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C’est un sondage, réalisé au profit de médias russes, qui a été abondamment relayé par les médias (exemple parmi d’autres : l’Express) : 15% des Français, et 25% des jeunes Français, auraient une opinion favorable de l’Etat islamique en Irak et au Levant. Précisons d’emblée un point : il ne s’agit pas de 15% des Français (ou 25% des jeunes Français) mais de 15 % des sondés résidant en France (25% des jeunes sondés résidant en France)[i].
J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ma méfiance à l’égard des sondages (lire ici, et plus particulièrement là). Celui-là, comme souvent, est particulièrement révélateur de leur tendance à ne rien apporter dans la connaissance de ce que l’on baptise, sans doute à tort, « l’opinion publique ».
Comme presque toujours, ce sondage a été réalisé par téléphone et sans que l’institut de sondage ne divulgue précisément ses méthodes. Toutefois, comme me le faisait remarquer un aimable lecteur, l’institut de sondage a, une fois n’est pas coutume, publié un détail relativement précis de son échantillon (ici) (mais peut-être est-ce une obligation légale au Royaume-Uni, où est domicilié cet institut – ce n’est pas le cas en France).
Première remarque (page 3) : les pourcentages sont obtenus une fois déduits ceux qui ne se prononcent pas. Ceux-ci représentent environ 22% des réponses. Ce qui fait que lorsqu'on les prend en compte, les 25% de jeunes sympathisants de l'EIIL tombent à 19% des jeunes français interrogés !
Deuxième remarque (même page) : il y a donc eu 62 jeunes français à se dire plus ou moins favorables à l'EIIL. Est-ce que cela veut vraiment dire quelque chose ? Peut-on dire que 62 personnes sur 258 sont représentatives de la jeunesse française ? La réponse est dans la question ...
Au global, cette enquête a été réalisée auprès de 1006 personnes, soit 0,0016% de la population française. Ce qui amène les mêmes questions et les mêmes réponses …
On rajoutera que ces parmi 62 jeunes français (ou jeunes personnes disposant d’un téléphone avec un numéro français, car l’institut ne peut rien vérifier de ce que déclarent les sondés, à commencer par leur âge …) qui disent avoir une bonne opinion de l’EIIL, une bonne part d’entre eux a probablement dû répondre sans vraiment savoir ce qu’est l’EIIL (d’autant plus que le sondage a été réalisé entre le 11 et le 21 juillet, en pleine période estivale à une époque où les médias en parlait encore assez peu). Rajoutons que la question relative à l’EIIL a très bien pu être noyée dans une multitude d’autres questions sans rapport entre elles. En effet, pour limiter leurs coûts, les instituts réalisent généralement plusieurs sondages simultanément auprès des mêmes sondés. Avant la question sur l’EIIL, on a du très bien pu interroger les sondés sur (par exemple) leur marque de cacahuètes préférée puis, une fois la fameuse question passée, sur la date de leur dernier passage chez le dentiste. Les sondeurs sont de plus payés au nombre de questionnaires remplis ; ils n’ont donc aucun intérêt à passer du temps sur les questions posées avec les sondés (ces derniers ayant souvent, pour ceux qui en ont fait l’expérience, très rapidement la plus grande hâte d’en finir avec ces multiples questions qui ne leur apportent rien).
Bref, tout cela ne veut pas dire grand-chose, si ce n’est une agitation médiatique de plus qui consiste à vendre de la peur aux gens.
Notes |
[i] Et même encore plus précisément : du pourcentage de sondés disposant d’une ligne téléphonique (fixe ou mobile) domiciliée en France. |
Source |
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