement l’exploitation de l’homme par l’homme, essayons au moins de créer les conditions pour que le fils du bourgeois ne devienne pas automatiquement l’exploiteur de la fille du prolétaire. Être de gauche, c’est ne pas se résigner au monde, forcément injuste, tel qu’il est, et ne pas fantasmer le monde tel qu’il a été. Ce tempérament n’implique pas nécessairement de vouloir décambrer les bananes.
D’ailleurs, droite et gauche peuvent se retrouver en une même vision linéaire de l’histoire. Pour les uns, la pente de la décadence est descendante. Pour les autres, celle du progrès est ascendante. Miroir inversé ? Et si l’histoire de l’humanité n’était faite que de cycles ?
La seule chose qui importe réellement, c’est le processus, ici et maintenant et juste après. Le progrès me semble être une problématique de court et moyen terme. Au fond, l’histoire se résume essentiellement à des livres d’histoire. C’est une science pour les historiens et un loisir pour ceux qui les lisent. Je n’irai pas jusqu’à dire que la science historique ne sert qu’à divertir les gens qui s’y intéressent, mais c’est tout de même un peu l’idée. Sans, bien évidemment, remettre en cause le concept lévi-straussien d’histoire cumulative : en définitive, l’homme n’apprend rien, si ce n’est à l’échelle temporelle de sa vie d’homme. Plutôt que pour des cycles, je penche pour une sinusoïde très vaguement ascendante.
Militer mollement à Europe Écologie Les Verts, publier des tribunes dans Le Monde, Libé ou L’Huma, que d’autres auraient pu écrire mieux que moi, c’est bien, mais finalement tellement insuffisant face à l’ampleur de la tâche. « Ma fille ! Tu n’en fais pas assez pour combattre le Front national ! » me suis-je ainsi dit récemment. Alors oui, Dada, le situationnisme, le punk sont des sources d’inspiration, pour la dimension la plus queer de mon combat politique : aller débattre sur TV Libertés ou monter à la tribune des Assises pour la liberté d’expression, pour leur dire que leur liberté est paradoxalement indispensable à la mienne, pour leur signifier, dans un même cri, mon rejet politique et mon amour fraternel. Le débat d’idées est fondamental, mais créer de l’anomalie, de l’étrangeté, du malaise me semble essentiel, dans un contexte où beaucoup commencent à se résigner à une inéluctable victoire de Marine Le Pen. Mon modèle, c’est Dada qui va crier « Vive l’Allemagne ! » à une réunion d’anciens combattants français juste après la Première Guerre mondiale. Bien loin du médiocre frisson d’une provocation gratuite, l’idée est de sidérer, pour tenter d’enrayer, avec mes modestes moyens artisanaux, ce scénario de victoire frontiste que je refuse.
Au passage, il ne vous aura sûrement pas échappé qu’un Nicolas Gardères peut être invité à pareille sauterie, alors qu’on voit mal un Serge Ayoub – dont vous êtes, par ailleurs, l’avocat – se voir dérouler le tapis rouge à un raout du NPA…
Il convient de rappeler qu’il n’est pas fréquent que des militants de gauche soient invités à pareille sauterie. Il n’y a pas lieu de tirer, de mon cas très particulier, de ma présence keupone, des conclusions générales du genre « à l’extrême droite, les gens sont tellement plus tolérants ». Soyons sérieux. J’ai rencontré des gens sectaires et des gens ouverts des deux côtés. Cela étant rappelé, je pense qu’il y a une asymétrie des parias. Le militant classé à l’extrême droite est légitimement plus stigmatisé et rejeté que son pendant d’extrême gauche. Le militant d’extrême droite, c’est le loser assis tout seul à la cantoche du lycée. Il est tellement seul et triste qu’il accepte n’importe qui à sa table : la fille la plus moche, le mec le plus con et même un salaud venu se foutre de sa gueule.
Si l’on vous dit qu’il n’y a pas d’idées de droite ou de gauche, mais seulement des hommes de gauche ou de droite. Que les premiers sont des optimistes dépressifs, parce qu’impuissants à changer l’être humain. Et que les seconds auraient plutôt tendance à être des pessimistes joyeux, lucides quant au fait qu’on ne décambrera jamais les bananes, ça vous inspire quoi ?
C’est peut-être le grand apport paradoxal du moment maoïste que d’avoir démontré, une bonne fois pour toutes (en fait, bien sûr que non, puisqu’« une bonne fois pour toutes » n’existe pas dans l’histoire humaine), que l’être humain ne pouvait être changé. Pour autant, je ne considère pas que, malgré la persistance des rapports de domination, toutes les époques et toutes les sociétés se valent, quant aux possibilités d’épanouissement des individus. Le projet de la gauche est d’abord celui de la fluidité sociale. S’il est impossible d’abolir véritablement l’exploitation de l’homme par l’homme, essayons au moins de créer les conditions pour que le fils du bourgeois ne devienne pas automatiquement l’exploiteur de la fille du prolétaire. Être de gauche, c’est ne pas se résigner au monde, forcément injuste, tel qu’il est, et ne pas fantasmer le monde tel qu’il a été. Ce tempérament n’implique pas nécessairement de vouloir décambrer les bananes.
D’ailleurs, droite et gauche peuvent se retrouver en une même vision linéaire de l’histoire. Pour les uns, la pente de la décadence est descendante. Pour les autres, celle du progrès est ascendante. Miroir inversé ? Et si l’histoire de l’humanité n’était faite que de cycles ?
La seule chose qui importe réellement, c’est le processus, ici et maintenant et juste après. Le progrès me semble être une problématique de court et moyen terme. Au fond, l’histoire se résume essentiellement à des livres d’histoire. C’est une science pour les historiens et un loisir pour ceux qui les lisent. Je n’irai pas jusqu’à dire que la science historique ne sert qu’à divertir les gens qui s’y intéressent, mais c’est tout de même un peu l’idée. Sans, bien évidemment, remettre en cause le concept lévi-straussien d’histoire cumulative : en définitive, l’homme n’apprend rien, si ce n’est à l’échelle temporelle de sa vie d’homme. Plutôt que pour des cycles, je penche pour une sinusoïde très vaguement ascendante.
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