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lundi 14 novembre 2016

Adolf Hitler et le sionisme : un problème très complexe



Quand les politiciens (et certains journalistes) se jettent sur une question historique, on peut être assuré qu’ils vont dire ou écrire n’importe quoi, faisant dans la généralisation abusive et l’approximation, non pour éclairer le public, mais pour faire parler d’eux ou, pour les rares idéalistes, faire avancer leur cause, fût-ce au prix des plus grands mensonges.


Le sionisme est un espoir juif, bien connu en Europe depuis le XVIIe siècle, réactualisé au XIXe : faire revenir tout ou partie des Juifs en Palestine biblique, soit les terres situées à l’Ouest du Jourdain. C’est l’application d’une phrase rituelle : « l’An prochain à Jérusalem », Leitmotiv de la tradition rabbinique depuis la 2e Diaspora juive qui a suivi la destruction du Temple, en 70, sur l’ordre de Titus Flavius.

En hébreu, on nomme Alyah le retour en Palestine, cette Terre promise par Yahvé à son peuple élu, si l’on croit Moïse. Le sionisme est aussi vieux que l’exil des Juifs. Theodor Herzl n’a fait que lui donner une énorme publicité à la fin du XIXe.

Par son livre de 1895, Herzl en a aussi modifié l’application géographique, pour l’adapter aux conditions politiques de son époque. « La question juive existe partout où vivent des Juifs. Lorsqu’elle n’existe pas, elle est importée par l’arrivée de Juifs dans le pays… Le sionisme offre une heureuse solution à la question juive », à ceci près, que pour Herzl, sionisme signifie création d’un État juif indépendant n’importe où sur Terre, à défaut de pouvoir l’implanter en Palestine. Les Congrès sionistes évoqueront la possibilité de créer un État juif à Chypre, au Sinaï, en Afrique australe, au Kenya (qu’Herzl, brouillé avec la géographie, confond avec l’Ouganda).

Or, le mot « sionisme », forgé en 1885 par Nathan Birnbaum, implique de reprendre possession de la colline de Sion, soit l’un des sommets de Jérusalem (avec le Golgotha et le Mont des Oliviers). C’est la signification précise du terme hébreu Yishouv : le foyer juif de Palestine. Depuis 1854, des Juifs, venus d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie, se sont installés dans les plaines de Judée et de Samarie, après avoir racheté des terres aux cheikhs palestiniens. Riche d’un millier de Juifs en 1830, la Palestine en compte environ 10 000, tous Sépharades, vers l’an 1900. En 1901, excédé par les récriminations des musulmans, le sultan-calife turc Abdul-Hamid II interdit toute nouvelle immigration juive en Palestine.

Pour assurer une longévité à son gouvernement et favoriser l’entrée en guerre des USA, David Lloyd George reprend le projet sioniste en décembre 1916, étant sollicité par le chimiste Chaïm Weizmann et Nahum Sokolow (qui succèdera au précédent, en 1931, à la tête de l’Organisation Sioniste Mondiale), tandis qu’à Washington, Louis Brandeis, juge à la Cour suprême, et, à New York, le très intrigant Samuel Untermeyer, les banquiers Jakob Schiff, Louis Warburg et consorts, convertissent à l’idée sioniste le Président Thomas-Woodrow Wilson, réélu en novembre 1916.

Le 2 novembre 1917, le secrétaire d’État au Foreign Office, Lord Arthur Balfour, fait savoir à Lord Lionel Rothschild, patron du mouvement sioniste en Grande-Bretagne, que « Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement d’un foyer national en Palestine pour le peuple juif… sans porter atteinte aux droits civils et religieux des collectivités non-juives de Palestine ». Wilson, seul chef d’État consulté au préalable, a donné son accord le 16 octobre. Clemenceau et Poincaré, travaillés par Victor Basch, le président juif de la Ligue des Droits de l’Homme, approuvent au nom du peuple français, le 9 février 1918, le gouvernement italien en fait autant le 9 mai, mais aussi le Kaiser Guillaume II et le grand-vizir turc Talaat Pacha, car dans les Empires Centraux, on n’a jamais pratiqué l’antijudaïsme institutionnel, à la différence de ce qui se passait dans l’Empire russe. Le 30 juin 1922, après un rude débat, le Congrès des USA approuve la Déclaration Balfour.
Les Juifs antisionistes, majoritaires en France, aux USA et en Allemagne, reprochent au texte d’être une invitation permanente, pour d’éventuels gouvernements antijudaïques, à organiser une émigration forcée de leurs coreligionnaires vers le Foyer juif de Palestine. Ils ont amplement raison.

