Il faut bien occuper l’actualité, et la primaire de la droite, qui ne manque manifestement pas de candidats, tous aussi valeureux, précis, pointus et enthousiasmants les uns que les autres, permet de parler politique à bon compte. L’arrivée de Macron dans le paysage ne surprend personne mais ajoute une aimable touche jeune dans le tableau.
C’est, probablement, cette « caution jeune » qui permet à l’ex-ministre d’obtenir ainsi une telle tribune dans la presse française, trop heureuse de trouver de nouveaux champs d’expérimentations alors que la droite continue d’émettre son petit crin-crin habituel. Mais voilà : au contraire de septembre où on ne pouvait que gloser sur la démission du ministre et supputer sur sa prochaine prise de participation dans Election Présidentielle Corp., on sait maintenant que, c’est bon, c’est fait, le petit gars y va.
Ouf, il était temps. Un peu plus tard, et le brave Emmanuel se retrouvait à poignarder plus durement encore le pauvre président Hollande, qui a annoncé vouloir se décider avant le 15 décembre. Un peu plus tôt, et c’était prendre le risque de passer inaperçu pendant les primaires de la droite. Autrement dit, à quelques jours du scrutin de ces primaires, Macron a simplement optimisé son passage médiatique, avec un certain succès.
Maintenant dans la course, il va lui falloir prouver qu’il existe un peu au-delà des slogans creux et des déclarations de bonnes intentions. Ce ne sera pas simple et sauf à faire des déclarations tonitruantes à la Trump pour capter l’attention des uns et des autres, on sent qu’il va avoir du mal. D’autant qu’à cette difficulté de se faire entendre dans un paysage politique passablement encombré, il va lui falloir faire oublier son passage franchement peu convaincant au ministère de l’Économie sous Hollande.
Certes, le contribuable et l’électeur sont des mammifères qui cicatrisent vite et oublient encore plus vite, mais Manu Macron, c’est avant tout deux années passées à bricoler des « réformes » (guillemets de rigueur) dont les traces sont à peine visibles. On se souviendra peut-être de lignes d’autocar privatisées, d’une vague (et éphémère) agitation autour des autoroutes et des dentistes, et – pfuiiit – la baudruche a dégonflé.
Bien évidemment, devant ce maigre
résultat, Macron pourra toujours prétendre qu’on l’a copieusement
empêché de faire de la bonne grosse réforme qui tache, mais même avec
cet argument, il lui faudra surmonter plusieurs soucis.
D’autre part, tout comme les autres candidats, Macron doit rassembler 500 grands électeurs sur son nom. En pratique, et compte tenu de la complexité maintenant inscrite dans la loi pour obtenir ces signatures, notre candidat devra plutôt viser un bon millier d’entre eux, ce qui risque de poser quelques soucis : les grands électeurs plutôt à gauche ne trouveront certainement pas en lui un candidat crédible, et il aura bien du mal à mobiliser sur sa droite tant sa manœuvre semble surtout destinée à fusiller le candidat officiel que la primaire désignera.
Enfin, et c’est à mon avis le point le plus important, Macron n’a pas de militants et pas de relais sur le terrain : si, en 2016, on trouve encore des élus communistes dans nos villes et nos campagnes, c’est précisément parce que ces derniers peuvent s’appuyer sur une organisation de campagne efficace, rodée pendant des années. Dans ce contexte, le mouvement de Macron ressemble plutôt à un spasme.
En réalité, tout semble se dérouler comme prévu, non pas par le peuple, qui doit maintenant hésiter sur un candidat supplémentaire et franchement pas folichon, mais bien par une petite clique bien spécifique de communicants, d’amis, de proches et surtout de médias qui ont absolument tout fait pour gonfler la baudruche Macron.
Oh, certes, on peut voir dans sa candidature une manœuvre téléguidée de Hollande pour fusiller Juppé ou coincer Valls, par exemple. Mais plus simplement, on ne peut pas écarter le fait que l’ex-ministre se soit lancé, comme tant d’autres avant lui, parce qu’il aura été persuadé, à force d’entretiens, de sondages et d’enquêtes d’opinions à la grosse louche, que le Peuple N’Attend Que Lui.
