Gottlieb Fichte est né en Saxe en 1762, au sein d’une famille pauvre,
venue de Suède. Il est le premier des huit enfants. C’est la générosité
de l’un de leur voisin qui permit au petit Gottlieb (littéralement l’aimé de Dieu)
de faire des études : ayant remarqué chez lui de grandes capacités
intellectuelles, il décida de le faire instruire à ses frais. Il fit
ensuite des études de théologie à Iéna, et c’est à cette occasion qu’il
découvrit la philosophie…
principalement celles de Leibniz, de Spinoza, puis de Kant. Trois figures dont sa philosophie restera toujours imprégnée. Il songe à entrer dans les ordres mais, n’ayant finalement pas été retenu, il devient précepteur à Königsberg. À 30 ans, il y donne des cours, notamment sur la philosophie de Kant. Il le rencontrera d’ailleurs, et celui-ci recommandera Fichte à son éditeur, lui donnant ainsi l’occasion d’acquérir une grande renommée en Allemagne. Deux ans plus tard, à seulement 32 ans, il devient professeur à la prestigieuse Université d’Iéna. Accusé d’athéisme et attaqué pour son soutien à la Révolution Française, et en dépit de ses tentatives pour se justifier, il devra quitter sa chaire en 1799. Il en restera toujours meurtri, mais obtiendra un nouveau poste d’enseignant à Berlin. Il ne retrouvera toutefois jamais la même notoriété que durant les années d’Iéna. Il meurt en 1814 du typhus, après avoir aidé à soigner des blessés de guerre.
À la lecture de la Critique de la raison pure, il devient immédiatement kantien. Il doit d’ailleurs son premier grand succès à un malentendu : son Essai d’une critique de toute révélation, publié anonymement en 1792, est attribué à tort à Kant. Apprenant qu’il est l’œuvre de Fichte, le public découvre celui que l’on voit comme le nouveau grand nom de la philosophie post-kantienne. Dès le début des années 1800, il sera toutefois éclipsé par Hegel, dont il restera toujours dans l’ombre et qui prendra sa suite à la chaire de Berlin. Fichte rédige non seulement des traités de philosophie théorique, mais aussi de philosophie morale, comme le Système de l’éthique, d’inspiration fortement kantienne, ou encore de philosophie politique. Fichte y défend la conception de l’impératif moral développée par Kant dans la Critique de la raison pratique, ainsi que les idéaux de liberté et d’égalité des penseurs des Lumières. Il n’en reste toutefois pas moins un fervent patriote et un penseur attaché à l’histoire de la Grande Allemagne, dont certains textes, tels que le Discours à la nation allemande et L’État commercial fermé, ont été tristement redécouverts, au cours du XXe siècle, en vertu de leur tendance traditionaliste et nationaliste. On est par ailleurs frappé, si l’on prend connaissance de la somme que représente ses Œuvres complètes (les Fichte’s Werke), du petit nombre de travaux qui ont été finalement traduits en français.
En ce qui concerne sa philosophie, et plus précisément son œuvre majeure, la Doctrine de la science (Wissenschaftslehre), il est nécessaire de partir d’un problème, qui est aussi un défi pour le philosophe : on oppose traditionnellement le réalisme à l’idéalisme, le premier de ces courants de pensée accordant plus d’importance aux choses perçues qu’aux idées (et aux esprits qui perçoivent) et le second, a contrario, considérant que la philosophie doit partir des idées (du sujet) plutôt que des choses matérielles (de l’objet). Dans ce cas, quelle place devons-nous accorder à la réalité ? Autrement dit, qu’est-ce que le réel pour le sujet qui le perçoit ? Ou encore : à quelle objectivité peut accéder un sujet ? Afin de clarifier ces questions, voire d’y répondre, il est nécessaire de retourner à l’origine historique de ce débat, c’est-à-dire à Descartes et à Kant, que Fichte a toujours considéré comme son maître. En effet, Descartes, tout d’abord, constitue pour Fichte (comme pour Kant) une véritable rupture dans l’histoire de la philosophie. Son projet et ses arguments sont pourtant traditionnels, mais il va leur donner un sens tout à fait nouveau : les Méditations métaphysiques s’ouvrent sur un constat simple, que chacun peut faire : ce que je crois être la réalité ne l’est pas toujours ; j’ai parfois été victime d’erreurs, d’illusions, ou encore de mensonges. Mes opinions ont évolué et mes certitudes d’hier ne sont plus nécessairement celles d’aujourd’hui. Dès lors, comment déterminer ce qui est réel, est-il possible de découvrir une ou plusieurs vérités indubitables ? Comme on le sait, Descartes aboutit à la certitude indubitable que j’existe si je pense être ou que je pense (à tort) ne pas être. C’est le sens de la célèbre : « je pense, donc je suis », « cogito ergo sum ». Mais le prix de cette vérité absolue est élevé car je perds ainsi toute relation au monde extérieur. On nomme cette situation le solipsisme : le sujet se retrouve emmuré dans les limites de sa propre perception, prisonnier de cette bulle qu’il ne saurait crever afin de savoir si ce qu’il perçoit est ou non réel. Afin de résoudre cette difficulté, Descartes tente de prouver, en ne prenant appui que sur ma propre existence, que Dieu existe et qu’en vertu de sa transcendance, de son omnipotence et son infinie bonté, Il ne saurait avoir voulu que je me trompe toujours, inévitablement.