De 1919 à 1939 (et au-delà, bien sûr), il n’y aura pratiquement pas d’année sans combat meurtrier entre Juifs et musulmans en Palestine, placée sous mandat britannique par la Société des Nations. C’est pour tenter de faire pencher la balance du maître britannique en faveur des Juifs, qu’en 1929 lors de son XVIe Congrès, l’Organisation Sioniste Mondiale crée l’Agence Juive de Palestine (AJP), officiellement destinée à coopérer avec les bureaux du Haut-Commissaire britannique et qui, en fait, se comporte en gouvernement occulte, une fois remplacé Chaïm Weizmann (anglophile autant que germanophobe) à sa tête.
Les Britanniques sont fort sensibles à toute agitation musulmane : les puits de pétrole sont situés en terres d’islam. En outre, le gros problème des Juifs de Palestine ce sont les haines entre factions juives. De façon schématique (car il existe une foule de groupuscules), on peut différentier trois grandes tendances :
1 – Les sionistes racistes, divisés en partisans d’un régime laïc et d’autres qui prônent une théocratie, divisés en bourgeois libéraux (du type Chaïm Weizmann) et en socialistes (dirigés par David Gryn-‘’Ben Gourion’’, Viktor Arlosoroff et Moshe Shertok). Ils veulent créer un État indépendant qui soit peuplé exclusivement de Juifs, où soient interdits les mariages mixtes.

2 – Les partisans non-racistes d’un État binational judéo-palestinien laïc, avec deux grandes tendances : les tenants d’une économie libérale et les marxistes

3 – Les « sionistes révisionnistes » dirigés par Wladimir Jabotinsky ou ‘’Jabo’’, racistes et violents, antiparlementaires, également prêts à l’assassinat de Palestiniens, de Britanniques et d’adversaires politiques juifs. Ils veulent un État autoritaire et une économie libérale.

L’année 1933 modifie la donne, bien sûr. En Allemagne nazie, la situation est moins claire qu’on ne le croit usuellement. Certes, Alfred Rosenberg (affaires culturelles du NSDAP), Reinhard Heydrich (Sipo-SD ou Police de Sécurité et service de renseignements du Parti), Otto v. Hentig (division du Moyen Orient au ministère des Affaires Étrangères), la plupart des haut-fonctionnaires des ministères de l’Intérieur et de l’Économie du Reich sont des adeptes, plus ou moins fervents, du sionisme.
En revanche, Adolf Hitler, le ministre des Affaires Étrangères Konstantin v. Neurath et son secrétaire d’État Ernst v. Weizsäcker, sont très favorables à l’émigration des Juifs, en Palestine ou ailleurs, cela leur importe peu, mais ils ne veulent pas d’un État juif indépendant qui serait un facteur d’embrouilles internationales supplémentaires. Von Neurath résume sa position de façon claire et concise : « Pas de Vatican juif ! ». C’est lui qui oriente la politique extérieure allemande vers le monde arabe, qui n’intéresse guère Adolf Hitler, davantage admiratif des Turcs et des Japonais du fait de leur passé militaire. Il accepte toutefois l’option politique développée par v. Neurath dans son mémorandum de juin 1937 : « En raison de l’agitation antiallemande de la communauté juive internationale, le gouvernement allemand ne peut accepter l’idée qu’un État juif indépendant contribuerait au développement pacifique du monde… Il est de l’intérêt de l’Allemagne de renforcer le monde arabe pour faire contrepoids à la puissance accrue du judaïsme mondial ».

En 1934, le rabbin Joachim Prinz, un sioniste de Berlin, publie Wir Juden (Nous autres, Juifs), où l’on trouve cette phrase qui annonce les lois raciales, publiées en septembre 1935 à Nuremberg : « À la place de l’assimilation, nous souhaitons une nouvelle loi, reconnaissant l’appartenance au Volk juif » (le terme Volk correspond à ce qu’en français l’on nommerait Nation-Race). Le rabbin émigre en 1938 pour les USA où il animera la Ligue des Droits civiques.

En mai 1935, dans le mensuel de la SS, Das Schwarze Korps, on lit, à propos d’émigrants juifs partis du Reich pour vivre en Palestine : « Nos bons vœux et les souhaits de l’État national-socialiste les accompagnent ». Le 23 décembre 1935, paraît in Der Angriff (le quotidien nazi de Berlin, dirigé par Joseph Goebbels en personne), une interview de George Kareski, le chef des sionistes-révisionnistes du Reich, qui s’est fait connaître du ministre Goebbels, qui beaucoup moins extrémiste avant 1942 que certains auteurs se plaisent à le dire. Dans cette interview, on peut lire cette justification des lois raciales (proclamées en septembre) : « La séparation complètes des deux peuples, juif et allemand, est la condition préalable à une coexistence pacifique ».

