Wolfgang Streeck
Si tout se passe bien, nous assistons au
commencement de la fin de l’union monétaire européenne. « Si l’euro
échoue, l’Europe échoue », disait Angela Merkel. Aujourd’hui, c’est
exactement l’inverse. L’euro est en train de détruire l’Europe. Si
l’euro échoue, il se pourrait quand même que l’Europe finisse par ne pas
échouer. Ce n’est pas certain : les blessures qu’a causées l’union
monétaire sont trop profondes.
Avec l’arrivée au pouvoir en Grèce du parti de gauche Syriza, en alliance avec un parti groupusculaire d’extrême droite, le projet monstrueux consistant à greffer une monnaie commune à des sociétés ayant des économies différentes semble devoir connaître la fin qu’il mérite.
On en avait pourtant fait, des tentatives ! On avait commencé par installer à la place des gouvernements élus des technocrates issus des bureaucraties financières privées et publiques, mais les peuples ingrats les ont renvoyés chez eux. L’ère de la docilité européenne est ainsi révolue : les institutions démocratiques ont rejeté les implants bruxellois. Et cela va continuer : en Espagne, le parti frère de Syriza, Podemos, enverra aux pâquerettes le Partido Popular.
Personne ne peut savoir ce qui va sortir des négociations que l’on vient d’entamer. Syriza a des avis divergents quant à savoir si la Grèce doit rester ou non dans l’euro. Beaucoup de choses sont possibles. De l’autre côté, l’Italie et l’Espagne jurent qu’elles soutiennent la politique commune de « réforme » et de « sauvetage » – mais il est clair qu’elles réclameront pour elles les concessions que négociera la Grèce. Cela va coûter très cher au Nord. Syriza en chien démineur, chargé de repérer jusqu’où l’Allemagne est prête à aller pour préserver la cohésion de l’union monétaire ?
Restrictions humiliantes
Peut-être les artistes bruxellois de la négociation réussiront-ils à immobiliser la Grèce dans un premier temps et à faire passer l’été à l’euro. Cela produira peut-être l’effet collatéral désiré : provoquer la scission de Syriza et ruiner sa réputation auprès des électeurs. En menant à bien l’assainissement fiscal de la Grèce, puis celui, dès lors inévitable, des autres pays débiteurs, on n’aura rien gagné.
Même si l’économie grecque se stabilisait à son niveau actuel, les gigantesques disparités que les « réformes » ont fait naître entre l’Europe du Nord et du Sud persisteraient, et cela vaudrait aussi pour l’Italie et pour l’Espagne si elles se rendaient « compétitives » au sens où l’entendent les normes de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne (UE).
On réclamerait alors des compensations par redistribution ou par « relance » de la croissance, sous forme de crédits ou d’aides structurelles relevant de la politique régionale, ou du moins le rétablissement des relations telles qu’elles étaient avant la crise et le sauvetage : un conflit de redistribution déplacé au niveau des relations entre Etats. Et cette revendication, c’est à l’Allemagne qu’on l’adresserait, en même temps qu’à quelques pays de plus petite taille, comme les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande – la France intervenant alors comme « médiateur ».
Ainsi débuterait un conflit durable qui provoquerait l’éclatement de l’Europe. L’Allemagne, le Nord, ne pourraient échapper aux négociations prévisibles. On peut s’attendre à ce que les bailleurs considèrent que les paiements qui leur sont réclamés sont trop élevés tandis que les pays bénéficiaires jugeront que l’argent ne coule pas assez, et seulement au prix de restrictions humiliantes de leur souveraineté.
Ce conflit structurel existera tant que l’union monétaire subsistera. Si celle-ci ne se brise pas sur le conflit en question parce que les gouvernements s’accrochent obstinément à leur « expérimentation frivole » ou si le secteur allemand de l’exportation croit devoir s’accrocher jusqu’à la victoire finale à son « idée européenne », alors cet idéalisme provoquera l’éclatement de l’Europe. Mettre un terme, dès que possible, à l’union monétaire sous sa forme actuelle est donc avant tout dans l’intérêt, sinon économique, du moins politique de l’Allemagne.