Le défi qui s’imposera aux idéalistes allemands, de Kant à Fichte, sera donc de parvenir à briser le solipsisme ou à penser le réel sans recourir à une quelconque transcendance. C’est en ce sens que Kant proposera de distinguer les « choses en soi », l’inconnaissable réalité objective des simples « phénomènes », c’est-à-dire de ce que l’on perçoit à l’aide d’un certain prisme : celui de l’espace, du temps, de la grandeur, des relations de cause à effet, etc. Si cette conception semble cohérente et prudente, certaines de ses difficultés seront pointées par les successeurs de Kant, notamment Jacobi, Maïmon et Fichte. On peut en relever trois principales :
Or, si le Moi est par nature limité par le « Non-Moi » qu’il pose inconsciemment lui-même comme une entité « non-posée », il ne doit pas seulement connaître et accepter ces impératifs, mais doit aussi les respecter comme si ces lois étaient les siennes, la « loi » pouvant être alors déterminée comme le principe de l’égalité de droit entre les êtres raisonnables. Le monde que je perçois n’est donc, pour Fichte, ni totalement illusoire, ni totalement extérieur à moi : ce qui caractérise la réalité, c’est d’être posée par suite d’un « sentiment » (Gefühl), par lequel le Moi s’auto-affecte en projetant inconsciemment une « quantité de passivité » en face de lui-même. On soulignera sur ce point l’influence de Leibniz, pour lequel la « monade » possède en elle-même le principe dynamique de sa perception du monde. En effet, cette inconscience, cette part d’ombre en moi-même, qui s’explique par une différence de degré entre mon entendement et ma sensibilité, me pousse à croire que je suis passif alors que c’est en vérité ma propre activité qui est à l’origine de cette passivité.
La Doctrine de la science aboutit ainsi à la conclusion selon laquelle le Moi s’oppose au Non-Moi, mais qu’il contient inconsciemment en lui-même une puissance qui produit ces successions organisées d’images, de sons, de sensations, etc., qui s’imposent à lui et que l’on nomme ordinairement le monde extérieur. Descartes reconnaissait d’ailleurs lui-même, dans sa Méditation seconde, que le sujet a peut-être en lui-même, sans le savoir, des puissances cachées, qui pourraient notamment le rendre victime d’illusions : « peut-être que je suis capable de les [i.e. de fausses pensées] produire de moi-même ». On retrouve une hypothèse proche dans quelques passages de la Critique de la raison pure consacrées aux pouvoirs de « l’imagination » et du « schématisme » dans le sujet transcendantal. Sans nier le fait que le sujet pensant soit bien, en un sens, un et indivisible, il n’en reste donc pas moins possible que tous ses pouvoirs et toutes ses lois ne soient pas immédiatement présents pour le Moi lui-même, et ne le deviennent qu’au prix d’un travail réflexif philosophique. Cette inconscience, cette part d’ombre en moi-même, qui s’explique par une différence de degré entre mon entendement et ma sensibilité, me pousse ainsi à croire que je suis passif alors que c’est en vérité ma propre activité qui est à l’origine de cette passivité. Tout sujet transcendantal possédant ces structures (que la phénoménologie de Husserl qualifierait de « noético-noématique »), nous en venons naturellement à percevoir un même monde, non pas parce que nous avons tous les yeux tournés vers quelque-chose qui serait extérieur à nous, mais parce que nous produisons-tous inconsciemment la même passivité en nous-mêmes et nous rapportons-à elle dans un même mouvement. C’est là ce qui rend concevable, chez Fichte, l’existence de l’alter ego, d’une pluralité de sujets existant bel et bien réellement, et non pas seulement à titre d’images qui apparaîtraient sous mon regard. C’est également ce qui rend pensable la communication entre plusieurs « Moi », et par là-même la vie en société, la politique et, plus important que tout aux yeux de Fichte, la morale : si autrui n’est (peut-être) qu’une illusion, tout est moralement permis – pas juridiquement, mais moralement. C’est ce point que développe notamment la Destination de l’homme, ouvrage qui reprend de manière dialogique les thèses des Principes de la Doctrine de la science, et qui insiste sur l’importance de prouver, par-delà le solipsisme, l’existence d’autrui, car c’est là la condition de possibilité même de la morale.