Grâce à la protection d’Himmler et d’Heydrich qui en ont reçu l’autorisation du Führer, les sionistes entretiennent dans le Reich, en 1934-36, une quarantaine de fermes expérimentales (et non pas de « camps d’entraînement » comme l’écrivent certains auteurs), destinés à la formation agricole des futurs émigrants en Palestine : c’est l’organisation Hachschara. La ferme-école de Neuendorf fonctionnera jusqu’en mars 1942. C’est la contrepartie d’un accord économique germano-sioniste.

En avril 1933, Sam Cohen, le patron juif d’une entreprise palestinienne d’achat de machines agricoles, commerçant plus souvent avec la Tchécoslovaquie qu’avec le Reich, a de longues discussions avec le consul-général d’Allemagne à Jérusalem, Heinrich Wolff. Grâce à une recommandation de Wolff, il parvient à se faire recevoir, en mai, lors d’un voyage à Berlin, par Joachim v. Heinz et Hans Hartenstein du ministère de l’Économie. Le 19, ils mettent au point un accord d’achat réciproque : du matériel agricole allemand contre des agrumes palestiniens, portant sur 1 million de RM, alimenté et garanti par les avoirs en Allemagne de Juifs émigrant en Palestine. C’est la première et timide application par le Reich nazi de la technique du clearing, la Reichsbank et l’Anglo-Palestinian Bank servant d’organismes compensateurs.

Cet « accord privé » enrage les officiels de l’AJP et, le 7 août, est signé au ministère de l’Économie, par Sam Cohen, deux hommes de l’Organisation Sioniste Mondiale (Arthur Ruppin et Georg Landauer) et Eliezer Hoffien (de l’Anglo-Palestinian Bank) un accord officiel portant sur un montant de 3 millions de RM : c’est l’Accord Ha’avara (transfert), qui porte sur l’exportation de matériel électrique, de machines-outils, de matériaux de construction et d’armes en plus du matériel agricole et d’engrais chimiques.

Sont créés : à Berlin, la société Palästina Treuhandstelle zur Beratung deutscher Juden (ou Paltreu), à Tel-Aviv le Ha’avara Trust and Transfert Office (ou Hanotea) et la Banque Leumi, dirigée par trois Juifs émigrés du Reich : Arnold Barth (venu de Berlin), Siegfried Sahlheine (Hambourg), Herbert Förder (Breslau). Cette manne excite quelques convoitises et, parallèlement aux deux organismes officiels, les banquiers Max Warburg (Hambourg) et Fritz Wasserman (Berlin) créent la Compagnie Fiduciaire de Palestine pour favoriser l’exportation (légale et illégale) des capitaux. Entre février 1933 et novembre 1938, les seuls Juifs arrêtés dans le Reich le seront pour marxisme ou crimes et délits de droit commun, dont l’exportation frauduleuse de capitaux (le contrôle des changes a été instauré par le Chancelier Heinrich Brüning, deux ans avant l’appel d’Adolf Hitler à la chancellerie).
Chaque émigrant du Reich, puis du Gross Deutsche Reich (GDR), se fixant en Palestine, a le droit d’exporter au moins 1 000 £ (soit 21 000 RM). Mille livres sterling représentent douze années de salaire d’un cadre juif de Palestine à cette époque : les Juifs du Reich sont des « immigrants capitalistes ». La taxe d’émigration, soit 25% des biens sortis du Reich, avait été instaurée par Brüning le 8 décembre 1931 et n’est donc pas une création de « démons nazis ».

L’accord Ha’avara, entériné par le Führer et le secrétaire d’État v. Weizsäcker à Berlin, par ‘’Ben Gourion’’ et Moshe Shertok (le successeur d’Arlosoroff, assassiné le 16 juin 1933, à son retour de Berlin, par deux tueurs sionistes-révisionnistes) à Jérusalem, par Golda Meir à la direction de New York de l’Organisation Sioniste Mondiale, est approuvé le 25 août par la majorité des délégués du XVIIIe Congrès sioniste de Prague, après une crise de fureur de ‘’Jabo’’ et de ses amis. À partir d’octobre 1933 et jusqu’en septembre 1939, fonctionne une liaison navale Hambourg & Bremerhaven – Haïfa, par des paquebots où l’on offre une nourriture kacher. On organisera même des échanges touristiques entre le Reich et la Palestine. L’accord ne sera dénoncé par l’AJP qu’en décembre 1939, sur ordre de l’occupant britannique.
Les Britanniques, les Arabes et les Allemands de Palestine (notamment les importateurs), les Juifs non-sionistes et même les sionistes de l’American Jewish Congress tenteront de le saboter par tous les moyens. Il fonctionnera tellement bien qu’en 1937, le gouvernement polonais signera avec l’AJP un accord identique (Halifin, soit : échange), puis, en 1939, les gouvernements italien, hongrois, tchèque (Protectorat de Bohême-Moravie) et roumain.
Outre le transfert des biens de Juifs émigrés du Reich puis du GDR, soit 140 millions de RM, l’accord de coopération économique a rapporté environ 70 millions de $ supplémentaires (175 millions de RM), soit un total de 315 millions de RM (de 1934 à 1939, 1 $ vaut 2,5 RM, après la dévaluation du $ de 1934 ; à partir de la fin de 1941, sur les marchés neutres, on change 1 $ pour 4 RM). Enfin, on peut signaler que ce sont des musiciens émigrés du Reich qui créent en 1936 l’Orchestre de Palestine.

