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mardi 3 mars 2015

Chantal Delsol : non, les populistes européens ne sont pas des demeurés



Chantal Delsol : non, les populistes européens ne sont pas des demeurés
 
 Alexandre Devecchio
 
À l'occasion de la sortie de son dernier livre Populisme, les demeurés de l'histoire, le philosophe revient sur cette notion controversée. Elle évoque notamment la victoire de Syriza en Grèce et la montée en puissance du FN en France.

Le titre de votre dernier livre, «Populisme, les demeurés de l'histoire», est assez provocateur. Les partis populistes sont-ils vraiment des idiots ?

Il faut repartir de l'idiotès grec qui signifie «le particulier», celui qui est engoncé dans sa particularité, celui qui ne s'élève pas à l'universel. Le mot français «idiot» vient de là. Et précisément c'est cela que l'on reproche aux populistes aujourd'hui -de trop s'intéresser à ce qui est plus proche (l'identité, la patrie, par exemple) au détriment de ce qui est universel (le monde).

Selon vous, le mot «populiste» est une injure utilisée par l'idéologie dominante pour discréditer l'adversaire. Mais dans ce cas, comment les démocraties peuvent-elles combattre les démagogues, ceux qui jouent la facilité contre la réalité ?

En effet ce mot est essentiellement ou même uniquement une injure, puisqu'il n'est jamais revendiqué par les partis ou groupes qui en sont accusés.

Je maintiens que le populisme est autre chose que la démagogie. Le démagogue flatte les désirs populaires qui vont contre l'intérêt général (par exemple les citoyens qui ne veulent pas payer des impôts ou partir à la guerre). Tandis que le populiste flatte les enracinements de proximité (le souverainisme contre l'Europe, par exemple). C'est très différent: on peut accuser les démagogues de flatter les égoïsmes mais ceux qui sont dits populistes s'adressent à des opinions, que l'on traite en égoïsme pour mieux les discréditer. Ce n'est pas de l'égoïsme que d'être souverainiste: c'est une opinion.

Les démocraties ont toujours du mal à combattre la démagogie parce qu'elle s'insinue partout: il est très difficile à un gouvernant démocratique, quel que soit son parti, de ne pas avoir envie de plaire à ses électeurs…

Qualifieriez-vous le FN en France ou Syriza en Grèce de partis populistes? Si non, dans quelle famille politique les rangez-vous ?

Comme le terme «populiste» est une injure uniquement, on ne peut catégoriser comme «populistes» que les groupes nommés tels par la presse et les élites. Vous aurez remarqué par exemple que Syriza n'a pas ou pratiquement pas été traité de populiste. Je dirais que Syriza est un parti de gauche radicale, et le FN un parti de droite nationale. En tout cas pour donner les noms que les partis se donnent à eux-mêmes. Sinon, on tombe dans l'injure, et dans la polémique, ce qui est une autre affaire. Ce qui n'est pas normal, c'est que certains partis ne soient jamais nommés que par les injures et la polémique. Personne ne mérite cela. Ou alors, si vraiment ils le méritent, il fallait les interdire.

L'Union européenne a systématiquement rejeté ses opposants dans le camp «des populistes». Manque-t-elle ainsi à sa vocation démocratique? Peut-on aller jusqu'à parler de démocratie pervertie ?

Oui on peut parler de démocratie pervertie. Je trouve tout à fait normal que l'on interdise des partis jugés anti-démocratiques (comme cela a été le cas des post-nazis en Allemagne et des communistes aux États-Unis). C'est une décision que prend une société, et il est normal que la démocratie se défende contre des groupes qui profitent d'elle pour ensuite la détruire, comme les communistes et les nazis l'ont fait au XX° siècle. Mais je trouve tout à fait scandaleux que l'on injurie les opposants. Ou bien ceux-ci appartiennent à la démocratie, et dans ce cas leurs arguments sont aussi respectables que d'autres, ou bien on les interdit.

La demi-capitulation de Syriza face à celle-ci, ne démontre-t-elle pas que la marge de manœuvre reste très faible pour une autre politique ?

Naturellement, et d'ailleurs les Grecs n'espèrent pas que Syriza rétablisse la situation. Ils veulent seulement restaurer leur fierté. C'est fait. Syriza n'arrivera à rien et le FN n'arriverait à rien non plus en France.

Comme vous le soulignez, «les populismes européens ne revendiquent pas la suppression de la démocratie… ils réclament au contraire une alternative, une diversité, un débat». Sont-ils finalement des fossoyeurs ou des sauveurs de la démocratie ?

Ni l'un ni l'autre. Je suis bien persuadée qu'ils ne sauveront rien du tout. Ils ne sont que les symptômes d'une maladie démocratique. C'est bien une démocratie malade qui interdit l'expression de certains courants d'opinion en les traitant de fascistes mais sans avoir le courage de les interdire comme tels (parce que précisément ils ne sont pas fascistes). Les partis dits populistes sont accusés évidemment d'être anti-démocratiques parce que c'est l'injure la plus facile. Si l'on prend le cas de la France, un parti qui détient environ 25% des voix et a deux sièges au Parlement ressemble plutôt à un parti qui voudrait rentrer dans la démocratie. Souvenez-vous de la ceinture rouge de Paris où les urnes étaient sans cesse bourrées, et on n'accusait jamais le Parti communiste d'être anti-démocratique! Si les partis populistes se mettaient à bourrer les urnes, ils ne feraient pas long feu, croyez-moi, car les médias ne leur laissent rien passer.

Selon vous, le mot populisme traduit une forme de mépris de classe. Ne craignez-vous pas d'alimenter la fracture entre les «élites» et le peuple, voire même le retour de la lutte des classes ?

La lutte des classes que décrivait Marx est une réalité historique, en tout cas dans les pays libres car il n'y a pas de classes sous les despotismes. Naturellement elle est plus ou moins forte selon les époques. En ce moment l'utilisation du mot populisme marque la force de la lutte des classes en France, qui est davantage d'ailleurs une lutte idéologique greffée sur la classe (les Deschiens sont détestés moins parce qu'ils se tiennent mal que parce qu'ils sont homophobes et vont au Puy du Fou!). J'ai décrit la création de personnages comme Monbeauf ou la famille Deschiens, traduisant la profonde haine des élites françaises à l'égard du peuple, et quand j'écoute les chansons françaises là-dessus, cela me fait penser à ce serment affreux que prêtaient les oligarques en Grèce avant la démocratie «je jure de faire au peuple tout le mal que je pourrai».
notes
Membre de l'Institut, Chantal Delsol est philosophe et historienne des idées. Son dernier livre «Populisme. Les demeurés de l'histoire» vient de paraître aux éditions du Rocher.  

Source:

Le Figaro