principalement celles de Leibniz, de Spinoza, puis de Kant. Trois figures dont sa philosophie restera toujours imprégnée. Il songe à entrer dans les ordres mais, n’ayant finalement pas été retenu, il devient précepteur à Königsberg. À 30 ans, il y donne des cours, notamment sur la philosophie de Kant. Il le rencontrera d’ailleurs, et celui-ci recommandera Fichte à son éditeur, lui donnant ainsi l’occasion d’acquérir une grande renommée en Allemagne. Deux ans plus tard, à seulement 32 ans, il devient professeur à la prestigieuse Université d’Iéna. Accusé d’athéisme et attaqué pour son soutien à la Révolution Française, et en dépit de ses tentatives pour se justifier, il devra quitter sa chaire en 1799. Il en restera toujours meurtri, mais obtiendra un nouveau poste d’enseignant à Berlin. Il ne retrouvera toutefois jamais la même notoriété que durant les années d’Iéna. Il meurt en 1814 du typhus, après avoir aidé à soigner des blessés de guerre.
À la lecture de la Critique de la raison pure, il devient immédiatement kantien. Il doit d’ailleurs son premier grand succès à un malentendu : son Essai d’une critique de toute révélation, publié anonymement en 1792, est attribué à tort à Kant. Apprenant qu’il est l’œuvre de Fichte, le public découvre celui que l’on voit comme le nouveau grand nom de la philosophie post-kantienne. Dès le début des années 1800, il sera toutefois éclipsé par Hegel, dont il restera toujours dans l’ombre et qui prendra sa suite à la chaire de Berlin. Fichte rédige non seulement des traités de philosophie théorique, mais aussi de philosophie morale, comme le Système de l’éthique, d’inspiration fortement kantienne, ou encore de philosophie politique. Fichte y défend la conception de l’impératif moral développée par Kant dans la Critique de la raison pratique, ainsi que les idéaux de liberté et d’égalité des penseurs des Lumières. Il n’en reste toutefois pas moins un fervent patriote et un penseur attaché à l’histoire de la Grande Allemagne, dont certains textes, tels que le Discours à la nation allemande et L’État commercial fermé, ont été tristement redécouverts, au cours du XXe siècle, en vertu de leur tendance traditionaliste et nationaliste. On est par ailleurs frappé, si l’on prend connaissance de la somme que représente ses Œuvres complètes (les Fichte’s Werke), du petit nombre de travaux qui ont été finalement traduits en français.