L’accord Ha’avara permet en outre aux sionistes de l’AJP de trier les immigrants juifs, du moins jusqu’en 1938 : Adolf Eichmann mettra fin à ce tri. Les chefs de l’AJP ne veulent admettre en Palestine que des Juifs riches (ils ne se pressent guère à y entrer) ou de jeunes Juifs capables de travailler manuellement : des paysans et des ouvriers ou des ingénieurs, surtout pas de vieux ni d’intellectuel. « Si je savais qu’il est possible de sauver tous les enfants juifs d’Allemagne et d’Autriche en les amenant en Angleterre et seulement la moitié d’entre eux en les transportant en Palestine, je choisirais la seconde solution… La tâche du sioniste n’est pas de sauver les Juifs d’Europe, mais de sauver la terre d’Israël pour le peuple juif » : ces phrases impitoyables de ‘’Ben Gourion’’, prononcées le 7 décembre 1938, soit après les mesures draconiennes prises par les nazis en représailles du crime d’ordre sexuel d’Herschel Grynszpan, reflètent parfaitement sa pensée.

Il semble que l’AJP ait refusé, de 1933 à 1937, les deux tiers des candidats juifs à l’immigration en Palestine pour cause d’inadéquation aux conditions de travail. Ensuite, Eichmann dirigeant l’émigration, il ne sera plus tenu compte, du côté allemand, des desiderata des maîtres de l’AJP, d’autant que les dirigeants du Mossad le-Alyah Beth, le service secret de la Haganah créé en 1938 pour stimuler l’immigration illégale, sont partisans, comme Eichmann, d’une immigration de masse.

Il est évident que les musulmans, improprement dénommés Arabes (il y a aussi des Levantins, des Kurdes et des Druzes) avant qu’on les regroupe artificiellement sous l’appellation de Palestiniens (il existe des chrétiens en Palestine), ne se laissent pas envahir sans réagir. ‘’Ben Gourion’’ a donné une consigne : « Tuez un Arabe pour chaque Juif tué ». ‘’Jabo’’ veut, au contraire, frapper le premier : terroriser les non-Juifs pour leur faire quitter la Palestine.
Jusqu’au milieu des années trente, les Juifs sont en nette infériorité numérique : un contre 10 au début des années vingt ; un contre 5 vers 1930 ; un contre 3 en 1936. Chaque révolte musulmane (mal étiquetée « révolte arabe ») est suivie d’une réaction du Colonial Office britannique. Il ne faudrait pas oublier que, si le lobby juif est très puissant à Londres, les puits de pétrole exploités par les Britanniques (Irak, Iran, Malaisie) sont aux mains de musulmans irascibles.

Un 1er Livre Blanc sur la Palestine, du 1er juillet 1922, limite l’immigration juive. Le 2e Livre Blanc, d’octobre 1930, limite davantage encore l’immigration juive, de façon un peu illusoire, puisque jusqu’en 1933 les quotas d’immigration ne sont jamais atteints, mais surtout il interdit tout nouvel achat de terre par les Juifs.

Depuis 1921, s’agite un homme à poigne, le grand mufti de Jérusalem (préposé à l’exégèse de la charî’a), Hadj Amine el-Husseini, érudit islamiste fanatique, pas véritablement ennemi des Juifs, mais opposé au sionisme. En 1929, il a proclamé le djihad (la guerre sainte) contre les sionistes ; il échappe à divers attentats et se replie en Irak, au Liban ou en Turquie lorsque les Britanniques veulent l’enfermer. Il a été élu en 1922 président du Suprême Conseil sunnite. Le 25 avril 1936, est fondé le Haut-Comité Arabe de Palestine, dirigé par le grand mufti, qui ordonne aussitôt la grève générale ; elle ne sera levée que le 11 octobre.