Haïe
Dans les pays de l’espace méditerranéen, y compris en France, l’Allemagne est aujourd’hui plus haïe qu’elle ne l’a jamais été depuis la seconde guerre mondiale. L’injection financière de la BCE en janvier n’a eu qu’un seul effet certain : le sentiment de triomphe qu’a provoqué dans le sud de l’Europe la défaite allemande au conseil de la banque. Le héros de l’Italie s’appelle Mario Draghi, parce qu’on considère qu’il a pris les Allemands par la ruse et les a humiliés.
Le dévalement européen de l’Allemagne est en bonne partie un héritage à long terme de cet « Européen passionné » qu’était Helmut Kohl. Quand des accords menaçaient d’échouer en raison d’un désaccord sur la répartition des frais, Kohl se montrait toujours disposé à payer la facture. Ce qui peut avoir été dans l’intérêt de l’Allemagne pour des raisons historiques, le folklore politique l’a porté au compte de convictions personnelles de Kohl, mais cette attitude a suscité des espoirs qui sont allés au-delà de son mandat.
Pour les successeurs de Kohl de tous bords, les intérêts de l’économie exportatrice allemande et de ses syndicats justifieraient à eux seuls qu’ils fassent tout en vue de répondre à ces attentes et, le cas échéant, qu’ils financent seuls la cohésion de l’union économique européenne. Or cela, ces héritiers n’en sont plus capables.
L’approfondissement du processus d’intégration, souhaité par nombre de bons Européens, a eu pour conséquence sa politisation et la naissance d’une opinion publique qui a mis un terme au « consensus permissif » sur la politique européenne d’intégration.
Contrairement à ce que l’on expliquait, la vie publique européenne ne s’est pas installée sous forme de politique intérieure, mais d’une politique extérieure dans laquelle dominent les conflits entre Etats et où l’objectif d’une union sans cesse plus étroite, auquel on ne prêtait jadis qu’une attention secondaire, est devenu de plus en plus contesté. Au sein de l’union monétaire, les indispensables subventions d’intégration ont atteint un tel niveau qu’elles dépassent largement les possibilités de l’Allemagne.
On peut considérer que le gouvernement Merkel serait volontiers disposé à faire payer un prix très élevé à ses contribuables pour imposer son « idée européenne » d’un marché intérieur supranational sans dévaluation pour les machines et les automobiles allemandes, et l’on peut en dire autant, même si c’est pour des raisons en partie différentes, de l’opposition rassemblée au Bundestag. L’émergence en 2013 du parti anti-euro AfD dans la politique intérieure allemande ne l’a toutefois pas permis.
Catastrophe géostratégique
Comme le consensus permissif a lui aussi toujours été lié à un système où tout ce qui devait servir l’intégration n’était pas connu du public, on pourrait continuer à travailler pour dissimuler les concessions allemandes dans de quelconques galeries technocratiques creusées en profondeur, ce à quoi se prêterait en particulier très bien la BCE. Mais cela aussi est devenu impossible avec les élections en Grèce.
Les tiraillements auxquels on peut s’attendre autour du « programme de croissance », des remises de dettes et de la mutualisation des risques, d’une part, des droits d’entrée dans les gouvernements, de l’autre, se dérouleront sous l’impitoyable lumière de l’opinion publique, sous les cris d’alarme ou de triomphe, selon la situation, de l’AfD en Allemagne et de presque tous les partis dans les pays débiteurs.
L’union monétaire a réduit à néant la politique européenne allemande et les succès qu’elle avait obtenus au fil de longues décennies. Si nous ne faisons pas attention, elle peut aussi à présent avoir des conséquences catastrophiques sur le plan géostratégique. La Russie est prête à accorder à la Grèce les crédits qui lui seraient refusés par l’UE.
La même idée pourrait s’appliquer en cas de faillite de l’Etat grec ou si ce pays était exclu de l’union monétaire européenne. Si l’on en arrivait là, on se retrouverait face à une asymétrie aussi spécifique qu’unique : de la même manière que l’UE, encouragée par les Etats-Unis, tente de mettre un pied en Ukraine, la Russie pourrait travailler à établir en Grèce une tête de pont vers l’Europe de l’Ouest.