En ce qui concerne sa philosophie, et plus précisément son œuvre majeure, la Doctrine de la science (Wissenschaftslehre), il est nécessaire de partir d’un problème, qui est aussi un défi pour le philosophe : on oppose traditionnellement le réalisme à l’idéalisme, le premier de ces courants de pensée accordant plus d’importance aux choses perçues qu’aux idées (et aux esprits qui perçoivent) et le second, a contrario, considérant que la philosophie doit partir des idées (du sujet) plutôt que des choses matérielles (de l’objet). Dans ce cas, quelle place devons-nous accorder à la réalité ? Autrement dit, qu’est-ce que le réel pour le sujet qui le perçoit ? Ou encore : à quelle objectivité peut accéder un sujet ? Afin de clarifier ces questions, voire d’y répondre, il est nécessaire de retourner à l’origine historique de ce débat, c’est-à-dire à Descartes et à Kant, que Fichte a toujours considéré comme son maître. En effet, Descartes, tout d’abord, constitue pour Fichte (comme pour Kant) une véritable rupture dans l’histoire de la philosophie. Son projet et ses arguments sont pourtant traditionnels, mais il va leur donner un sens tout à fait nouveau : les Méditations métaphysiques s’ouvrent sur un constat simple, que chacun peut faire : ce que je crois être la réalité ne l’est pas toujours ; j’ai parfois été victime d’erreurs, d’illusions, ou encore de mensonges. Mes opinions ont évolué et mes certitudes d’hier ne sont plus nécessairement celles d’aujourd’hui. Dès lors, comment déterminer ce qui est réel, est-il possible de découvrir une ou plusieurs vérités indubitables ? Comme on le sait, Descartes aboutit à la certitude indubitable que j’existe si je pense être ou que je pense (à tort) ne pas être. C’est le sens de la célèbre : « je pense, donc je suis », « cogito ergo sum ». Mais le prix de cette vérité absolue est élevé car je perds ainsi toute relation au monde extérieur. On nomme cette situation le solipsisme : le sujet se retrouve emmuré dans les limites de sa propre perception, prisonnier de cette bulle qu’il ne saurait crever afin de savoir si ce qu’il perçoit est ou non réel. Afin de résoudre cette difficulté, Descartes tente de prouver, en ne prenant appui que sur ma propre existence, que Dieu existe et qu’en vertu de sa transcendance, de son omnipotence et son infinie bonté, Il ne saurait avoir voulu que je me trompe toujours, inévitablement.
Le défi qui s’imposera aux idéalistes allemands, de Kant à Fichte, sera donc de parvenir à briser le solipsisme ou à penser le réel sans recourir à une quelconque transcendance. C’est en ce sens que Kant proposera de distinguer les « choses en soi », l’inconnaissable réalité objective des simples « phénomènes », c’est-à-dire de ce que l’on perçoit à l’aide d’un certain prisme : celui de l’espace, du temps, de la grandeur, des relations de cause à effet, etc. Si cette conception semble cohérente et prudente, certaines de ses difficultés seront pointées par les successeurs de Kant, notamment Jacobi, Maïmon et Fichte. On peut en relever trois principales :
- Comment penser le rapport entre les phénomènes et les choses en soi sans utiliser des catégories qui ne conviennent qu’aux phénomènes eux-mêmes ? Est-on par exemple en droit de dire, comme le fait parfois Kant, que les choses en soi sont « plusieurs » ? Que leur existence est « nécessaire » ? Qu’elles sont « au fondement » des phénomènes, c’est-à-dire qu’elles les « causent » ? Hegel dénoncera sur ce point l’idée d’une limite absolue de la représentation, puisque la connaissance de cette limite est impossible si elle ne se dépasse pas elle-même, fusse de manière inconsciente.
- Nos catégories sont-elles propres à l’homme ou à tout sujet pensant ?… ce qui inclurait d’éventuels extraterrestres, voire Dieu lui-même, s’il existe. Si ce n’est pas le cas, est-il possible de déduire a priori l’intégralité, l’exclusivité et la nécessité des catégories que j’imprime au monde, comme une sorte de moule à gaufres sur une pâte informe, et ceci à partir de la seule affirmation de ma propre existence ?