Elle fait suite à une jacquerie rurale palestinienne antijuive. Les tueries font 277 morts (80 Juifs et 197 musulmans). Le Colonial Office envoie une mission d’enquêteurs, dirigée par Robert Peel. Du 11 novembre 1936 au mois de juillet 1937, les membres de la commission Peel explorent la Palestine, discutent avec tous les camps (musulmans, Juifs, chrétiens, qui forment alors respectivement 60%, 30% et 10% de la population de Palestine), tandis que ‘’Jabo’’ est reçu par le ministre des Colonies à Londres. Les associations juives de Londres, Varsovie, Stockholm et Paris tentent d’influer sur la décision britannique. Le 22 juin 1937, une circulaire du ministère des Affaires Étrangères de Berlin résume la position allemande : « Le judaïsme international sera toujours l’ennemi idéologique et politique du Reich national-socialiste ».
Le rapport Peel tombe le 7 juillet 1937 et fait hurler tous les camps, sauf Weizmann. C’est dommage, car le plan est bon. Il propose d’octroyer aux Juifs 7 655 km² de bonnes terres agricoles en Galilée et dans la bande côtière de Palestine, en limitant l’immigration annuelle à 12 000 individus (alors qu’elle atteint presque le triple depuis 1933) ; les lieux saints resteraient sous protection britannique, de même que le pipe-line reliant Mossoul (dans le Kurdistan irakien) à son terminal de Haïfa ; l’État musulman de Palestine, riche du reste du territoire palestinien, deviendrait la Cisjordanie et l’on autoriserait son union à la Transjordanie.
Rudolph Hess préside à Berlin, le 29 juillet, une réunion des chefs des services concernés par la question juive et les informe que le Führer autorise la poursuite de l’émigration, « n’importe où dans le monde ». Goebbels se voit refuser l’autorisation de diffuser des émissions radiophoniques en langue arabe (cela ne sera autorisé qu’à compter de novembre 1938, après le crime de Gryszpan).
Les « révisionnistes » et les activistes de la milice musulmane de Fawzi al-Qawuqji s’entretuent de novembre 1937 au mois d’avril 1938, tandis que les Britanniques exercent pour la première fois de dures représailles, au point que, le 20 février 1938, devant le Reichstag, le Führer ironise : « Les honorables membres des Communes feraient mieux de se mêler des verdicts prononcés par les cours martiales à Jérusalem que de s’occuper des verdicts des tribunaux allemands ». C’est une allusion aux verdicts allemands sanctionnant des exportations frauduleuses de capitaux menées par ou pour des Juifs.

Le 8 novembre 1938, à la veille de ce pogrom qui lui sera tant reproché, il enfonce le clou : « Messieurs les Anglais feraient mieux d’appliquer leur sagesse infaillible aux affaires de Palestine… car ce qui s’y passe de nos jours sent très fort la violence et très peu la démocratie ». De fait, le capitaine britannique Orde Wingate forme des commandos juifs qui agiront en tueurs.

Neville Chamberlain enterre le plan Peel et nomme une nouvelle commission, dirigée par John Woodhead qui, le 1er septembre 1939, rend un avis auquel personne ne s’intéresse étant donné le contexte européen : aucun partage de la Palestine n’est réalisable sans entraîner immédiatement une guerre. Dans l’Informazione Diplomatica N°14, en date du 17 février 1938, Benito Mussolini l’avait écrit : il est nécessaire de créer un État juif n’importe où sur terre, mais sûrement pas en Palestine, véritable poudrière du Proche-Orient.

Le 17 mai 1939, Chamberlain a publié le 3e Livre Blanc (ou « Ordre 6019 »), fixant l’immigration juive à 75 000 individus pour les cinq prochaines années, et renouvelant l’interdiction d’achat de terres par des Juifs. En revanche, l’indépendance est promise pour l’année 1949, sans qu’en soient précisées les modalités territoriales, car la Conférence de Saint-James, en février 1939, a été un fiasco, musulmans et Juifs refusant de se rencontrer.

De février à mai 1939, se sont succédés divers attentats juifs. Le nouveau secrétaire au Colonial Office, Harold Mac Donald, et le Haut-Commissaire en Palestine, Harold Mac Michael, réagissent vigoureusement. Le 8 septembre 1939, ‘’Ben Gourion’’ résume la nouvelle donne : « La première guerre nous a donné la Déclaration Balfour. Le seconde doit nous apporter un État juif ». Pour ce faire, il se tourne résolument vers la Mecque juive : New York, où, le 12 mars 1942, devant un auditoire de 600 dirigeants de sections sionistes des USA, il proclame « la guerre à outrance contre le Livre Blanc » de mai 1939.