Cela n’a rien d’étonnant et c’est même plutôt banal dans ce pays où la presse a, depuis fort longtemps, abdiqué toute éthique et toute analyse pour se vautrer avec délice dans la manipulation et la chronique d’opinion. Et ce, d’autant plus que, très majoritairement à gauche, cette presse sent bien qu’un désastre socialiste est quasiment irrémédiable. Il lui faut donc, à son niveau, alimenter le rêve qu’il existerait, sans doute, peut-être, un candidat valable.
Dans cette quête futile, Macron, c’est une nouvelle mouture de Balladur, de la même façon que la résurrection politique de Juppé tient là encore d’une pure opération médiatique. Macron, c’est le gendre parfait, le petit nouveau, celui qui n’a pas encore de casseroles et qui peut donc apporter de la fraîcheur. Juppé, de son côté, c’est le sage rassurant, le gentleman farmer avec des patchs en cuir sous les coudes, qui non seulement ne renversera pas la table mais la débarrassera après la soupe vers 18:30 avant Question Pour Un Champion. Juppé + Macron, c’est le couple médiatique droite – gauche / droiche – gaute et réciproquement qui permettra à tout le monde, presse comprise, de récupérer un président pas trop pourri pour les cinq prochaines années. Ici, vous pouvez soupirer doucement, bailler et laisser votre béret tomber sur vos yeux lourds avant une petite sieste de deux siècles.
Seulement, cet entêtement médiatique à vouloir nous présenter des trucs louches finit par lasser. On l’a vu avec Clinton, au charisme d’abribus éteint : il ne suffit plus à la presse d’être derrière pour assurer une élection, loin s’en faut. Pour Juppé, sauf à ce que le repris de justice distribue de la coke dans ses prochains meetings, la magie ne semble plus opérer.
En réalité, les médias traditionnels ont rapidement perdu, ces 20 dernières années, à la fois leur aura de respectabilité et leur pouvoir d’imprégnation des esprits.
Les écarts de plus en plus significatifs entre les sondages, les « analyses politiques » de chroniqueurs sexagénaires et la réalité des votes le montrent bien : leur pouvoir d’imprégnation a disparu à mesure qu’internet s’est développé. Et si, sur internet, on trouve de tout, le pire comme le meilleur, des sites conspirationnistes tenus par des esprits confus, des rumeurs et de simples canulars qui, suffisamment bien faits, trompent mêmes les rédactions, on trouve aussi des éléments sourcés, des enquêtes riches et profondes. Cette vaste quantité de sources et ce large éventail de qualités a obligé chacun à faire preuve de plus en plus d’esprit critique.
La presse traditionnelle n’est plus prise pour argent comptant.
Dès lors, l’aura de sérieux des journaux a disparu parce qu’ils n’offrent plus de l’information, mais de l’opinion. À chaque citation tronquée, à chaque « fact checking » biaisé, à chaque oubli dramatique d’un élément important sur un fait divers, à chaque fois la presse s’est plantée elle-même un poignard dans le dos. À chaque fois qu’outrée, elle a crié sur tous les toits qu’elle a raison mais que son public n’a rien compris, elle s’est tiré une balle dans le pied. À chaque fois qu’elle a refusé de prendre du recul, de nommer les choses, qu’elle a expliqué sa vision du monde plutôt qu’en donner un descriptif neutre, elle s’est lentement fait seppuku. Et surtout, à chaque fois qu’elle a dit ce qu’il fallait penser, qu’elle a jeté l’anathème sur ceux qui refusaient ses conseils avisés, elle a entériné un rejet de plus en plus fort des valeurs qu’elle entendait porter.
Cette presse fait actuellement des pieds et des mains pour obtenir un schéma électoral bien propret, apte à canaliser les « penchants populistes » du peuple qui ne sait pas vraiment ce qui est bon pour lui. Elle a naturellement poussé Juppé en persistant à le présenter comme une alternative crédible et réfléchie alors que seule sa recherche compulsive du consensus mou, sans aspérité, sans idée saillante, permet de le caractériser. Elle pousse à présent Macron, qui n’a ni arme ni bagage, dans une course qu’il a déjà perdue. À chaque fois, elle tente de farcir un dindon, l’électeur.
À mon avis, il va lui réserver des surprises.
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