- Même si c’est de façon négative, cette théorie repose sur l’affirmation paradoxale d’une réalité en soi. C’est là ce que j’ai déjà eu l’occasion d’appeler le « vestige réaliste de l’ontologie négative kantienne ». Comme le dit ironiquement Fichte dans son Rapport clair comme le jour : « Comment ! tu es capable de parler d’une réalité, sans en rien savoir, sans en avoir au moins obscurément conscience, sans la rapporter à toi ? Tu es plus fort que moi. Laisse-là le livre, il n’est pas écrit pour toi. »
Or, si le Moi est par nature limité par le « Non-Moi » qu’il pose inconsciemment lui-même comme une entité « non-posée », il ne doit pas seulement connaître et accepter ces impératifs, mais doit aussi les respecter comme si ces lois étaient les siennes, la « loi » pouvant être alors déterminée comme le principe de l’égalité de droit entre les êtres raisonnables. Le monde que je perçois n’est donc, pour Fichte, ni totalement illusoire, ni totalement extérieur à moi : ce qui caractérise la réalité, c’est d’être posée par suite d’un « sentiment » (Gefühl), par lequel le Moi s’auto-affecte en projetant inconsciemment une « quantité de passivité » en face de lui-même. On soulignera sur ce point l’influence de Leibniz, pour lequel la « monade » possède en elle-même le principe dynamique de sa perception du monde. En effet, cette inconscience, cette part d’ombre en moi-même, qui s’explique par une différence de degré entre mon entendement et ma sensibilité, me pousse à croire que je suis passif alors que c’est en vérité ma propre activité qui est à l’origine de cette passivité.
La Doctrine de la science aboutit ainsi à la conclusion selon laquelle le Moi s’oppose au Non-Moi, mais qu’il contient inconsciemment en lui-même une puissance qui produit ces successions organisées d’images, de sons, de sensations, etc., qui s’imposent à lui et que l’on nomme ordinairement le monde extérieur. Descartes reconnaissait d’ailleurs lui-même, dans sa Méditation seconde, que le sujet a peut-être en lui-même, sans le savoir, des puissances cachées, qui pourraient notamment le rendre victime d’illusions : « peut-être que je suis capable de les [i.e. de fausses pensées] produire de moi-même ». On retrouve une hypothèse proche dans quelques passages de la Critique de la raison pure consacrées aux pouvoirs de « l’imagination » et du « schématisme » dans le sujet transcendantal. Sans nier le fait que le sujet pensant soit bien, en un sens, un et indivisible, il n’en reste donc pas moins possible que tous ses pouvoirs et toutes ses lois ne soient pas immédiatement présents pour le Moi lui-même, et ne le deviennent qu’au prix d’un travail réflexif philosophique. Cette inconscience, cette part d’ombre en moi-même, qui s’explique par une différence de degré entre mon entendement et ma sensibilité, me pousse ainsi à croire que je suis passif alors que c’est en vérité ma propre activité qui est à l’origine de cette passivité. Tout sujet transcendantal possédant ces structures (que la phénoménologie de Husserl qualifierait de « noético-noématique »), nous en venons naturellement à percevoir un même monde, non pas parce que nous avons tous les yeux tournés vers quelque-chose qui serait extérieur à nous, mais parce que nous produisons-tous inconsciemment la même passivité en nous-mêmes et nous rapportons-à elle dans un même mouvement. C’est là ce qui rend concevable, chez Fichte, l’existence de l’alter ego, d’une pluralité de sujets existant bel et bien réellement, et non pas seulement à titre d’images qui apparaîtraient sous mon regard. C’est également ce qui rend pensable la communication entre plusieurs « Moi », et par là-même la vie en société, la politique et, plus important que tout aux yeux de Fichte, la morale : si autrui n’est (peut-être) qu’une illusion, tout est moralement permis – pas juridiquement, mais moralement. C’est ce point que développe notamment la Destination de l’homme, ouvrage qui reprend de manière dialogique les thèses des Principes de la Doctrine de la science, et qui insiste sur l’importance de prouver, par-delà le solipsisme, l’existence d’autrui, car c’est là la condition de possibilité même de la morale.
Docteur en Philosophie, spécialiste de
Fichte, Sylvain Portier est professeur de lycée dans les Pays de la
Loire. Il a notamment publié : Fichte et le dépassement de la « chose en
soi » (éd. L’Harmattan, 2006) ; Fichte, philosophe du Non-Moi (éd.
L’Harmattan, 2011) ; Les questions métaphysiques sont-elles pure folie ?
(éd. M-Editer, 2014) ; Zlatan Ibrahimovic – Friedrich Nietzsche (éd.
M-Editer, 2014) ; N’y a-t-il d’instinct que pour l’homme (éd. M-Editer,
2016) et Philosophie, les bons plans (éd. Ellipses, 2016).