Mais, au premier jour de guerre, Chaïm Weizmann, Jabotinsky et ‘’Ben Gourion’’ se sont, une fois n’est pas coutume, accordés sur l’alliance avec la Grande–Bretagne. Pourtant, les Britanniques déportent les immigrants clandestins juifs vers l’île Maurice, où ils sont parqués en camps d’internement, après avoir été refoulés du port de Haïfa Quelques dizaines de Juifs déportés sur l’île Maurice y meurent de maladies tropicales.

À la mort de ‘’Jabo’’, le 4 août 1940, d’un infarctus myocardique à New York, Abraham Stern se sépare de l’Irgoun et prend la direction du mouvement ultra-raciste et ultra-violent : l’Irgoun Tsvaï Leumi be Israel (pour les Britanniques facétieux, c’est « le gang Stern »), qui ne dépassera jamais un demi-millier d’activistes prêts à tout. Stern rêve d’un Grand Israël, étendu du Nil à l’Euphrate, débarrassé de tous les Goyim (non-Juifs). Stern organise des pillages de banques pour financer des achats d’armes.
Naît alors, chez Stern et son collaborateur Yitzhak Yezernitsky-‘’Shamir’’, l’idée la plus loufoque de l’histoire de cette guerre : une alliance avec le IIIe Reich, contre qui se sont ligués tous les Juifs de la planète. Début janvier 1941, Stern envoie Naftali Loubentschik à Beyrouth pour contacter l’agent local de l’Abwehr-I (renseignements militaires), le Hauptmann Rudolf Röser, qui transmet à l’ambassade allemande d’Ankara l’offre de collaboration militaire antibritannique (action subversive et renseignements) du groupe Stern, en échange d’envois d’armes et d’une émigration massive des Juifs d’Europe en Palestine. Le 11 janvier 1941, cette offre est connue des bureaux de v. Ribbentrop et ne provoque qu’un sourire chez le Führer, mais en avril 1941, Canaris envisage l’envoi d’armes au groupe Stern.

Le message écrit, rédigé par ‘’Shamir’’, semble avoir été libellé de la façon suivante : « La création d’un État juif sur une base ethnique et totalitaire, lié par traité avec le Reich allemand, consoliderait la future puissance allemande au Proche-Orient… À condition que nos aspirations nationales soient reconnues par le Reich, notre mouvement de libération se propose de prendre une part active à la guerre, du côté de l’Allemagne ».

Le motif invoqué par Stern et ‘’Shamir’’ est une « communauté d’intérêts ». Loubentschik rencontre à Damas Otto v. Hentig, le spécialiste du Proche-Orient au ministère des Affaires Étrangères du Reich, qui l’informe très honnêtement que le Reich est plutôt favorable à une alliance avec les musulmans qui veulent profiter de cette nouvelle guerre pour s’affranchir de la très pesante tutelle britannique. En juin 1941, Loubentschik est arrêté à Damas par les Gaullistes qui le livrent aux Britanniques. Il est interrogé sans ménagement et mourra en avril 1946 dans un camp de concentration britannique d’Érythrée. En décembre 1941, les Britanniques arrêtent des dizaines de membres du groupe Stern, dont Yitzhak ‘’Shamir’’.

Après avoir organisé un attentat contre le QG du MI-6 à Tel-Aviv (perpétré le 20 janvier 1942, il ne fait que des victimes juives), Stern est tué le 12 février 1942 par les Britanniques et Nathan Friedman-‘’Yalin-Mor’’ prend le commandement militaire du mouvement, qui passe en état de demi-sommeil. Durant l’automne de 1943, les Britanniques récupèrent des armes dans divers kibboutzim de Judée et de Samarie.

À la fin de 1943, ‘’Shamir’’, libéré, reprend la direction politique du mouvement, rebaptisé LEHI (Combattants pour la liberté d’Israël), dont il fait une officine terroriste. S’en suivent l’assassinat de Lord Moyne (Walter Guiness), au Caire, le 6 novembre 1944 ; l’assassinat du médiateur de l’ONU, le comte Folke Bernadotte, en Palestine, le 17 septembre 1948 – cet homme, qui avait sauvé quelques milliers de Juifs en 1945, était partisan du partage de la Palestine en deux États, un juif et un « arabe ». ‘’Shamir’’ sera chef du gouvernement israélien de 1983 à 1992.