L’instant de vérité
Chacune des deux parties se verrait alors contrainte de remplir un puits sans fond dans la zone d’influence de l’autre (les Grecs auraient ici motif de s’étonner que Bruxelles, Berlin et compagnie aient encore de l’argent pour une Ukraine largement oligarchique, mais pas pour une Grèce dirigée par un gouvernement de gauche). De la même manière que l’Ouest a voulu étendre son emprise en direction de Sébastopol, avec son port militaire russe vers les mers chaudes, la Russie pourrait vouloir pousser la sienne vers l’Egée, espace de manœuvre de la 6e Flotte des Etats-Unis. Ce serait un retour aux conflits géostratégiques de l’après-guerre, qui virent, en 1946, l’intervention des troupes britanniques dans la guerre civile grecque.
L’instant de vérité est arrivé pour une politique d’intégration européenne qui a échappé à tout contrôle, dont le moteur est le capital financier. Pour que l’Europe ne se transforme pas en un marécage d’incriminations réciproques entre nations, avec des frontières ouvertes et en courant à tout moment le risque d’être submergée de l’extérieur, il faut démanteler ce monstre qu’est l’union monétaire.
Le démantèlement doit se dérouler sur la base du contrat social, avant que l’atmosphère ne soit trop empoisonnée pour cela. Comment s’y prendre : voilà ce dont on doit débattre. Il faut permettre aux pays du Sud une sortie en douceur, peut-être au sein d’un euro du Sud qui n’exigera pas de leur part des « réformes » détruisant leurs sociétés.
Quant à ceux qui, au début de l’union monétaire, leur ont fait l’article en leur promettant qu’ils pourraient jouir sans fin des crédits issus des subprimes, ils doivent le payer, tout comme ceux qui savaient de quoi il retournait et n’ont rien dit. Au lieu de l’étalon-or de fait que l’on utilise dans le rapport avec l’Europe du Nord, il faut mettre en place un régime monétaire qui permette la flexibilité tout en excluant l’arbitraire. Les économistes sont de plus en plus nombreux à le réclamer, et l’on compte parmi eux des poids lourds comme l’Américain Alan Meltzer. Nous devons faire ce qui est nécessaire – non pas pour sauver l’euro, mais pour sauver l’Europe .
Avec l’arrivée au pouvoir en Grèce du parti de gauche Syriza, en alliance avec un parti groupusculaire d’extrême droite, le projet monstrueux consistant à greffer une monnaie commune à des sociétés ayant des économies différentes semble devoir connaître la fin qu’il mérite.
On en avait pourtant fait, des tentatives ! On avait commencé par installer à la place des gouvernements élus des technocrates issus des bureaucraties financières privées et publiques, mais les peuples ingrats les ont renvoyés chez eux. L’ère de la docilité européenne est ainsi révolue : les institutions démocratiques ont rejeté les implants bruxellois. Et cela va continuer : en Espagne, le parti frère de Syriza, Podemos, enverra aux pâquerettes le Partido Popular.
Personne ne peut savoir ce qui va sortir des négociations que l’on vient d’entamer. Syriza a des avis divergents quant à savoir si la Grèce doit rester ou non dans l’euro. Beaucoup de choses sont possibles. De l’autre côté, l’Italie et l’Espagne jurent qu’elles soutiennent la politique commune de « réforme » et de « sauvetage » – mais il est clair qu’elles réclameront pour elles les concessions que négociera la Grèce. Cela va coûter très cher au Nord. Syriza en chien démineur, chargé de repérer jusqu’où l’Allemagne est prête à aller pour préserver la cohésion de l’union monétaire ?
Restrictions humiliantes
Peut-être les artistes bruxellois de la négociation réussiront-ils à immobiliser la Grèce dans un premier temps et à faire passer l’été à l’euro. Cela produira peut-être l’effet collatéral désiré : provoquer la scission de Syriza et ruiner sa réputation auprès des électeurs. En menant à bien l’assainissement fiscal de la Grèce, puis celui, dès lors inévitable, des autres pays débiteurs, on n’aura rien gagné.
Même si l’économie grecque se stabilisait à son niveau actuel, les gigantesques disparités que les « réformes » ont fait naître entre l’Europe du Nord et du Sud persisteraient, et cela vaudrait aussi pour l’Italie et pour l’Espagne si elles se rendaient « compétitives » au sens où l’entendent les normes de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne (UE).