Le 26 janvier 1944, Menahem Begin, venu de Pologne, prend la tête de l’Irgoun et en (re)fait un mouvement terroriste antibritannique, sous le nom d’Etzel. Le 31 janvier, il fait placarder des appels à la guerre contre l’occupant britannique, exhortant les Juifs à refuser de payer leurs impôts et à multiplier les attentats terroristes. Begin dirigera le gouvernement israélien de 1977 à 1983. Le 20 novembre 1944, après l’attentat contre Lord Moyne, ‘’Ben Gourion’’, au nom de l’AJP, déclare la guerre au groupe Stern et « ouvre la saison de la chasse » pour la Haganah (l’armée secrète de l’AJP), dont les membres sont autorisés à tuer les hommes du LEHI et du Etzel ou à les livrer à l’occupant britannique.

En août 1941, Lord Moyne, ministre britannique des Colonies, avait fait une proposition des plus saugrenues. Pour écarter le spectre de la guerre entre Juifs et musulmans en Palestine, il offrait à ‘’Ben Gourion’’ de créer, après l’écrasement du Reich, un État juif indépendant en Prusse-Orientale.

Au Colonial Office, on a parfaitement perçu, dès l’entrée en guerre, la crainte majeure des dirigeants musulmans : l’établissement d’un État juif autonome, voire indépendant, en Palestine. Même le très anglophile Nuri Saïd, premier ministre irakien, tente, l’été de 1940, de se rapprocher du Reich.

Depuis août 1940, le secrétaire du grand mufti, Osman Haddad, réside en Allemagne (sous le pseudonyme de Max Muller), promettant au nom de son patron une révolte dans l’ensemble du Proche-Orient, qui pourrait fixer 3 ou 4 divisions britanniques, pour peu que le Reich finance et arme le mouvement. En mai 1941, un mois après que le Führer ait accepté l’offre de ‘’Muller’’-Haddad, Fritz Grobba arrive à Mossoul, dans le Kurdistan irakien, promettant 15 000 carabines et 200 mitrailleuses. La révolte a éclaté en Irak, mais la Palestine reste calme et, en Transjordanie, la milice pro-britannique de John Glubb calme très vite les ardeurs des révoltés dirigés par Fawzi al-Qawuqji. La révolte irakienne, dirigée par le très populaire Rachid Ali, est matée en quelques semaines. Quelques livraisons d’armes allemandes, via la Syrie, ont servi de prétexte à l’offensive anglo-gaulliste contre les forces françaises du Levant (du 8 juin au 14 juillet 1941).

Rachid Ali passe le reste des années de guerre à Leipzig. Le grand mufti, passé d’Iran (fin mai 1941) en Turquie (fin septembre), à Rome (en octobre 1941) puis dans le Reich, va faire beaucoup parler de lui, sans influer en quoi que ce soit sur le cours des événements. Sa carrière véritable ne commencera qu’après 1945. Toutes les tractations diplomatiques germano-musulmanes, qui ont fourni quantité d’archives permettant d’écrire beaucoup de livres, n’ont servi à rien. Les divisions musulmanes de la Waffen-SS furent d’une faible efficacité face aux partisans de Yougoslavie et se montrèrent féroces avec les civils désarmés.

Les émissions sur ondes courtes de l’émetteur radio de Zossen (au sud-ouest de Berlin), puis de Radio-Athènes (1941-44) et de Radio-Bari, qui débutent au printemps de 1939, ne seront presque pas écoutées au Proche-Orient, faute de récepteurs. Leur message judéophobe remporte toutefois un succès inattendu au Maghreb, singulièrement au Maroc. En revanche, les trois millions de tracts rédigés en arabe et largués par les avions de la Luftwaffe ne servent à rien du fait de l’analphabétisme des populations.

L’été de 1943, l’unique conversation entre Heinrich Himmler et le grand mufti de Jérusalem porte sur le sort des Juifs. Le mufti veut que les Juifs quittent la Palestine « pour rentrer dans leur pays d’origine », ce qui horrifie le Reichsführer-SS : « Jamais nous ne les autoriserons à rentrer dans le Reich ».

Fritz Grobba eut raison de dire après-guerre que la politique arabe du Führer avait été « un divertissement mineur » et que « le mouvement arabe fit plus d’efforts pour exploiter le Reich hitlérien que l’Allemagne n’en fit pour exploiter le mouvement arabe ». Tout au plus peut-on rappeler qu’en Iran chiite, certains mollahs ont fait d’Adolf Hitler « l’éclaireur du 12e imam ».
De nos jours, l’arabo-fascisme et l’arabo-nazisme sont devenus des ritournelles médiatiques, alors même que les relations du Reich en guerre avec le monde musulman et leurs ennemis mortels, les groupuscules ultra-sionistes, se résument au mieux par un titre shakespearien : Beaucoup de bruit pour rien.

Conclusion

Les autorités du IIIe Reich, essentiellement le SD-Sipo, avec l’accord personnel d’Adolf Hitler, ont facilité l’émigration vers la Palestine, alors sous administration britannique, d’environ 60 000 Juifs de l’Altreich (l’Allemagne de 1919 et la Sarre) et de 100 000 en provenance d’Autriche, après l’Anschluss. Du 1er septembre 1939 au 18 octobre 1941 (date à laquelle, le Führer interdit toute émigration des Juifs, considérés comme des « otages »), ils ont réussi à exfiltrer 25 000 Juifs supplémentaires dont 13 000 en Palestine (ce fut le rôle d’Eichmann, avant qu’il ne dirige la logistique de la déportation vers l’Est). En ce sens, certains nazis furent des sionistes.

Toutefois, ni Adolf Hitler ni les patrons du ministère des Affaires Étrangères ne voulaient d’un État juif indépendant en Palestine (ou ailleurs sur la planète) et, en ce sens, ils n’étaient pas des sionistes.


Orientations bibliographiques :

  • M. Bar-Zohar : Ben Gourion. Le prophète armé, Fayard, 1966
  • Y. Bauer : Juifs à vendre ? Les négociations entre nazis et Juifs, 1933-1945, Liana Lévi, 1996 (ce livre permet d’accéder à de nombreux travaux rédigés en hébreu)
  • E. Ben Elissar : La diplomatie du IIIe Reich et les Juifs (1933-1939), Julliard, 1969 (à signaler de nombreuses erreurs de date et des documents parfois amputés d’une partie intéressante de leur contenu)
  • W. Benz et Coll. : Die Juden in Deutschland, 1933-1945 : Leben unter nationalsozialistischer Heerschaft, Beck, Munich, 1988
  • M. Cüppers, K. M. Mallmann : Croissant fertile et croix gammée, Verdier, 2009
  • C. Destremau : Le Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2011
  • A. Dieckhoff : L’invention d’une nation – Israël et la modernité politique, Gallimard, 1993
  • C. Enderlin : Par le feu et par le sang. Le combat clandestin pour l’indépendance d’Israël, 1936-1948, Albin Michel, 2008 (excellente étude sur l’Irgoun et le groupe Stern)
  • C. Franck, M. Herszlikowicz : Le sionisme, P.U.F., 1980
  • T. Herzl : L’État juif. Essai d’une solution de la question juive, Déterna, réédition de 2012 (1ère édition allemande de 1895, française de 1896)
  • M. Hess : Rome et Jérusalem. La dernière question des nationalités, Albin Michel, 1981 (1ère édition allemande de 1862. C’est l’un des premiers livres sionistes, à ceci près que l’idée en avait été lancée par un Juif de France contemporain de Louis XIII, Isaac de la Peyrère, par son livre de 1643 : Le rappel des Juifs, et que le terme « sionisme » n’apparaît qu’en 1885 ; il est fort étonnant que l’on ait osé rééditer, de nos jours, un texte aussi raciste que celui de Moïse Hess ; en libre lecture sur le Net)
  • J. and D. Kimche : The secret roads. The « illegal » migration of a people. 1938-1948, Seker, Londres, 1954
  • W. Laqueur : Histoire du sionisme, 2 volumes, Gallimard, 1994 (1ère édition de 1973)
  • N. J. Mandel : The arabs and zionism before World War I, University of California Press, Berkeley, 1976
  • F. R. Nicosia : The Third Reich and the Palestine question, University Press of Texas, Austin, 1985 (réédité en 2000, chez Transaction Publishers, dans le New Jersey)
  • B. Plouvier : Les Juifs dans le Reich hitlérien, 2 volumes, Dualpha, 2015
  • W. Schwanitz and al. : Germany and the Middle East, 1871-1945, Wiener, Princeton [New Jersey], 2004
  • T. Segev : Le septième million. Les Israéliens et le génocide, Liana Lévi, 1993
  • L. Stein : Zionism, Trench, Londres, 1932 (l’auteur fut le secrétaire politique de l’Organisation Sioniste Mondiale de 1920 à 1929)
  • C. Sykes : Crossroads to Israel (1917-1948), Collins, Londres, 1965
  • J. C. Valla : Le pacte germano-sioniste (7 août 1933), Librairie Nationale, 2001
  • B. Wasserstein : Britain and the Jews of Europe, 1939-1945, Leicester University Press, Leicester, 1998 (1ère édition de 1979)
  • Mark Weber : Le IIIe Reich et le Sionisme, Revue d’histoire non-conformiste, 1993