On réclamerait alors des compensations par redistribution ou par « relance » de la croissance, sous forme de crédits ou d’aides structurelles relevant de la politique régionale, ou du moins le rétablissement des relations telles qu’elles étaient avant la crise et le sauvetage : un conflit de redistribution déplacé au niveau des relations entre Etats. Et cette revendication, c’est à l’Allemagne qu’on l’adresserait, en même temps qu’à quelques pays de plus petite taille, comme les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande – la France intervenant alors comme « médiateur ».
Ainsi débuterait un conflit durable qui provoquerait l’éclatement de l’Europe. L’Allemagne, le Nord, ne pourraient échapper aux négociations prévisibles. On peut s’attendre à ce que les bailleurs considèrent que les paiements qui leur sont réclamés sont trop élevés tandis que les pays bénéficiaires jugeront que l’argent ne coule pas assez, et seulement au prix de restrictions humiliantes de leur souveraineté.
Ce conflit structurel existera tant que l’union monétaire subsistera. Si celle-ci ne se brise pas sur le conflit en question parce que les gouvernements s’accrochent obstinément à leur « expérimentation frivole » ou si le secteur allemand de l’exportation croit devoir s’accrocher jusqu’à la victoire finale à son « idée européenne », alors cet idéalisme provoquera l’éclatement de l’Europe. Mettre un terme, dès que possible, à l’union monétaire sous sa forme actuelle est donc avant tout dans l’intérêt, sinon économique, du moins politique de l’Allemagne.
Haïe
Dans les pays de l’espace méditerranéen, y compris en France, l’Allemagne est aujourd’hui plus haïe qu’elle ne l’a jamais été depuis la seconde guerre mondiale. L’injection financière de la BCE en janvier n’a eu qu’un seul effet certain : le sentiment de triomphe qu’a provoqué dans le sud de l’Europe la défaite allemande au conseil de la banque. Le héros de l’Italie s’appelle Mario Draghi, parce qu’on considère qu’il a pris les Allemands par la ruse et les a humiliés.
Le dévalement européen de l’Allemagne est en bonne partie un héritage à long terme de cet « Européen passionné » qu’était Helmut Kohl. Quand des accords menaçaient d’échouer en raison d’un désaccord sur la répartition des frais, Kohl se montrait toujours disposé à payer la facture. Ce qui peut avoir été dans l’intérêt de l’Allemagne pour des raisons historiques, le folklore politique l’a porté au compte de convictions personnelles de Kohl, mais cette attitude a suscité des espoirs qui sont allés au-delà de son mandat.
Pour les successeurs de Kohl de tous bords, les intérêts de l’économie exportatrice allemande et de ses syndicats justifieraient à eux seuls qu’ils fassent tout en vue de répondre à ces attentes et, le cas échéant, qu’ils financent seuls la cohésion de l’union économique européenne. Or cela, ces héritiers n’en sont plus capables.
L’approfondissement du processus d’intégration, souhaité par nombre de bons Européens, a eu pour conséquence sa politisation et la naissance d’une opinion publique qui a mis un terme au « consensus permissif » sur la politique européenne d’intégration.
Contrairement à ce que l’on expliquait, la vie publique européenne ne s’est pas installée sous forme de politique intérieure, mais d’une politique extérieure dans laquelle dominent les conflits entre Etats et où l’objectif d’une union sans cesse plus étroite, auquel on ne prêtait jadis qu’une attention secondaire, est devenu de plus en plus contesté. Au sein de l’union monétaire, les indispensables subventions d’intégration ont atteint un tel niveau qu’elles dépassent largement les possibilités de l’Allemagne.
On peut considérer que le gouvernement Merkel serait volontiers disposé à faire payer un prix très élevé à ses contribuables pour imposer son « idée européenne » d’un marché intérieur supranational sans dévaluation pour les machines et les automobiles allemandes, et l’on peut en dire autant, même si c’est pour des raisons en partie différentes, de l’opposition rassemblée au Bundestag. L’émergence en 2013 du parti anti-euro AfD dans la politique intérieure allemande ne l’a toutefois pas permis.
Catastrophe géostratégique
Comme le consensus permissif a lui aussi toujours été lié à un système où tout ce qui devait servir l’intégration n’était pas connu du public, on pourrait continuer à travailler pour dissimuler les concessions allemandes dans de quelconques galeries technocratiques creusées en profondeur, ce à quoi se prêterait en particulier très bien la BCE. Mais cela aussi est devenu impossible avec les élections en Grèce.
Les tiraillements auxquels on peut s’attendre autour du « programme de croissance », des remises de dettes et de la mutualisation des risques, d’une part, des droits d’entrée dans les gouvernements, de l’autre, se dérouleront sous l’impitoyable lumière de l’opinion publique, sous les cris d’alarme ou de triomphe, selon la situation, de l’AfD en Allemagne et de presque tous les partis dans les pays débiteurs.
L’union monétaire a réduit à néant la politique européenne allemande et les succès qu’elle avait obtenus au fil de longues décennies. Si nous ne faisons pas attention, elle peut aussi à présent avoir des conséquences catastrophiques sur le plan géostratégique. La Russie est prête à accorder à la Grèce les crédits qui lui seraient refusés par l’UE.
La même idée pourrait s’appliquer en cas de faillite de l’Etat grec ou si ce pays était exclu de l’union monétaire européenne. Si l’on en arrivait là, on se retrouverait face à une asymétrie aussi spécifique qu’unique : de la même manière que l’UE, encouragée par les Etats-Unis, tente de mettre un pied en Ukraine, la Russie pourrait travailler à établir en Grèce une tête de pont vers l’Europe de l’Ouest.
L’instant de vérité
Chacune des deux parties se verrait alors contrainte de remplir un puits sans fond dans la zone d’influence de l’autre (les Grecs auraient ici motif de s’étonner que Bruxelles, Berlin et compagnie aient encore de l’argent pour une Ukraine largement oligarchique, mais pas pour une Grèce dirigée par un gouvernement de gauche). De la même manière que l’Ouest a voulu étendre son emprise en direction de Sébastopol, avec son port militaire russe vers les mers chaudes, la Russie pourrait vouloir pousser la sienne vers l’Egée, espace de manœuvre de la 6e Flotte des Etats-Unis. Ce serait un retour aux conflits géostratégiques de l’après-guerre, qui virent, en 1946, l’intervention des troupes britanniques dans la guerre civile grecque.
L’instant de vérité est arrivé pour une politique d’intégration européenne qui a échappé à tout contrôle, dont le moteur est le capital financier. Pour que l’Europe ne se transforme pas en un marécage d’incriminations réciproques entre nations, avec des frontières ouvertes et en courant à tout moment le risque d’être submergée de l’extérieur, il faut démanteler ce monstre qu’est l’union monétaire.
Le démantèlement doit se dérouler sur la base du contrat social, avant que l’atmosphère ne soit trop empoisonnée pour cela. Comment s’y prendre : voilà ce dont on doit débattre. Il faut permettre aux pays du Sud une sortie en douceur, peut-être au sein d’un euro du Sud qui n’exigera pas de leur part des « réformes » détruisant leurs sociétés.
Quant à ceux qui, au début de l’union monétaire, leur ont fait l’article en leur promettant qu’ils pourraient jouir sans fin des crédits issus des subprimes, ils doivent le payer, tout comme ceux qui savaient de quoi il retournait et n’ont rien dit. Au lieu de l’étalon-or de fait que l’on utilise dans le rapport avec l’Europe du Nord, il faut mettre en place un régime monétaire qui permette la flexibilité tout en excluant l’arbitraire. Les économistes sont de plus en plus nombreux à le réclamer, et l’on compte parmi eux des poids lourds comme l’Américain Alan Meltzer. Nous devons faire ce qui est nécessaire – non pas pour sauver l’euro, mais pour sauver l’Europe .
Notes: |
Wolfgang Streeck (Sociologue de
l’économie et professeur à l’université de Cologne) est notamment
l’auteur de l’essai Du temps acheté. La crise sans cesse ajournée du
capitalisme démocratique (Gallimard, 2014). (Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni) |
Source: |
Le Monde.fr